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Sidi Bel-Abbès: Des moussabilat, fidaiyat aux... moudjahidat

par Kadiri M.

En Algérie, c'est un fait avéré et incontestable lorsqu'il s'agit d'aborder la glorieuse révolution de Novembre 54, on ne peut occulter le lourd tribut payé par les femmes qui ont largement contribué en rendant la résistance possible.

Moussabilat, fidaiyat moudjahidat... Et ce, disons-le en ce 8 mars 2009, au-delà des objectives considérations qui entourent la commémoration de cette journée internationale de la femme et tout le désir pathétique d'un avenir meilleur, sereinement formulées en cette occasion où de nombreuses activités sont entreprises ici et là.

Toutefois, il est regrettable de relever qu'une chape de plomb se dresse comme une barrière autour de tout un combat et de sacrifices méconnus. A Sidi Bel-Abbès, toutes celles mortes, emportées par la maladie, torturées à mort, ensevelies, décédées au combat les armes à la main, au champ d'honneur tel qu'on l'a toujours dit et écrit.

Les Bélabessiennes, indique notre source, on les retrouve alors sur tous les fronts. En ville, elles livrent bataille les armes à la main et tombent au champ d'honneur, en chahidat; en ville, elles contribuent à l'action du fida ou dans l'OCFLN; à la campagne, elles assurent l'intendance et les multiples tâches quotidiennes indispensables à l'ALN: prisonnières, elles connaissent aussi les affres des prisons et parfois de la torture. Mères, soeurs, filles ou épouses, elles donnent l'exemple, soignent les blessés et renforcent la résistance morale. Nul ne les attendait. Ni les services de renseignements colonialistes, ni encore moins une société encore figée sous la chape du conservatisme et de la tradition. En ces temps de tourmente, elles n'ont demandé l'autorisation à personne. Et cette émergence a donc une triple signification. Aussi pourrait-on dire qu'elles ont fait une véritable irruption «par effraction» dans l'histoire grâce à la guerre de libération nationale.

Une décision relative aux femmes, non formalisée, a-t-elle été prise quelque part par le FLN se structurant et se développant ? Le sentiment patriotique a-t-il joué chez elles spontanément ? Quelle a été localement leur participation à travers certains itinéraires de militantes ? Sur place, en tout cas, elles ne semblent disposer que de plusieurs antécédents politiques. Des témoignages relevés à titre indicatif. Nous préciserons que le 8 Mai 1945, leur participation massive relativement à la manifestation qui a eu lieu ce jour en pleine ville européenne avait pourtant surpris les services de renseignements généraux, qui firent un rapport confidentiel chiffré : «Un cortège comprenant 4.000 musulmans environ, suivi de 600 mauresques, défila dans les principales artères de la ville de Sidi Bel-Abbès». 600 est un chiffre énorme comparé à la population de l'époque et surtout par rapport à leur condition de femmes cloîtrées, marginalisées et exclues de la vie politique.

La même année, le droit de vote est accordée aux Françaises. Mais ce n'est que deux ans plus tard que le statut octroyé de l'Algérie stipulera que «les femmes d'origine musulmane jouissent du droit de vote». Une décision de l'assemblée algérienne fixera les modalités de l'exercice du droit de vote. Mais pour que les modalités de ce droit de vote soient fixées, il faut attendre 1958, en pleine guerre, lorsque les autorités coloniales, face au militantisme inattendu des femmes, essaient vainement de se les concilier, écrira une combattante. Les Bélabbessiennes n'attendent pas. Pressentant la manoeuvre dilatoire, «un cortège de femmes voilées traverse la ville pour déposer à la sous-préfecture une motion demandant le droit de vote. Lucette (une militante communiste) affirme avoir évalué ces femmes à un millier, avec parmi elles seulement une vingtaine d'Européennes, une cinquantaine à tout casser. Ce faisant, elles ont créé un fait historique dans l'agglomération, mais ces jalons serviront-ils de référents à celles qui s'engageront dix ans plus tard dans le combat ? Le lien n'est pas du tout établi, indique notre source. Le 19 mai 1956 est plus sûrement une référence pour elles. Ce jour-là, commence la grève des cours et des examens dans les universités françaises. Elle est ensuite étendue aux établissements secondaires. Les étudiants musulmans abandonnent les amphithéâtres de la faculté d'Alger et des universités de France, les autres désertent les bancs des lycées et collèges d'Algérie. Sidi Bel-Abbès en compte trois. Du lycée Laperrine (Azza), du collège moderne de garçons (Haouès) et de celui des filles, ils et elles rejoignent le maquis où militent dans l'organisation. Ce mouvement, qui comprend l'incorporation des jeunes filles, a été non seulement admis, mais encouragé aussi bien par les premiers chefs de la wilaya V que les responsables locaux du secteur englobant la ville.

