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Algérie - France : «Jeu intellectuel» pour une problématique pas simple

par Ghania Oukazi

Un mémorandum d'entente a été signé, hier, entre les Conseils économiques et sociaux algérien et français pour, a dit le président du CNES, « marquer les cadres d'actions collectives et pour adosser cette session conjointe à un cadre institutionnel ».

Il va falloir écrire des protocoles, les termes de référence de tout ce qui a été proposé dans cette session, si on veut que notre rencontre dans ce format fasse sens », avait déclaré Mohamed Seghir Babes avant d'apposer sa signature conjointement avec celle de son homologue du CESE français sur un mémorandum d'entente qui consacre justement ce qu'il venait de dire. « Il est impensable de penser la chose hors des Etats, mais il est attendu de nous de constituer des relais », avait-il aussi tenu à préciser. Des propos que partage le président du CESE français qui a ajouté, en référence « au jeu intellectuel auquel se sont prêtés les participants », qu'« il faut que nos pouvoirs exécutifs aient conscience de ce gisement que nous constituons ensemble, et les entraîner dans ce que nous voulons bâtir ensemble ».

Pour rappel, le CNES et le CESE français tiennent depuis dimanche une session conjointe de concertation pour, ont-ils dit, « comprendre et requalifier la relation entre l'Algérie et le France » en traitant du « rôle indépassable des sociétés civiles organisées face aux défis et enjeux d'une mémoire apaisée, car assumée et partagée ». L'initiative « inédite dans son format » se veut, selon eux, « être fortement fondatrice d'un espace de dialogue et de concertation entre les sociétés civiles organisées des deux pays ». La séance inaugurale, qui s'est tenue dimanche dernier au palais des Nations de Club des pins, a réuni des représentants divers issus de la société civile algérienne et française. Ils veulent ainsi exorciser la forte passion qui a de tout temps caractérisé la relation entre les deux pays.

Bien que « le jeu intellectuel » en vaille grandement et nécessairement la chandelle, la problématique posée n'est pas simple. Complexe et compliquée, elle oblige à des concessions de taille d'abord d'ordre moral. Ce qui n'est pas facile à arracher de part et d'autre. Comme premier pas, le CNES et le CESE français ont pris le soin de la sortir du carcan purement politique pour la placer au centre de l'intellectualisme qu'il charge de la requalifier. « Nous avons créé le décor », n'a eu de cesse de répéter hier le président du CESE. Sauf que le décor dont Jacques Demargne parle, s'il est maintenu tel quel du côté français, éloigne davantage les deux pays des objectifs fixés à cette session conjointe.

Les participants français présents au palais des Nations avec, à leur tête, le président du CESE, ont, en effet, bien balisé le terrain avant de se lancer dans le vif du sujet. Ils ont mis en avant quatre éléments, ceux soutenus par cet éditorialiste du Figaro, Alain Gérard Slama, à savoir que « la repentance ne doit pas être le fait des Etats mais des sociétés civiles » et « l'humiliation a été d'un côté comme d'un autre, ça c'est indiscutable ! ».

Jacques Demargne a plaidé, lui, la cause du projet du président Sarkozy qu'est l'Union pour la Méditerranée. Il a aussi appelé l'Algérie «le 2è pays de langue française» à adhérer à l'Organisation internationale de la francophonie.



Les 7 principes capitaux



Il est clair que ces « demandes » n'ont pas été ignorées par le président du CNES qui, à chaque fois qu'elles ont été réitérées, les a recentrées conformément aux exigences algériennes. « On s'est dit des choses qu'on n'avait pas penser pouvoir dire, avec toute la courtoisie requise, on a brisé le tabou, ça ne veut pas dire qu'on a réglé le problème mais on va se donner le temps de le faire », avait-il soutenu entre autres propos.

Mohamed Bahloul était de la partie pour parler « capital humain comme plateforme pour dire ce que nous devons faire ». Spécialiste en la matière, directeur de l'Institut de développement des ressources humaines qu'il est, Bahloul considère que le développement du capital humain est un « puissant levier de la coopération ». Il met, pour cela, en évidence « la nécessité de déconstruire ce passé » pour pouvoir le reconstruire.

