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L'Economie mondiale : un frémissement annonçant de meilleurs jours ?

par Mourad Benachenhou

Les indices boursiers des grandes places financières internationales ont connu, au cours des plus récentes séances, un certain raffermissement, qui reste à confirmer, cependant.



Deux questions sans réponses évidentes ?



Ce changement, quelque peu inattendu, dans l'évolution de ces indices, est-il le signe d'une reprise anticipée de la croissance économique, et donc le début de la fin de la récession profonde dans laquelle le monde est tombé depuis déjà 10 mois ? Ou ce raffermissement a-t-il eu pour causes quelques bouts de bonnes nouvelles sur le front économique, nouvelles qui ont eu pour effet de remonter le moral des intervenants en bourses, toutes institutions confondues ?

Les informations disponibles sur la situation économique dans le monde semblent aller plus dans le sens de la seconde hypothèse que dans celui de la première.



Des indices poussant au pessimisme



Il n'y a, jusqu'à présent, aucune indication que les grandes économies ont enfin effectué le tournant vers la reprise de la croissance. Par exemple, les exportations chinoises, qui constituent un excellent indicateur de l'évolution de la consommation dans le monde, en général et aux Etats-Unis en particulier - jusqu'à présent le moteur de la croissance économique, qui représente, avec ses 14 mille milliards de dollars, 20 pour cent donc de la consommation mondiale, mais a perdu, en 2008, onze mille milliards de dollars d'actifs sur un total de 66 mille milliards de dollars - ont chuté de 25,7 pour cent au cours du mois de février.

Aux Etats-Unis même, la croissance des ventes au détail - à l'exclusion des voitures automobiles - au cours des deux premiers mois de cette année, est interprétée, non comme annonciatrice de la reprise de confiance des consommateurs, mais plutôt comme une conséquence des réductions de prix auxquels les grands distributeurs ont été obligés de procéder pour liquider leurs stocks, soit parce qu'ils ont été forcés à la faillite, soit pour éviter cette situation désastreuse.

Quant à la bonne santé affichée très récemment par les grandes banques américaines, elle est le résultat des interventions de l'Etat comme du FED en leur faveur, plus qu'une indication de l'amélioration du climat d'affaires dans le secteur financier.



Quelques bonnes nouvelles annoncent-elles
une reprise économique à court terme ?



Les analystes établissent, en fait, un lien entre une amélioration, attendue d'ailleurs, dans le bilan des grandes banques américaines, d'un côté, et la brusque vigueur dans les bourses internationales.

Les places boursières européennes et asiatiques, par effet de contagion, ont simplement réagi à cette amélioration malgré les mauvaises nouvelles économiques en provenance des pays en cause, qui indiquent que la crise est loin d'être terminée.

De manière générale, lorsqu'on analyse l'évolution des marchés boursiers, telle qu'elle est reflété par les différents indices propres à chaque place boursière, on fait la distinction entre « volatilité », c'est-à-dire la variabilité dans la valeur des actions cotées en cours de journée et d'un jour à l'autre, d'un côté, et de l'autre, « tendance », c'est-à-dire la direction générale prise par les indices vers le haut ou vers le bas sur une période significativement longue : un mois, un trimestre, etc.



La volatilité des marchés boursiers :
conséquence de l'incertitude économique mondiale



Dans les périodes d'incertitude économique, comme c'est le cas maintenant, les bourses sont extrêmement volatiles, car les indicateurs économiques sur lesquels on construit les projections permettant aux agents économiques de prendre des engagements d'investissement et de production sur un horizon lointain, poussent vers le pessimisme, et donc l'extrême prudence, alors que certaines informations économiques à caractère purement circonstanciel, donnent espoir dans une amélioration rapide de la conjoncture.

Donc, d'un côté, la tendance boursière globale est en baisse ; de l'autre, de temps à autre, il y a un brusque regain de confiance, quelque peu irrationnel, qui pousse momentanément les indices vers le haut. C'est, semble-t-il, ce qui se passe actuellement.

Il faudra attendre encore quelques semaines, en particulier l'annonce des résultats trimestriels en termes d'économie globale - croissance du PIB, évolution des demandes d'emploi, balance commerciale, évolution de la production industrielle, etc., comme de la situation financière des entreprises cotées en bourse, pour déterminer si vraiment on est arrivé enfin à un tournant poussant vers l'optimisme.