En effet, «Safia, lycéenne en terminale, qui a rejoint le maquis au moment de la grève des étudiants en mai 1956», a eu l'occasion de rencontrer au cours de l'été 1956 Abane Ramdane, Ben M'hidi et Ouamrane qui se rendent au congrès de la Soummam. Elle est affirmative: «Je sais que Ben M'hidi était le plus sensible à la participation de la femme, dira-t-elle. Un an plus tard, Boussouf confirme: «Une expérience unique en son genre eut lieu en Oranie avec l'envoi au maquis par les services de Boussouf de jeunes filles et garçons comme contrôleurs. De février à mai 1957, un contrôleur et une contrôleuse parcourent les six zones de la wilaya V, Khedija en zone 5 et sa soeur Amina C. en zone 6. Les deux premiers responsables de cette wilaya étaient donc favorables, soulignent dans leur ouvrage Mer Nehari Tayeb et Tabet A. Redouane. Dans divers combats au maquis où des accrochages en ville, d'autres moudjahidat comme Chelleli Ghenoudja (1958), Achour Zohra (1959), Soraya Bendimered, Draa Fatima, Kheir Nébia, Salem Saadia (1960), Mekkaoui Zoulikha, Tayeb Brahim Cherifa, Hamadi Mama et Adim Fatiha allongeront au fur et à mesure la liste des chahidat, tandis que celle des blessées au combat comprendra notamment Tayeb Brahim Fatiha (soeur de Cherifa), Abdedaïm Zohra, El-Fekaïr Mebarka, Benhiba Fatma. Bensekrane Ouafia et Bechiran Zohra, arrêtées, ont connu les geôles colonialistes. Cette dernière a même été torturée et éliminée en prison ainsi que Kheir Nébia, Benbrahim Zohra et Draa Fatima, emprisonnées disparues. Le pourcentage des chahidat s'élève à 16,6 pour cent, ce qui est considérable.

Mais sur ordre, au début de l'année 1958, toutes les maquisardes, «sauf quelques exceptions», ont été évacuées vers le Maroc ou la Tunisie. Or, on constate que neuf d'entre elles sont mortes et quatre autres ont été blessées après cette date dans la zone 5. Parmi elles, Adim Fatiha par exemple a combattu en 1956 jusqu'à sa mort en 1961, Soraya Bendimered, de 1956 aussi. Ici, les exceptions étaient donc particulièrement nombreuses. Elles étaient certainement indispensables, comme en témoigne l'itinéraire de Tayeb Brahim Fatiha (que Dieu lui prête longue vie vu qu'elle a continué à militer jusqu'à une date récente, indique-t-on).

Infirmière travaillant dans le cabinet médical du Docteur Simon, installé rue Molière, elle s'engage d'abord dans l'organisation en ville, soignant et fournissant des médicaments subtilisés. Suspectée, elle rafle tout le matériel médical ainsi que l'arme (PA) du médecin et rejoint le maquis en 1957. Là, elle continue à soigner les djounoud et la population civile tout en effectuant de nombreuses missions, notamment des liaisons entre le maquis et la ville. Quatre ans plus tard, elle se retrouve dans la ferme du colon Botier, au djebel Tessalah. Le 22 février 1961, ce PC est encerclé. L'accrochage est inévitable, et Fatiha y participe, les armes à la main. Elle arrive à sortir de l'encerclement. Moins de 5 jours plus tard, le 27 février 1961, elle participe à un autre combat près de Messer-Amarnas, dans la périphérie de la ville. En effet, le PC ou elle est retrouvée, situé dans une caserne à 200 mètres de la ferme Meziane Khelifa, est découvert. Les troupes affluent de toutes parts, de Détrie (Sidi Lahcène), des casernes de la Légion étrangère en ville, de Camissis... Le groupe encerclé résiste pendant plus de trois heures aux assauts répétés. Finalement, le PC est détruit : le lieutenant Zineddine, l'aspirant Si Fodil et Si Merraoui Salhi ont été tués. L'armée française a eu de son côté 5 militaires tués, dont un gendarme. Fatiha, gravement blessée, a été capturée. Pendant des années auparavant, elle avait rempli de multiples rôles : pourvoyeuses de médicaments et instruments médicaux, infirmière, agent de liaison, assistante sociale, secrétaire organisatrice en milieu inaccessible aux hommes, combattante...

Mais qui sont ces jeunes filles dont le courage et la résistance n'ont pas besoin d'être soulignés, à l'instar de feu Louahla Kheïra et autres ?

Dans ce cas, ce sont presque toutes des citadines de la ville de Sidi Bel-Abbès, bien que certaines soient originaires de Telagh, Lamtar ou Sidi Ali Benyoub. Elles sont souvent, indique la même source, issues des mêmes familles ayant compté deux soeurs au maquis, comme les Chellali, les Tayeb Brahim et les Azza, ou un frère et une soeur comme les Belahcel et les Ghafaï. Les Dani-El-Kébir sont trois. Et autres telles Amir-Badsi-Abdedaïm. Ceux-là sont des exemples à titre indicatif : Affane F., Benchiren Z., Chellali, Achour, Draa D., Kheir N., Salem S., Adim F., Bouroumi K., Yemloul, Adjel, Sekal H., Djebour D. et autres... mortes pour l'indépendance. Elles étaient presque toutes instruites en français, certaines ayant abandonné leurs études au collège. En tout cas, toutes étaient jeunes, voire très jeunes. Soraya Bendimered, par exemple, née le 11 mars 1940, n'avait que 16 ans en 1956 lorsqu'elle a commencé à militer.

