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Les excédents financiers dont dispose l'Algérie ont poussé certains observateurs à appeler à la création d'un fonds souverain mais : l'économie algérienne a-t-elle besoin d'un fonds souverain ? Le développement de l'investissement dans l'appareil de production national, notamment par la transformation de l'épargne domestique abondante, est un défi majeur auquel doit faire face l'économie algérienne. Cet investissement doit s'inscrire dans le cadre d'une politique de croissance économique durable établie par les autorités compétentes. Plutôt qu'un fonds souverain au sens usuel, un Fonds d'Investissement d'Etat (FIE) pourrait être un instrument efficace du développement de l'investissement productif tout en permettant d'enclencher une mécanique vertueuse. En effet, outre un instrument d'investissement au service du développement de l'économie du pays, ce fonds pourrait contribuer à l'élévation des standards en matière de gouvernance, de management, de ressources humaines et de climat des affaires. Le fonds aurait une stratégie tournée essentiellement vers l'investissement national sur le long terme et s'inscrirait dans le cadre de la politique industrielle de l'Algérie. Fonds souverains: des réalités diverses derrière une terminologie unique Le niveau record atteint par les réserves de change des pays exportateurs d'hydrocarbures et les récents développements de la crise financière ont suscité, au cours des derniers mois, un débat intense sur les fonds souverains. L'Algérie n'y a pas échappé. Qu'est-ce qu'un fonds souverain ? Un fonds souverain est un véhicule financier relevant d'un Etat souverain et gérant des fonds publics. Il a pour vocation de placer ces fonds en tenant compte des contraintes imposées par une stratégie d'investissement préalablement établie (1). Les stratégies d'investissement des fonds peuvent être analysées suivant deux axes: les objectifs stratégiques et la destination des investissements. Objectifs stratégiques. Ils s'analysent suivant deux dimensions: 1. Le degré d'importance accordé au rendement financier. Un objectif sous-jacent de la stratégie de nombreux fonds souverains vise à préserver une part des revenus actuels au profit des générations futures en les faisant fructifier. Ces fonds sont généralement dotés d'une partie des revenus liés, soit à une richesse naturelle appelée à s'épuiser, soit à des excédents commerciaux importants et récurrents. Ils ont alors pour objectif de maximiser le rendement des investissements tout en contrôlant le risque qui y est associé. 2. Des fonds au service de la stratégie économique de l'Etat (2). Un autre objectif possible pour un fonds souverain est de servir la stratégie de développement de l'Etat dont il dépend. Au-delà du rendement et de la performance des investissements et participations du fonds, des objectifs et des contraintes purement stratégiques (acquisition de technologie et savoir-faire, développement de secteurs économiques jugés stratégiques, etc.) peuvent lui être assignés. La performance du fonds est alors mesurée à travers sa capacité à servir ces objectifs stratégiques tout en maximisant la performance financière. Destination des investissements. Outre les objectifs stratégiques du fonds souverain, le second axe de différenciation que nous retiendrons est celui de la destination «géographique» des investissements. Les fonds souverains investissent généralement à la fois dans leur pays d'origine et à l'international. La quête du meilleur rendement financier est souvent leur priorité. Néanmoins, la destination de leurs investissements peut faire l'objet d'une orientation stratégique qui, elle-même, peut évoluer au cours du temps. Ainsi, le fonds russe a récemment vu sa stratégie en la matière redéfinie pour mieux faire face aux conséquences de la crise financière internationale. Initialement destiné à prendre des participations dans des entreprises étrangères considérées comme stratégiques pour l'économie russe, il doit désormais se recentrer sur l'investissement domestique et soutenir les entreprises de ce pays face à la crise. Préalables à la création d'un fonds et situation de l'Algérie Les fonds souverains existants ont été créés par des pays qui remplissaient l'une des conditions suivantes: - des réserves de change importantes; - des excédents extérieurs importants et récurrents. Au vu de ses excédents commerciaux récurrents au cours des dernières années et du niveau record qu'atteignent ses réserves de change, il est indéniable que l'Algérie dispose des ressources pour créer un fonds de ce type. Reste à examiner, au-delà de la faisabilité, l'opportunité