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Agressions, incompréhension, démission... Quand l'école se fait violence

par B. Mokhtaria

Rampante et bien réelle, la violence a fini par atteindre l'école, un lieu de savoir. Qu'elle soit verbale ou physique, la violence fait toujours des victimes. L'enseignant et l'élève sont confrontés tous les deux à ce phénomène, devenu sujet de discussion quotidien au sein des établissements scolaires. Jusqu'où s'est étendue cette violence ?

Les avis divergent sur la question en l'absence d'une étude approfondie sur le phénomène. Une chose est sûre, les voix commencent à s'élever pour dénoncer ces comportements d'agressivité auxquels est confrontée l'école actuellement. Les cas de violence, pour plusieurs raisons, ne sont plus étouffés aux sein des établissements scolaires. La situation a débordé et le débat est désormais public. Peut-on parler de victimes et de coupables dans une situation pareille ? Les acteurs intervenant dans le système éducatif sont très hésitants pour donner le qualificatif de coupable à l'auteur de la violence car le phénomène touche, en effet, une frange de la société très sensible et toute condamnation peut contrarier et l'avenir de l'élève et l'avenir de l'enseignant car les statistiques montrent à des degrés différents que des plaintes ont été déposées au niveau de la direction de l'Education d'Oran par des enseignants agressés par des élèves et par des collégiens et lycéens qui ont subi des comportements violents de la part de leurs enseignants en classe. A Oran qui vient de vivre deux cas de violence estimés graves par les conseils de discipline des deux établissements scolaires où se sont produits ces incidents, à savoir le lycée Lotfi et celui de Zabana à Arzew, le débat est encore ouvert sur le phénomène puisque cette fois-ci, le corps enseignant a réagi par des mouvements de protestation et des sanctions ont été prononcées à l'encontre des élèves auteurs des actes incriminés. L'expulsion qui est la sanction décidée par le conseil de discipline de l'établissement à un des élèves du lycée Lotfi, et qui a été confirmée, mercredi, par la commission de recours de wilaya, a été difficile à digérer pour les parents d'élève. Pour le lycée Zabana où cinq élèves devaient passer devant le conseil de discipline, tout le monde appréhende cette sentence. C'est l'avenir de cinq lycéens qui est en jeu. Pour un élève scolarisé dans un CEM à Aïn El-Turck qui a été, lui, agressé par son enseignant, le «verdict» n'a pas encore été prononcé. Le dossier est actuellement entre les mains de la commission de recours. Il s'agit, selon le dossier transmis à la direction de l'Education, d'un collégien ayant obtenu d'excellents résultats au cours du dernier trimestre. Ces trois cas ne sont pas les seuls enregistrés, beaucoup d'autres sont relatés dans les différents établissements scolaires. La majorité des enseignants parlent de cas de violence quotidiens verbale et physique.



60 cas par an officiellement



Du côté de la direction de l'Education d'Oran, il est fait état de 60 cas par an traités par la commission de recours pour les agressions d'enseignants par les élèves et de dix cas pour les agressions d'élèves par les enseignants. Ces chiffres, nous explique un responsable à la direction de l'Education, ne concernent que les cas jugés graves. Pour les autres, ils sont réglés par les conseils de discipline de chaque établissement sans passer par la commission de wilaya. D'autres encore sont étouffés à l'oeuf par un règlement à l'amiable entre les deux parties.

Pour les types d'agressions, elles sont multiples, selon certains enseignants et élèves avec qui nous avons discuté. Les collégiens et lycéens sont frustrés par certains de leurs enseignants qui les traitent de tous les noms. «Vous êtes des ânes, vous ne méritez pas d'être à l'école !» ou encore «la grosse, au lieu de manger, il faut étudier». Ce sont, assurent des élèves, des propos tenus par certains enseignants. Nous n'avons pas relaté d'autres propos plus graves, que des collégiens assurent avoir entendu en classe. Ces agressions verbales, affirment des élèves de CEM, conduisent souvent à des disputes entre enseignants et collégiens et évoluent dans la plupart des cas à la menace et la violence physique au sein même de la classe et devant tout le monde.

Certains enseignants racontent qu'un directeur d'école a été attaqué par un élève. Ce dernier n'ayant pas supporté d'être giflé devant ses camarades. Il a mis le responsable par terre dans un moment de colère. Des enseignants ont reçu des coups de poing ou de tête donnés par leurs élèves parce que la tension est montée d'un cran pour un exercice non fait ou une leçon non apprise ou encore pour avoir perturbé la classe et fait le clown devant ses collègues.

Conséquence de tous ces comportements, la sanction qui n'est toujours pas du goût de tout le monde.



Manque de communication ou conflit de générations



Avant de parler de punition, les enseignants ont essayé d'expliquer, chacun selon son expérience, les raisons de l'apparition de ce phénomène à l'école. Par quelle porte la violence est rentrée dans nos établissements scolaires ? Qu'est-ce qui a fait que la situation dégénère à ce point ? Existe-t-il des moyens de prévention pour atténuer le phénomène de la violence ? Sommes-nous en état d'alerte si l'on sait qu'à l'université un crime a été commis dernièrement par un étudiant qui a poignardé son professeur dans son bureau ?

C'est à toutes ces questions que éducateurs et psychologues ont tenté de répondre avec des réserves sur le degré des sanctions.