Mais les citadines n'étaient pas seules à «travailler», selon l'expression en arabe et en français de l'époque. Pour le FLN et l'ALN, les femmes rurales ont également accompli des tâches innombrables, éprouvantes et indispensables, même si celles-ci ont pu paraître «naturelles» dans le cadre de la division du travail entre hommes et femmes. Citons quelques-unes de ces multiples activités courantes: «assurer le ravitaillement des djounoud dans la forêt ou les crêtes, rouler le couscous toute la journée pour nourrir une section, préparer la gamelle et le café au milieu de la nuit pour les combattants de passage après une attaque ou un ratissage, héberger, cacher ou soigner des blessés le cas échéant, faire le guet ou servir de guide d'un PC à l'autre, renseigner l'ALN sur les positions et déplacements ennemis...» Dans ce cas, le dépassement de soi est quotidien et l'efficacité de leurs activités n'en est que plus grande pour la vie et la survie des maquisards de la zone 5. Or, celle-ci, englobant la plaine de la Mekerra, se caractérise par un terrain plat en grande partie et un quadrillage très serré de la présence ennemie. Les déplacements des djounoud y sont donc particulièrement risqués, notamment depuis les grandes opérations militaires du plan Challe en 1959, commencées dans la région de Tlemcen, puis dans celle de Sidi Bel-Abbès. Les katibat sont alors obligées d'éclater en sections, formant de petits groupes. Pour rester présents quand même dans la plaine, ceux-ci creusent et aménagent des caches non loin de certaines fermes ou habitations. Le rôle des femmes consiste alors à effacer les traces superficielles, fermer la casemate, ravitailler les djounoud, surveiller les alentours, n'ouvrir les abris qu'après s'être assurées de la sécurité totale et, évidemment, en garder le secret absolu malgré les visites menaçantes des soldats et des harkis dépisteur de caches, soulignera Hadj Tayeb Nehari dans l'ouvrage sur Sidi Bel-Abbès.

Plusieurs cadavres de femmes ont été aussi retirés de puits après l'indépendance. Mortes anonymes, leur nombre est resté indéterminé, ainsi que celui de toutes les moussabilat. Leur sacrifice et leur douleur n'en ont pas moins existé. Comme l'angoisse et la ténacité de ces sœurs et de ces mères se déplaçant régulièrement avec un panier ou des effets sous le bras, pour rendre visite à un frère ou un fils emprisonné.

Partout, la guerre a engendré cette nouvelle fonction de la femme, celle de visiteuse de camps. Mais hormis une grande actrice, patriote de surcroît, Keltoum, qui peut exprimer la souffrance de ces femmes ? En effet, dès 1957, et surtout 1958, la région a été truffée de camps et de centres divers où les hommes en majorité ont été internés. Le nombre de ces camps est particulièrement élevé. Outre les camps de regroupement des populations déplacées et «embarbelées», on y compte l'ancien camp de Bossuet (Daya), déjà connu des patriotes avant le déclenchement de la lutte armée, réactivé et surchargé; le camp de Lamoricière (Ouled Mimoun), réservé aux durs de l'ALN classés «irrécupérables», le camp de Bedeau (Ras El-Ma) surnommé le camp de la mort; celui de Telagh (La cave) renommé par ses tortures au chalumeau; le camp de Tlélat spécialisé dans le lavage de cerveaux; ceux de Hammam Bouhadjar dont un réservé aux femmes; le centre de tri de transit (C.T.T) de Baudens (Caïd Belarbi); les centres spécialisés de torture dans l'ancienne huilerie Farouz, du quartier Viennot de la Légion étrangère, du château Perret au Maconnais, du Point du jour... et la liste est incomplète. Récemment encore en 1998, la presse a évoqué le camp militaire d'internement de Hammam Bouhadjar (CMI) consacré au patrimoine historique en ces termes: «Le camp de la ferme Chabre, ouvert en 1958, faisait partie de ces nombreux lieux d'incarcération de triste mémoire éparpillés à travers toute l'Oranie. Il se distinguait par une particularité, celle de n'avoir regroupé que des gradés de l'ALN considérés comme des durs de la révolution. Il a vu défiler des noms connus de l'organisation FLN/ALN tels Settouti, Stambouli, Benzine, Tayeb Brahim, Benchehida et bien d'autres encore. Des officiers qui étaient considérés par l'occupant comme étant des irréductibles ne furent libérés que quelques jours avant la proclamation de l'indépendance. C'est pourquoi il est donné à ce CMI le nom des «irréductibles».

Du fait de la détention, la société musulmane a été ébranlée, disloquée. Toutes les cellules familiales ont été touchées, toutes ont eu un parent au maquis, en prison, dans un centre ou un camp d'internement. Les femmes ont alors pris la relève en qualité de chef de famille, veillant sur celle-ci d'une part, et devenant visiteuse de camp d'autre part. Elles ont alors rempli ces deux rôles avec une efficacité et une constance remarquables, concluent nos sources.