Un horizon économique international incertain



Cependant, si l'on en croit les autorités économiques et financières des grandes puissances internationales, comme les responsables du FMI et de la Banque mondiale, les chances d'une amélioration de la situation économique dans les mois à venir, ou même au cours de cette année, sont extrêmement faibles. Les plus optimistes parlent, sans être trop convaincus, d'une reprise éventuelle pour l'année 2010 ; mais il s'agit plus de déclarations destinées à remonter le moral des investisseurs comme des consommateurs, que d'une projection fondée sur des données sûres.

Les faits mêmes que le prix de l'or, valeur refuge par excellence, particulièrement attrayante en période d'incertitudes économiques ait gagné près de 200 dollars l'once en l'espace de deux mois, et que les prix des matières premières, pétrole inclus, ne semblent pas se consolider, ne peuvent donner lieu qu'au plus grand pessimisme en ce qui concerne les chances d'une fin rapide de la récession profonde que connait le monde.

Geithner, le secrétaire au Trésor américain, n'a-t-il pas déclaré, le mercredi 11 mars, devant le Sénat américain, que « la récession globale s'approfondit » ? D'ailleurs, la Banque mondiale elle-même a averti que le monde allait vers la première récession globale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Signe encore plus alarmant que l'on est loin du redressement de l'économie mondiale, voici que le FMI, quasiment moribond, il y seulement neuf mois de cela, est appelé à la rescousse ; il est même prévu de doubler son financement de 250 milliards à 500 milliards de dollars, pour répondre aux besoins de financement de la balance des payements, en provenance de pays pauvres aux économies très fragiles par définition, comme de pays membres à plein titre de l'Union européenne !



La sortie de la crise tributaire de la réussite
du programme de redressement américain



Plutôt que de suivre les variations quotidiennes des indices boursiers des places internationales, il faut être attentif aux résultats des actions que le gouvernement américain a prises depuis quelque cinq mois, car le changement d'administration n'a changé ni le contexte économique américain ou international, ni l'analyse de la crise.

La crise économique actuelle, dans le monde comme aux Etats-Unis, est complexe dans ses causes comme elle est variée dans ses conséquences. Les réponses à cette crise s'inspirent des leçons tirées de la Grande Dépression qu'a connue le monde entre 1929 jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale.

D'ailleurs, fait du hasard ou choix heureux, Ben Bernanke, le Gouverneur du FED (Federal Reserve System), c'est-à-dire la Banque centrale américaine, et le théoricien, comme l'un des acteurs principaux dans la politique américaine de relance de l'économie, si importante pour l'économie mondiale, est un homme qui a énormément réfléchie et écrit sur cette crise du siècle passé ; il est considéré comme une autorité dans l'analyse de cette phase douloureuse de l'histoire du vingtième siècle.



Ne pas enterrer Keynes deux fois !



La première leçon de cette crise est que, lorsque les mécanismes du marché, laissés à eux-mêmes, ont entrainé une crise économique et financière sans précédent, il n'est pas sage de leur donner l'initiative dans la conception et la mise en oeuvre de la solution à cette crise.

Les gouvernements ne peuvent simplement pas rester neutres dans ce type de situation et faire confiance au marché pour qu'il remette de l'ordre dans une économie qui souffre de ses excès. Donc, l'Etat doit jouer un rôle actif dans les solutions à donner à la crise.

D'ailleurs, c'est exactement la conclusion à laquelle est parvenu Keynes à l'occasion de la crise des années trente du siècle dernier. Et ceux qui annoncent la mort de ses théories et des doctrines comme des politiques économiques qu'il a proposées, ont prononcé une oraison funèbre de sa pensée quelque peu à contretemps de la réalité de la pratique économique des gouvernants des grands pays industrialisés, comme d'ailleurs de celle des pays « émergeants ! ».



Le rôle central de l'assouplissement de la politique
des crédits à l'économie par l'autorité monétaire



La seconde leçon est que la banque centrale ne peut simplement pas se borner à réduire son taux d'escompte pour encourager les banques à se tourner vers elle pour financer leurs opérations de prêts à l'économie. Ce type d'actions est valable dans une situation économique normale ; mais lorsque le secteur financier est au bord de l'effondrement, du fait de ses propres excès, il faut courir à son secours en employant des méthodes en rupture avec l'orthodoxie financière normale, qui consiste pour la banque centrale, à exiger que les appels de fonds des institutions bancaires et autres soient couverts par des obligations garantissant le remboursement des avances consenties par l'autorité monétaire centrale.