Les enseignants sont affirmatifs. La violence est devenue, avec le temps, un vécu quotidien. Ils sont aussi unanimes à déclarer que l'école vit actuellement un problème de communication assez grave qui ferme toutes les portes du dialogue et crée un conflit de générations. Les jeunes ne se sentent pas écoutés par leurs aînés. Les enseignants ne se sentent pas respectés par leurs élèves. Cette perturbation dans la chaîne de communication développe, en effet, selon des spécialistes dans le domaine, des sentiments de frustration et de colère qui conduisent à la violence. Un enseignant du moyen ayant 20 ans d'expérience dans l'enseignement estime que le fond du problème réside dans les textes de loi qui régissent le système éducatif. «Chaque fois, il y a de nouvelles lois qu'il faut appliquer et chaque fois il y a une réaction de la part du corps enseignant lorsque ces textes de loi ne répondent pas à leurs préoccupations. L'exemple le plus simple est la dernière loi interdisant le maquillage pour les filles à l'école. Comment l'appliquer si on est confronté à une contestation de la part des élèves elles-mêmes et des parents aussi qui nous disent, nous sommes libres de permettre à nos filles de porter ce qu'elles veulent». Pour cet enseignant, «le passage d'un système à l'autre entre les années 70, 80 90 et 2000 a laissé des séquelles et créé cette tension au sein de l'école». Un autre enseignant du secondaire incombe une part de responsabilité de tous ces comportements violents des enfants, aux parents. «Certains parents sont démissionnaires. Nous ne les voyons que lorsque leurs enfants ont de mauvaises notes et se présentent pour demander au prof plus de points. Ils sont, cependant, absents au courant de toute l'année». «Idem», dira le même interlocuteur, «pour certaines associations de parents d'élèves qui sont aussi négligentes quant au rôle à jouer dans l'éducation des élèves».

Son collègue parle de trois types de violence à l'école. La violence entre élèves, la violence élève-enseignant et aussi la violence parents-enseignants. Selon lui plusieurs facteurs rentrent en jeu dans les scènes de violence à l'école. «La cellule familiale, la parabole, le mode de recrutement des enseignants, le manque de formation et le manque de communication». Pour plus d'explication, il dira, «il ne faut pas blâmer que l'élève, l'enseignant a aussi sa part de responsabilité. Le recrutement se fait mal. Il suffit de réussir dans un concours et commencer tout de suite à enseigner sans passer par une formation. L'éducation commence dans la cellule familiale en passant par le primaire jusqu'au lycée. Actuellement, les défaillances sont à tous ces niveaux et cela ne peut qu'engendrer un problème de communication entre les différentes parties. Résultat, une violence verbale qui peut glisser facilement à la violence physique».



Y a-t-il de bonnes sanctions ?



Lorsque nous avons abordé la question de la sanction avec nos interlocuteurs, il a été difficile pour chacun de dire «oui l'expulsion ou la mise à pied est la seule solution pour mettre fin à de pareils comportements». Tout le monde ne pouvait pas s'empêcher de lancer «le oui mais» car estimant que c'est tout l'avenir de l'élève ou de l'enseignant qui est en jeu lorsque la sanction est prononcée. Ni partisans du tout répressif ni partisan du laxisme, les éducateurs ont eu du mal à prendre position. Le représentant de la direction de l'Education a bien expliqué que «le conseil de discipline et la commission de recours prononcent de telles sanctions dans les cas jugés très graves. Nous essayons toujours de récupérer l'élève auteur de violence. Nous procédons généralement par le transfert de l'élève vers d'autres classes ou vers d'autres établissements scolaires». Pour les enseignants, pardonner sous la menace ou par peur ou pour une autre raison ne réglerait pas le problème. L'expulsion est, certes, une sanction lourde mais être agressé par son élève est aussi un acte qui développe un sentiment d'insécurité dans un lieu de savoir et de sciences.

Interrogée sur l'ampleur de ce phénomène, une psychologue déclare que «jusqu'à présent, nous ne savons pas si réellement la violence prend de l'ampleur dans les écoles car il n'y a pas eu de véritables enquêtes ou études faites à travers le territoire national pour évaluer la chose». Sur les causes de cette violence, la psychologue affirme que plus le jeune adolescent est frustré et moins écouté, plus se développe en lui cette violence».

La sanction peut être à double tranchant, estime cette spécialiste, car «l'expulsion d'un élève de l'école peut faire de lui un délinquant et aussi une victime aux yeux de ses camarades». Qu'est-ce qui cloche chez les jeunes ? Pour la psychologue tout est une question de notre conception de cette jeunesse.

 Une conception qu'il faut revoir pour comprendre ces adolescents qui passent par une phase difficile et qui n'arrivent pas à supporter le développement de leur corps. «Il ne faut pas», dira la psychologue, «affronter ces jeunes avec un discours guerrier. Les éducateurs ainsi que les parents doivent leur expliquer les règles, communiquer avec eux. Animer des débats sur la violence en classe. S'il est question de respecter le règlement intérieur de l'établissement, eh bien il faut l'expliquer à ces élèves.

Ces adolescents âgés entre 10 et 19 ans, ce sont des personnes qui doivent être respectées en tant que telles. Ces jeunes ont besoin de mûrir, il faut leur laisser le temps pour cela. Permettez à un jeune adolescent de dire non pour quelque chose qu'il ne veut pas faire et lui expliquer ensuite pourquoi il faut la faire». Ce que cette spécialiste «conseille» aux éducateurs et parents est de ne pas rentrer en conflit avec les jeunes et leur imposer une rentabilité immédiate dans leurs études. «C'est facile», dira-t-elle, «d'être père et mère mais c'est difficile d'être parents».

Elle déplore, d'autre part, «l'absence totale d'assistance psychologique au niveau des établissements scolaires. Il existe des conseillers pédagogiques mais pas des psychologues pour accompagner l'élève d'un travail psychologique en cas de violence.» Pour ouvrir le débat sur ce phénomène, le ministère de l'Education vient de programmer des conférences sur le sujet qui seront organisées dans toutes les régions. Est-ce suffisant ?