de la création d'un tel fonds. Un Fonds d'Investissement d'Etat (FIE) algérien pour transformer l'épargne et répondre aux besoins de l'économie Le développement de l'investissement productif est un défi majeur auquel doit faire face une économie peu diversifiée comme celle de l'Algérie. En effet, l'investissement que nous qualifions de productif, c'est-à-dire l'investissement dans l'appareil de production national, est indispensable au développement du secteur industriel. Or, nous pensons qu'il est difficilement envisageable de prétendre à un développement réel et durable de l'économie sans une industrie performante. Cet investissement peut être d'origine externe, à travers les IDE (Investissements Directs Etrangers); ou interne, à travers la transformation de l'épargne. Il est qualifié de mixte, lorsqu'il associe capitaux étrangers et nationaux. Pour ce qui est de l'Algérie, on observe que les IDE hors hydrocarbures restent limités et ne s'orientent pas vers l'industrie, préférant les services (téléphonie, immobilier et secteur bancaire notamment). Cet investissement peut également être d'origine interne. En Algérie, le taux d'épargne représentait environ 57% du PIB en 2007 alors que le taux d'investissement n'était que d'environ 33% du PIB ; soit un taux de thésaurisation de 24% du PIB. Le potentiel d'investissement interne de l'économie algérienne est donc important. Ainsi l'enjeu pour l'économie algérienne reste la transformation, à un rythme plus soutenu, de l'épargne en investissement. Cela, tout en orientant l'investissement vers la production industrielle. Ce rôle de transformation est traditionnellement dévolu aux banques et aux marchés de capitaux. Les marchés de capitaux étant à l'état embryonnaire et face à l'absence de fonds de capital investissement en Algérie, seules les banques peuvent être appelées à jouer ce rôle. Or les banques publiques, qui récoltent plus de 85% des dépôts, destinent une faible part de ces derniers au financement d'investissements productifs. Aujourd'hui, les liquidités «dormant» dans le secteur bancaire algérien représentent plusieurs milliards de dollars et sont en très forte croissance: près de 29 milliards de dollars fin 2007 (soit 74% de plus qu'à fin 2006). Et il est aujourd'hui établi que les banques publiques algériennes remplissent mal leur rôle de transformation. Par ailleurs, les banques privées (aujourd'hui toutes étrangères) présentes en Algérie consacrent une large part de leurs financements à la consommation (3), notamment à travers le crédit automobile (4). Elles arguent que le climat des affaires n'est pas assez favorable, et qu'une grande part des projets d'investissement ne sont pas assez mûris pour qu'elles prennent le risque de les financer. Il en résulte donc qu'en Algérie les secteurs de production, créateurs de richesse et d'emploi, peinent à financer leurs investissements. Face à l'absence d'acteurs jouant le rôle de financement de l'investissement productif en Algérie, un fonds national dédié à ce type d'investissement, détenu par l'Etat, pourrait jouer ce rôle. Ce fonds s'inscrirait dans une stratégie économique à moyen terme, elle-même au service d'une vision à long terme pour l'Algérie. Néanmoins, la définition de cette stratégie et de cette vision ne nous paraissent pas des prérequis à la création d'un fonds d'investissement étatique. Dès sa création, ce fonds pourrait contribuer à remplir ce rôle indispensable à la bonne santé de l'économie qu'est la transformation de l'épargne en investissement productif. Une fois mis en place, il apporterait une impulsion nouvelle à la modernisation des structures managériales en Algérie et contribuerait à l'élaboration d'une stratégie de développement dont il faciliterait la mise en place par la suite. Objectifs stratégiques et avantages du fonds Le Fonds d'Investissement d'Etat (FIE) algérien serait un bras opérationnel des politiques de développement du pays et contribuerait, entre autres, à l'instauration d'une économie de marché encourageant l'entreprenariat et le développement de l'outil de production national. Historiquement, c'est par une intervention des Etats, dans le respect des règles de l'économie de marché que le développement de plusieurs puissances économiques a pu se faire. La récente crise a en outre marqué un retour à l'intervention directe des Etats dans l'économie. C'est dans cette logique que l'action du fonds doit s'inscrire. De manière concrète, le fonds aurait pour rôle d'investir directement dans les secteurs de l'économie identifiés comme stratégiques par la politique de développement du pays. Les investissements se feraient, bien évidemment, dans