Il est évident que les actions de la banque centrale, pour être efficaces, doivent s'inscrire dans un programme global de sauvetage des institutions bancaires, programme que seul le gouvernement a l'autorité nécessaire pour concevoir et appliquer, car il exige des mesures de caractère législatif qui vont au-delà des attributions de la banque centrale.



Sans l'intervention de l'État,
l'économie de marché ne peut pas survivre !



C'est dans le contexte de cette analyse qu'il faut placer les différentes interventions tant du FED que du gouvernement fédéral américain.

Il s'agissait, dans un premier temps, d'intervenir rapidement pour éviter l'effondrement du secteur financier, plombé par 4 mille milliards de dollars de prêts hypothécaires hasardeux, et par au moins 60 mille milliards de dollars de montages financiers spéculatifs, sous la forme de titrisation des prêts hypothécaires risqués, ou de garanties de prêts à haut risques comptabilisés en hors bilan pour permettre aux banques d'effectuer des engagements de loin supérieurs aux normes prudentielles établies par la Banque des Règlements Internationaux.



La consolidation des institutions financières : une priorité absolue



Les premiers 700 milliards de dollars autorisés par le Congrès américain au cours du quatrième trimestre de 2008 avaient essentiellement pour objectif d'éviter l'effondrement des banques commerciales, banques d'affaires et grandes compagnies d'assurance américaines, avec les conséquences dramatiques qu'un tel effondrement aurait eues sur le système bancaire international. D'ailleurs, le titre officiel de cette intervention en indique l'objectif : Programme de Sauvetage des Actifs Hasardeux (Troubled Assets Relief Program). La consolidation, en priorité, des différentes institutions financières, au vu de leur rôle central dans l'économie, devait avoir la priorité sur tout autre type d'intervention gouvernementale, car tout retard dans cette action ne pouvait qu'accélérer et aggraver la crise économique. Sans cette consolidation, toute action de relance économique, quelle qu'ait été son ampleur, aurait été vaine et aurait plus contribué à accroître le désordre économique qu'à le réduire.



Le plan de relance économique : un volet essentiel de l'intervention
de l'État pour corriger les ratées de l'économie de marché



Une fois cette action de consolidation mise sur les rails, le gouvernement pouvait passer à une politique dont l'objectif est la relance de l'économie, grâce à des investissements dans l'infrastructure, entre autres, une politique de « grands travaux », comme cela se fait dans tout pays en proie à une crise économique, où l'Etat doit se substituer aux entrepreneurs privés pour redonner des couleurs à l'économie et éviter que la crise sociale qui accompagne systématiquement le ralentissement de la croissance et les pertes d'emplois ne se transforme en crise politique profonde.

Tel a été l'objectif du Plan de Relance économique adopté par le Congrès américain et promulgué le 17 février de cette année, et dont le montant a été fixé à 787 milliards de dollars. Ce plan, dans la logique de l'intervention à deux niveaux, exposée plus haut, vise à relancer la création d'emplois pour compenser les pertes d'emplois du fait des opérations de dégraissages effectuées par les entreprises privées en réponse à la réduction de la demande globale entrainée par la crise.

Il s'agit de créer 3,5 millions d'emplois sur une période de 2 années, par, entre autres, la relance des recrutements dans les administrations, et, point central du programme, l'engagement de vastes opérations de renouvellement des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires, etc. dont l'effet d'entrainement, en amont pour les constructeurs de matériels de gros travaux, comme en aval, pour les industries de consommations de tout type, est quasiment assuré. A signaler que l'économie américaine a perdu 4,4 millions d'emplois depuis décembre 2007 !



Les effets du plan de relance ne seront pas immédiats



Il est évident que ce programme ne va pas avoir d'effets immédiats : il faut du temps pour mettre en place les crédits publics et les financements privés, relancer l'outil de production destiné à fournir les gros engins et les différents sous-produits utilisés dans la construction d'infrastructures, établir et signer les contrats de réalisation, planifier les projets correspondants, recruter le personnel d'encadrement et d'exécution, etc., même dans un pays comme les Etats-Unis, qui bénéficie d'avantages certains en matière de production industrielle et de capacités managériales.

