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Le pouvoir d'achat en berne : Dur, dur d'être salarié

par Amine L.

En dix ans, le SNMG a doublé en passant de 6.000 à 12 000 dinars. De sources syndicales, il devra atteindre 15 000 dinars après la prochaine tripartite.

En dépit de cette augmentation, une interrogation s'impose : comment est-ce qu'un Algérien, qui vit au SNMG, fait face aux dépenses contraintes et incontournables (alimentation, transport, santé, éducation) ?

Conducteur d'engins, technicien informatique, vendeuse ou assistante comptable... Toutes ces personnes en Algérie vivent, aujourd'hui, avec moins de 20 000 dinars par mois. Cette frange de la population doit faire face à des dépenses incompressibles qui augmentent plus vite que leur revenu. «Après avoir payé les frais d'alimentation, de transports et de santé, je sollicite souvent des prêts auprès de ma famille ou de mes amis pour boucler les fins de mois », témoigne Mourad, 40 ans, célibataire, salarié dans une entreprise publique à Alger. «Il ne me reste que 800 dinars après le règlement des différentes charges », fulmine de son côté Nadir, salarié dans la même entreprise. Et encore, cet autre quadragénaire est marié à une femme qui travaille. «Le logement, l'électricité, l'eau, le gaz, les combustibles représentent ensemble la totalité des revenus des ménages, contre seulement le quart des revenus salariaux en 1979 », constate M. Ouramdhan, économiste. Et ce dernier de constater : «Les fonctionnaires et d'autres salariés basculent de plus en plus dans les classes pauvres.

Ces dernières sont aujourd'hui un peu plus nombreuses qu'au début des années 1980 et leur pouvoir d'achat a continuellement régressé. L'augmentation de revenus ne signifie pas forcément plus de liquidités pour les loisirs ou l'habillement, par exemple ». Séjour au soleil ou spaghettis, pour beaucoup, le choix ne se pose plus. Les vacances se résument à journée au littoral, preuve de la difficulté de mettre un peu d'argent de côté.



Dépenses incompressibles



«Les plus touchées par l'inflation restent bel et bien les petits salariés, dont les dépenses incompressibles (en termes de pourcentage des dépenses sur le salaire) ont été multipliées par quatre entre 1979 et 2008 (ces dernières sont passées du quart à près de 100 % du salaire entre ces deux périodes). Il y a 30 ans, le loyer, l'électricité ou encore le gaz ne représentaient que 25 % du budget des salariés à revenus moyens, contre presque 100 % du salaire aujourd'hui», explique notre économiste. Les loyers, qui varient entre 20.000 et 40 000 DA à Alger, dépassent les salaires de beaucoup de fonctionnaires. Sous pression, les ménages à revenus faibles disposent d'une marge de manoeuvre très étroite. Chaque mois, ils doivent faire face à des dépenses dites «contraintes » : le loyer, l'électricité ou encore le gaz. A cela s'ajoutent les dépenses de santé, d'alimentation, de transport. Un phénomène qui est de plus en vogue : de plus en plus de jeunes épousent des femmes qui travaillent. Les ménages à revenus faibles sont obligés de faire des sacrifices. Et la situation de ces ménages ne risque pas de s'améliorer. Le pouvoir d'achat des ménages à revenus modestes (moins de 30 000 dinars par mois) n'a cessé de régresser aux cours des trente dernières années. Au début des années 80, un enseignant gagnait 4.000 dinars par mois. A cette époque là, le kilo de sucre coûtait 2 dinars. Depuis, le prix du sucre est multiplié par 30. Si on devait multiplier les salaires par le même coefficient, l'enseignant devra toucher 120 000 dinars aujourd'hui, soit quatre fois plus de son salaire actuel. Au début des années 80, l'Algérien moyen dépensait 800 dinars par mois pour l'alimentation d'une famille moyenne composée de six éléments, soit moins du cinquième de son salaire dans l'alimentation. En 2009, le budget de l'alimentation pour la même famille frôle la moitié du salaire. En comparant une journée de travail entre 2000 et 2008, M. Ouramdhan estime que désormais les salariés peuvent s'offrir moins de produits malgré une légère hausse de leurs revenus. L'inflation a rongé leur revenu mensuel, contraignant les ménages à réduire leur train de vie chaque mois. L'Algérien moyen consomme ainsi moins d'oranges, moins de pommes de terre ou encore de moins en moins de beurre. La hausse des prix du poulet, des oeufs et du fromage, a grevé leur budget. «Les ménages font des arbitrages dans les dépenses incompressibles (alimentation, logement, santé) pour répondre à la baisse du pouvoir d'achat. Ces arbitrages se font principalement dans l'alimentation », constate M. Ouramdhan. Alors que les cours des matières premières s'effondrent, les étiquettes des produits les plus courants restent orientées à la hausse. A qui la faute ? Industriels et distributeurs sont-ils en train de se refaire une santé sur le dos des Algériens ? La question titille aussi bien les ménages que les associations de consommateurs, tant le décalage entre l'évolution des cours des matières premières et celle des prix des produits de grande consommation est large. Ainsi, à la fin de décembre dernier, alors que les denrées agricoles avaient plongé de 15 % sur un an, les tarifs de l'alimentation avaient grimpé de 50 % pour le poulet et les oeufs. Si les distributeurs de l'alimentaire avaient répercuté la baisse des cours, les prix des coquillettes, des biscuits et autres produits auraient dû reculer. Un exemple : les pâtes. Compte tenu du poids du blé dur dans leur coût de production, les tarifs en magasin auraient dû chuter de 30 %. Stupeur ! ils affichaient à la fin de 2008 un bond de 15 % sur un an. «Logiquement, le prix des pâtes devrait diminuer de 10 % cette année», affirme un membre d'une association de protection des consommateurs. Un producteur de biscuits se défend : «Nous achetons le blé avec des contrats à long terme, d'où un décalage». Dans la volaille aussi, fabricants d'aliments, aviculteurs, industriels et distributeurs se renvoient la balle. Des débats qui laissent sceptique un analyste : «Par le passé, les hausses des prix agricoles ont été répercutées sur les prix de détail, mais pas les baisses».