une logique économique et financière et non dans une approche permissive. L'objectif du fonds serait de réamorcer la pompe de l'investissement productif, et notamment en créant des champions nationaux dans les secteurs stratégiques et en suscitant l'émergence d'un réseau de PME compétitives et innovantes. A terme, le fonds pourrait toujours se désengager de ses participations suivant des stratégies de sortie préétablies. Ceci lui permettrait de récupérer de manière autonome des liquidités qu'il pourrait réinvestir dans d'autres participations. L'option naturelle que nous préconisons à cette fin serait l'appel à l'épargne publique à travers une cotation en Bourse des sociétés en portefeuille. Cette solution contribuerait à impliquer les épargnants dans le développement de l'industrie algérienne tout en les faisant bénéficier des bienfaits qui y sont liés. Le développement de l'actionnariat salarié et celui des petits épargnants permettra la création d'une classe d'investisseurs impliqués dans le développement des entreprises. En faisant d'eux, à la fois des acteurs et des investisseurs dans l'activité des entreprises, le statut d'actionnaire permettrait une meilleure perception des vertus et intérêts communs d'une économie de marché. Cela permettrait également de contribuer au développement des marchés de capitaux actuellement quasi inexistants. Le fonds pourrait bien entendu, conserver une participation majoritaire ou minoritaire lorsque la stratégie de développement du secteur et/ou l'intérêt économique le justifieraient. L'Etat pourrait assigner au fonds, dans le cadre de la politique économique élaborée par les autorités, des objectifs précis, par exemple: - Contribuer à l'émergence de champions nationaux dans les secteurs identifiés comme prioritaires par les politiques nationales de développement de l'économie. - Accompagner le développement d'un tissu de PME compétitives à travers la sous-traitance, l'innovation et/ou dans le cadre d'une politique de type «small business act» (5). - Prendre part au développement de l'innovation, par exemple, dans le cadre de pôles de compétitivité. Le tableau ci-dessous présente une vision synthétique des bénéfices directs et indirects que l'on peut attendre du fonds. Tableau n°1 : Principaux bénéfices à attendre du fonds FIE Principaux bénéfices directs à attendre du fonds - Mise à profit de l'aisance financière au service d'investissements durables et productifs - Emergence d'acteurs nationaux compétitifs dans les secteurs identifiés comme stratégiques pour l'Algérie - Création d'emplois et développement des compétences nationales - Réduction de la dépendance vis-à-vis de l'étranger et de la facture des importations - Développement des exportations hors hydrocarbures Principaux bénéfices indirects à attendre du fonds - Emergence d'un réseau de sous-traitants nationaux compétitifs, créateurs d'emplois et de richesses et pouvant proposer leurs prestations à l'international - Contribution à l'amélioration du climat des affaires et à la levée des barrières à l'investissement par l'action du fonds en tant qu'investisseur relevant de l'Etat - Diffusion des bonnes pratiques en matière de gouvernance et de management des sociétés - Contribution à la dynamisation et au développement des marchés de capitaux Gouvernance du Fonds d'Investissement d'État (FIE) algérien Pour que l'objectif stratégique recherché de soutien à l'investissement productif soit atteint avec efficacité, il ne suffit pas de créer le FIE. Il faudrait aussi lui assurer une mécanique de gestion performante. En effet, le fonds devrait être créé sur des bases nouvelles en rupture avec les modèles de gouvernance appliqués jusqu'ici. Ainsi, et c'est là un point clé, ce fonds ne devrait pas résulter d'une quelconque reprise ou réforme d'une structure existante. L'Etat veillerait à dissocier le management du fonds de son actionnariat en distinguant clairement les rôles et prérogatives qui y sont associés. Notre recommandation serait de rattacher un tel fonds aux plus hautes autorités exécutives de l'Etat. Ces autorités joueraient le rôle d'actionnaire du fonds, lui définiraient des objectifs économiques et financiers, auraient un droit de contrôle et de regard sur sa gestion. Au-delà de ces orientations et du rôle de contrôle que nous citons, l'Etat actionnaire ne devrait pas interférer dans le pilotage opérationnel, la gestion et le management du fonds. Les administrateurs et l'équipe managériale, rigoureusement sélectionnés et dont les compétences seraient reconnues au niveau international, devraient jouir d'autonomie et d'indépendance dans leur gestion. La mesure de la performance