Les premiers résultats de ce plan pourraient commencer à apparaitre à compter de la fin du premier semestre de l'année en cours.



Au vu du poids de l'économie américaine dans l'économie mondiale :
un plan dont la réussite est centrale pour la sortie de crise internationale



La réussite de ce plan importe tant aux Etats-Unis qu'au monde, car elle pourrait entraîner une reprise de la production industrielle mondiale, particulier dans le secteur sidérurgique, qui souffre évidemment de la chute de la demande de produits industriels auxquels il fournit un semi-produit essentiel.

Cette somme sera-t-elle suffisante non seulement pour résorber les effets sociaux et économiques de la crise et éviter l'aggravation de la chute de la production et de la consommation, mais également pour relancer la croissance économique américaine et mondiale ? Ou faudra-t-il prévoir une seconde intervention du budget américain pour consolider la situation économique et relancer la croissance ? Nul ne peut le prévoir.



Un programme tirant les leçons du passé,
mais avec des éléments expérimentaux



Mais la question mérite d'être posée. On peut considérer que, dans la voie adoptée pour sortir l'économie américaine de la crise - et à travers elle relancer également l'économie mondiale - il y a des éléments tirés de l'expérience de la crise de 1929, toutes choses étant égales par ailleurs, car l'économie des années trente du siècle passé, diffère, de beaucoup, de l'économie de cette première décennie du vingt et unième siècle, tant en termes de dimensions que de niveau technologique comme de relations économiques et financières internationales ou même de système monétaire international.

Mais il y a également des voies nouvelles, expérimentales, dictées par les spécificités actuelles de l'économie américaine comme de l'économie mondiale, et cela a été souligné à maintes reprises par les autorités américaines comme par celles des autres pays avancés.


En conclusion :

1. L'indice Dow Jones a chuté de 48 pour cent en l'espace de 9 mois (de septembre 2008 à fin février 2009) et a, jusqu'à présent, dans sa tendance globale, reflété l'évolution de l'économie mondiale et son glissement dans la récession.

2. C'est un indice qui sert de guide aux autres bourses internationales.

3. Sa hausse a entrainé, par contagion, la hausse des indices des autres places boursière ;

4. Mais cette hausse est due à quelques nouvelles économiques meilleures qu'anticipées, mais qui ne mettent à jour aucune amélioration sensible dans l'état de l'économie ou l'économie mondiale, annonçant la fin de la récession profonde que celles-ci connaissent.

5. Les responsables économiques mondiaux partagent, semble-t-il, cette analyse, et, de ce fait, appellent à plus de mesures, à l'échelle des Etats, comme au niveau des institutions financière internationales, pour sortir le monde de cette crise.

6. Mais, en même temps, ils reconnaissent que les signes de la sortie ne sont pas encore visibles et que la détermination d'une période à laquelle la lumière indiquerait le bout du tunnel, ne peut être qu'hypothétique.

7. Pour donner une représentation concrète à l'exposé quelque peu abstrait de la démarche américaine pour sortir l'économie de ce pays, et donc, l'économie mondiale, de la crise, il s'agit de savoir s'il faut simplement une fusée à deux étages, un étage financier, et un étage de dépenses publiques d'infrastructure, pour relance la croissance, ou s'il faut ajouter un troisième étage pour la consolidation de cette croissance et permettre à l'économie américaine d'échapper à l'attraction fatale de la crise économique mondiale.

8. Seuls les résultats de la mise en oeuvre du second volet de cette approche permettront de le savoir.

9. En attendant, tout un chacun ne peut qu'espérer pour le mieux, et surtout notre pays qui a vu ses exportations d'hydrocarbures vers les Etats-Unis chuter de manière dramatique au cours de ces derniers mois.

10. La réussite du plan de relance américain, dans son premier volet, largement avancé, comme dans son second volet, qui commence seulement à se mettre en place, aura également un impact sur la demande des hydrocarbures, et donc, sur le prix du pétrole et les équilibres financiers tant de la Sonatrach que du budget et de la balance des paiements algériens.