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L'Iran contemporain : entre révolutions et coups d'Etat

par Aït Benali Boubekeur

L'Iran vient de célébrer le trentième anniversaire de la révolution islamique de 1979. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la propagande occidentale, colportée jusque-là sur l'Iran, ne visait qu'à lui porter préjudice. Ainsi, depuis trois décennies, les articles et reportages ne montraient ou ne décrivaient que les foules fanatiques et des femmes en tchador noir, un pays totalitaire et obscurantiste, a écrit l'auteur de « Iran : la révolution invisible », Thierry Coville.

Bien que le régime iranien ne soit pas le modèle à envier, il n'en reste pas moins que la société iranienne ne s'est pas figée, et ce, malgré un embargo rigide, infligé par les Etats-Unis depuis 30 ans. Par ailleurs, depuis l'élection d'Ahmadinedjad à la tête de l'Etat iranien, l'administration américaine s'est acharnée contre son régime en le qualifiant dans l'un des discours de G.W.Bush, en janvier 2002, comme faisant partie de « l'axe du mal ». En effet, durant le règne de G.W.Bush, l'intervention militaire contre l'Iran n'a jamais été exclue. Cette velléité de contrôler la région, c'est-à-dire le Proche-Orient, est dictée par l'esprit mercantiliste des Occidentaux afin d'avoir une mainmise sur l'or noir, dont les réserves atteignent les deux tiers de l'ensemble de la production mondiale. Du coup, quelle que soit la nature de la révolution dans la région, les puissances étrangères déployaient et déploient tous leurs moyens pour les saborder. En Iran, les trois événements ayant marqué cette ancienne civilisation ont connu une intervention étrangère musclée. Les deux premières n'ont pas survécu aux coups durs portés par les étrangers. La dernière n'a pas encore vacillé, bien que l'Amérique n'attende que le moment opportun.



Le premier régime constitutionnel du monde musulman



Depuis l'avènement de l'acception Etat-nation, l'Iran a été le premier musulman à s'être doté d'une constitution. En octobre 1906, les divers groupes sociaux, y compris les religieux, ont mis en place un système politique reposant sur la démocratie et l'Etat de droit. Un an plus tôt, la connivence du roi, pour l'octroi d'une concession sur la vente et l'exportation de tabac à un amiral anglais, avait exaspéré la population. Ce mouvement nationaliste s'était assigné alors un objectif à court terme : faire cesser l'influence anglo-russe dans leur pays. Suite à cette pression populaire, le prince Muzaffar al-Din Shah a signé une proclamation donnant naissance à la première assemblée constituante. Bien que les groupes aient été hétérogènes, ces derniers s'étaient entendus sur trois réformes capitales : le constitutionalisme, le sécularisme et le nationalisme. Selon Thierry Coville, les trois réformes avaient pour ambition la mise des gardes-faux. Ainsi, pour l'auteur : « Le constitutionalisme permettait de lutter contre le pouvoir royal, le sécularisme contre le pouvoir religieux et le nationalisme contre les influences étrangères ». Toutefois, le nouveau régime n'a pas survécu aux pressions extérieures. Le pays, qui s'appelait à l'époque la Perse, a sombré vite dans l'anarchie. Du coup, la troisième réforme n'a pu se concrétiser à cause de l'intervention étrangère permanente. L'opposition au régime a bénéficié d'un soutien indirect, mais décisif, de la Russie et de l'Angleterre.

Cependant, la position de la Perse pendant la Première Guerre mondiale a été fatale pour l'avenir de son constitutionalisme. En effet, exhortée par les alliés à les rejoindre, la Perse a adopté la position de neutralité. Par ailleurs, le ressentiment du peuple perse à l'égard de Londres et de Moscou a penché la bascule vers le blog germano-turc. Ce choix a provoqué la prise du territoire perse par les deux puissances alliées. Le gouvernement, mis en place à la fin des hostilités, a été favorable aux deux pays. Cette situation a permis à Reza Khan de renforcer la monarchie en 1921. Quatre ans plus tard, le roi, de la lignée de Pahlavi, a mis fin au régime précédent, en se proclamant Shah. Il a également débaptisé la Perse en lui préférant le nom d'Iran. Bien que le nouveau régime se soit appuyé principalement sur l'armée, dont le budget a été multiplié par cinq entre 1926 et 1941, plusieurs réformes modernistes ont été mises en oeuvre. Le statut de la femme a été amélioré. Et les établissements scolaires étaient contraints, tout au long de cette période, d'accepter les filles sous peine d'amende. Cependant, une fois de plus, le déclin du nouvel Iran a été à l'origine de l'immixtion de la Russie et de l'Angleterre dans les affaires intérieures de ce pays. En effet, la neutralité de l'Iran lors du second conflit mondial a provoqué l'invasion russo-britannique de son territoire, le 16 aout 1941. Cette fois-ci, aux deux forces alliées présentes sur le terrain, un nouveau pays, les Etats-Unis, a fait son entrée sur la scène moyenne-orientale en général, et iranienne en particulier.