Le pouvoir d'achat recule



Les ménages à revenus les plus modestes sont les plus touchés. Et les plus pénalisés par la cherté de la vie. Les cadres aussi ne sont pas en reste : ils font face à la détérioration de leur pouvoir d'achat. Leur niveau de vie ayant régressé y compris avec les primes, promotions et avancements. La grande majorité des cadres ont des salaires mensuels nets compris entre 25 000 dinars et 60 000 dinars. Les salaires ont certes augmenté mais l'inflation qui a dérapé fortement ces dernières années a entraîné l'érosion de leur niveau de vie. Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. Politique de rattrapage des inégalités salariales, ou simple amélioration du marché du travail ? Les cadres de la fonction publique ou ceux travaillant dans le privé ne sont pas mieux lotis. Alors que les cadres sont particulièrement attachés aux augmentations individuelles, seul moyen d'augmenter leur rémunération, les entreprises ont tendance à les diminuer pour des augmentations collectives. Dans le secteur de la finance, un nouveau système salarial va être mis en place pour les banquiers avec l'introduction d'une partie variable dans la rémunération des professionnels de ce secteur. Outre la partie fixe (salaire de base, primes conventionnelles), la rémunération du personnel bancaire va comprendre également une partie variable appelée « prime de performance» rémunérant les compétences et les performances réalisées par l'agent ou le cadre bancaire, et ce, quel que soit son niveau de responsabilité. Pour instituer ce dispositif, un avis d'appel à la présélection de candidatures a été lancé tout récemment par l'Abef en vue de confier à un bureau d'études-conseil un marché de services portant assistance technique à la conception et la mise en place d'une rémunération variable au sein des banques et établissements financiers. Les résultats de l'étude qui sera menée par le bureau-conseil retenu devront donner lieu à plusieurs configurations, que les banques devront examiner avec la collaboration de la représentation syndicale du secteur bancaire, et ce, avant d'introduire le scénario retenu dans la convention collective interbancaire. «L'amélioration du pouvoir d'achat doit se faire constamment pour les salariés à revenu modeste sous une approche basée sur la conciliation entre les dimensions économique et sociale », plaide un économiste du CREAD. Le président-candidat Bouteflika promet de majorer le SNMG ainsi que les salaires dans le secteur public à la faveur de la tripartite qui se tiendra après l'élection. « Je m'engage à augmenter le Salaire national minimum garanti dans les prochains mois, si je suis présent», a-t-il annoncé à Oran, le 24 février. Le salaire national minimum garanti a été majoré à 12.000 DA depuis janvier 2007. De sources syndicales de l'UGTA, le SNMG devra atteindre 15 000 dinars après la prochaine tripartite. Les travailleurs de la Fonction publique avaient organisé plusieurs grèves pour réclamer des revalorisations des salaires, mais sans jamais, les obtenir. Le 28 février dernier est entrée en vigueur une augmentation de l'Allocation forfaitaire de solidarité (AFS). L'aide destinée aux plus démunis et qui touche 750 000 personnes se voit ainsi tripler, passant de 1.000 DA à 3.000 DA. Le chef de l'Etat promet depuis Sidi Bel-Abbès, où il effectuait une visite, d'augmenter de 50 % la bourse universitaire. Cette revalorisation sera effective, comme il l'a précisé, à compter de la prochaine rentrée universitaire. Outre cette décision, le président Bouteflika décide d'instituer une bourse de soutien de 12 000 DA par mois qui sera servie, toujours à partir de la prochaine rentrée, aux étudiants en doctorat qui ne disposent pas de salaire. Face à ces annonces en cascade de majoration des salaires, certains milieux économistes restent septiques puisque les ressources du pays dépendent exclusivement des hydrocarbures dont les cours ont plongé ces derniers temps. Dans son rapport sur l'économie algérienne, le FMI souligne que ses administrateurs «se félicitent de l'engagement des autorités à préserver la compétitivité et la viabilité à long terme des finances publiques en contenant les dépenses courantes, et en particulier la masse salariale et les subventions. Dans cette optique, ils appuient les plans visant à lier les futures hausses de salaires aux gains de productivité et aux résultats de croissance».