serait alors la clef de voûte du succès de ce modèle de gouvernance permettant d'éviter toute interférence du politique avec le management. Les objectifs assignés au fonds devraient être quantifiés et leur suivi mesurable. Cette mesure de la performance s'appuierait sur le suivi d'indicateurs clés de performance (Key Performance Indicators) de type Economic Rate of Return. Ces indicateurs auraient pour objectif de capter, au-delà des critères de rentabilité financière classiques d'un projet d'investissement, les bienfaits du projet sur l'économie en général, dites externalités positives (création d'emplois, contribution fiscale, etc.). Ils interviendraient à la fois dans le choix des investissements à l'origine, le suivi de leur réalisation et l'évolution du portefeuille dans le temps (stratégie de sortie). En interne, les bonnes pratiques de gouvernance seraient également au coeur des enjeux du fonds. Une discrimination des tâches devrait être observée entre les différentes fonctions. Les décisions d'investissement devraient être débattues et argumentées par un Comité d'Investissement regroupant les responsables des différents départements opérationnels, le dirigeant du fonds ainsi qu'un représentant de l'actionnaire. Ce Comité devrait également assurer un suivi régulier des activités et du portefeuille. Par ailleurs, un département d'audit et de contrôle, indépendant des départements opérationnels et des fonctions support devrait s'assurer du strict respect des procédures et bonnes pratiques managériales au sein du fonds. Au-delà d'assurer un bon fonctionnement du fonds, le respect de ces pratiques de gouvernance contribuerait à l'élévation des standards de gouvernance au sein des entreprises algériennes, publiques et privées. Conclusion: 5 piliers et 3 facteurs clés de succès pour le Fonds d'Investissement d'Etat algérien Cinq piliers - Un instrument de transformation de l'épargne en investissement productif. - Une contribution au développement de l'économie nationale à travers une économie de marché entrepreneuriale. - Une stratégie tournée essentiellement vers l'investissement national sur le long terme. - Une gestion indépendante dans le respect des objectifs fixés par l'Etat en tant qu'actionnaire majoritaire. - Une contribution au développement des pratiques managériales et des Ressources Humaines. Trois facteurs clés de succès Le Fonds d'Investissement d'Etat (FIE) algérien doit apparaître comme un facteur de rupture et de nouvel élan. La rupture doit s'exprimer de manière indispensable sur trois dimensions clés dont l'économie algérienne a pâti dans le passé. Une politique de Ressources Humaines privilégiant la compétence et l'expertise reconnues, à travers la formation et l'expérience professionnelle des ressources. Une Gouvernance s'établissant dans une structure nouvelle, avec un management autonome, indépendant de tout organe politique et rendant compte de ses activités à son autorité de tutelle. Une qualité de l'exécution irréprochable à travers des structures et procédures clairement définies dont le respect fera l'objet d'un contrôle continu et d'audits réguliers. * Docteur en économie et consultant au sein d'une société de conseil en finance, il est diplômé de la Louvain School of Management (Belgique) et des universités Paris Dauphine et Sorbonne Nouvelle. ** Consultant dans le bureau parisien d'un cabinet international de conseil en stratégie, il est diplômé de l'école des Hautes Etudes Commerciales de Paris (HEC Paris). 1- Ces fonds peuvent notamment être placés dans des actions, des produits de placements monétaires et obligataires ou permettre des prises de participation stratégiques dans des entreprises; à l'intérieur ou à l'extérieur du pays d'origine. 2- Le fonds Temasek, bras capitalistique de la politique de développement de l'Etat de Singapour, est à ce titre un cas d'école. 3- Consommation qui finance l'acquisition de biens produits à l'étranger. En Russie, par exemple, cet effet est différent car la consommation finance l'acquisition de biens produits localement. 4- Les crédits destinés aux achats automobiles ont représenté 900 millions de dollars environ en 2006. 5- Le small business act a vu le jour aux Etats-Unis en 1953. L'idée sous-jacente est d'encourager l'Etat à acheter des produits et services proposés par les PME nationales en leur accordant une priorité systématique sur un certain nombre de marchés publics. Dans ce cadre, en 2003, les PME américaines ont bénéficié de 65,5 milliards de dollars de marchés publics. Si l'on y ajoute la sous-traitance, le volume atteint 95 milliards de dollars. |
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