« C'est la valeur, la rationalité, la projection, avec toute l'approche en termes d'éthique que porte le capital humain », explique-t-il. Il estime que c'est là la meilleure manière de bâtir de manière rationnelle en vue d'établir un consensus très large ». C'est sa vision de la nouvelle coopération entre l'Algérie et la France pour lancer des projets structurants. Pour cela, il met en avant sept principes : sortir des schémas classiques et aller vers la diversification des canaux et vers les agents du marché ; renforcer les pouvoirs publics en Algérie dans leurs capacités institutionnelles à gérer les programmes horizontaux (formation, recherche..) ; impliquer les entreprises françaises dans le développement des capacités managériales algériennes ; créer des institutions de référence « l'Ecole des affaires à Alger en est une, elle est le résultat direct de la diplomatie citoyenne », dira-t-il. Encourager la formation de femmes managers et entrepreneurs algériennes, soutenir les activités de recherche pour la création de pôles d'excellence et enfin, structurer le marché de la formation et de compétences en Algérie dans le sens d'une plus grande professionnalisation ». Bahloul en vient à l'essentiel par rapport aux blocages qui minent la relation des deux pays : la libre circulation des personnes qui, a-t-il dit, « va nous départager pendant longtemps ». Et pour ceux qui partent parmi les intellectuels algériens et qui ne reviennent pas, l'expert propose « de travailler sur la question ».

 

«Mais il y a des préalables»



Chritiane Therry, présidente de l'Organisation Familles de France, née à Oran, évoquera longuement « le grand humaniste algérien, l'Emir Abdelkader, qui a mis en avant sagesse et moyens spirituels ». Elle suggère « le retour à la famille comme cellule de base pour vivre dans la tolérance et le respect de nos différences ». Le représentant du CESE, dans la région Paca, parlera lui du système éducatif français duquel, dira-t-il, « sortent chaque année 150 000 élèves sans diplômes ». Mais, notera-t-il, « nous avons en face un système de formation permanente et nous devons créer chaque année 4 millions d'emplois ». Pour cela, il plaidera pour « dépasser les diplômes par la validation des acquis des expériences ». Il propose « d'aller vers des compromis constructifs au niveau des CES, créer des accords en plus des lois notamment avec les syndicats et mettre en place des conventions qui permettent de responsabiliser les acteurs au niveau des rectorats, des instances consulaires...». La vice-présidente de Seve sollicite le CNES pour «s'approprier» un congrès sur la formation et la migration devant se tenir en novembre prochain à Valence. Le vice-président du CESE et responsable à la Chambre de commerce de Paris propose « d'avoir des partenariats avec vous ». Chami, DG de la CACI, lui rétorque « la Chambre de Paris est la plus riche, c'est la plus puissante, on a pu mettre en place l'Ecole des affaires même si on a eu beaucoup de contraintes et pris beaucoup de temps, mais les Chambres régionales n'ont pas beaucoup de moyens, elles devraient sensibiliser les autorités centrales, nous avons besoin de l'implication des pouvoirs publics et de conseils régionaux pour construire des partenariats ». Le représentant de la Chambre de Paris relève que « les choses commencent à changer par la régionalisation à travers la réforme des chambres, l'on parle de formation, on peut proposer des choses à ceux qui s'occupent des commerces et des petits commerces ». Le représentant de la région Paca, natif de Sig, intervient pour souligner que « la France et l'Algérie ont le devoir de construire et de développer entre elles des partenariats exemplaires ». Partenariats qu'il voit « au-delà des Etats, bâtis par les sociétés civiles ». C'est ce qu'il appelle « la coopération de décentralisation ». Le recteur de l'Université de Bab Ezzouar, Benali Benzaghou, fera savoir qu'il existe plus de 300 accords formels entre les universités algériennes et celles françaises. « un Algérien sur quatre est à l'école, cela représente des besoins considérables, nous avons 1,2 million d'étudiants dont 57 % sont des filles», signale-t-il. Kada Allem, mathématicien, estime que « le cadre de la coopération est étriqué, il ne nous permet pas de faire de la coopération de qualité ». Babes dira en dernier « tant que les tabous ne sont pas levés, tant qu'on ne s'est pas complètement saisi de tout cela, nous devons interpeller la mémoire commune, mais il y a des préalables».