Le mouvement de nationalisation des années cinquante



L'opposition des forces étrangères à toute forme de nationalisme iranien, qui remettrait en cause leurs intérêts, a fragilisé la société. Mais, dès 1950, le Front national, que dirigeait Mohammad Mossadegh, s'est opposé, selon Thierry Coville, à la renégociation de l'accord de 1933 avec l'Anglo-Iranian Oil Camapany (AIOC). Il a même milité pour que cette société soit nationalisée. Suivi dans cette contestation par la population, le parti de Mossadegh a été majoritaire aux élections de mai 1951. L'intervention étrangère, suite au coup d'Etat fomenté par la CIA, a été une nouvelle fois à l'origine de la chute du régime nationaliste. En effet, dans le documentaire intitulé « le dossier secret de la CIA », l'auteur du coup d'Etat, Richard Helms, a avoué avoir obéi aux injonctions de la nouvelle administration du président Eisenhower. Le coup d'Etat d'août 1953, qui a remis le pays aux mains de Mohammed Reza Shah, a mis fin à cette expérience d'un pouvoir nationaliste légitime et fruit d'un processus démocratique. Certes, le Shah a repris la totalité du pouvoir, mais l'opinion iranienne savait désormais que le roi entretenait une complicité avec une puissance étrangère, en l'occurrence les USA. En effet, l'influence des Etats-Unis, heurtant à ce titre le nationalisme iranien, n'a pas été digérée pas la majeure partie de la population. Ils reprochaient au roi de les avoir éloignés de la gestion de leur pays au profit d'une nation étrangère. Pour se pérenniser, le roi recourait systématiquement à la répression, sans vergogne, des manifestations en s'appuyant derechef sur l'armée et la SAVAK (les services secrets). Toutefois, bien que la réforme agraire de 1963 ait été de nature à garantir l'autarcie économique du pays, la rue était ouvertement sceptique à toute réforme émanant du roi. L'opposition libérale a décidé de s'associer avec les religieux pour contrer l'emprise du roi. Ce dernier a recouru, comme d'habitude, à la répression des manifestations. Il y avait également plusieurs arrestations, dont celle du guide Ayatollah Khomeiny.

Libéré contre la promesse de ne plus faire de déclaration publique, ce dernier a enfreint la clause, en octobre 1964, en critiquant la loi qui prévoyait d'attribuer l'extraterritorialité politique au personnel militaire américain.

Le départ du guide religieux pour la Turquie dans le premier temps, et Nadjaf (Irak) ensuite, a seulement donné un répit relatif au régime du roi. Car l'opposition a glissé vers les extrêmes comme l'a bien noté Thierry Coville : « Succédant au début des années 1960 au mouvement nationaliste libéral de Mossadegh, marqué et affaibli par le coup d'Etat de 1953, l'opposition religieuse au shah est vite apparue comme l'opposition nationale la plus légitime ».



Vers la révolution théocratique



Le discrédit du mouvement réformateur, incapable de changer le cours des événements, a porté au devant de la scène une opposition de plus en plus radicale et religieuse. Le laminage des forces libérales a rendu l'équation, pour les nationalistes, plus alambiquée. Leur silence allait avantager le maintien de la dictature royale et leur mobilisation ne pouvait conduire qu'à instaurer un régime théocratique. Le spécialiste de la révolution iranien, Thierry Coville, a estimé que la condition sine qua none d'un éventuel changement résidait en fait dans le rassemblement le plus large possible des différents groupes sociaux. Il a noté à ce propos : « la répression des soulèvements menés en 1963 par les religieux, lors de la révolution blanche, confirma qu'un mouvement politique national de protestation contre la dictature royale ne pouvait réussir et durer en Iran que s'il reposait sur une alliance durable entre les classes moyennes modernes, d'un côté, et le bloc traditionnel, classes moyennes traditionnelles et clergé, de l'autre ». Dans les années 1970, plusieurs événements ont concouru à ce qu'une alliance soit scellée entre les différents groupes. En 1971, le roi a mis en place une politique culturelle consistant à glorifier la période préislamique. Pour ce faire, il a débloqué une enveloppe conséquente pour la célébration du 2500e anniversaire de l'Empire achéménide.

Dans la foulée, le calendrier habituel, celui de l'Hégire, a été remplacé par celui correspondant à la date de la création de cet Empire. Bien que le roi ait instauré des lois libérales, dont celle relative à la protection de la famille et celle accordant aux femmes le droit au divorce et la garde des enfants si le tribunal compétent le décidait, la société traditionnelle n'a pas adhéré à ces nouvelles dispositions. En effet, seules les femmes des classes aisées ont adhéré de façon effective à ces réformes.

En revanche, sur le plan économique, la détérioration de la situation a débuté avec la crise pétrolière de 1973. Sur l'ensemble du règne du Shah, le bilan était surtout mi-figue mi-raisin. En effet, bien que la croissance économique ait été très positive pendant plusieurs années de suite, il n'en demeure pas moins que les projets ont été financés grâce à la hausse des prix du pétrole. Quant à la corruption, celle-ci a touché tous les niveaux de la société conduisant au détournement de sommes colossales. Conséquence de cette gabegie, le fossé séparant le roi et la société allait grandissant. Selon Evrand Abrahamian, cité par l'auteur, l'erreur du roi résidait dans la stratégie suivie : « en se reposant sur l'armée, un système politique clientéliste et l'appareil bureaucratique, le souverain s'est ainsi peu à peu isolé de la société ». Par ailleurs, profitant de la récrimination du président Jimmy Carter en 1976 au roi, l'exhortant de cesser les brutalités contre son peuple, les forces religieuses ont profité de cet espace qui s'est libéré. L'erreur fatale s'est produite en février 1978, lorsque le quotidien gouvernemental a osé insulter l'ayatollah Khomeiny. Le lendemain, des milliers d'étudiants en théologie sont sortis dans la rue. La répression policière a été sans pitié. Ce jour-là, plusieurs morts ont été enregistrées du côté des manifestants. En constatant cette effusion de sang, la population s'est rangée du côté des révoltés. Le 7 septembre 1978, la foule a carrément demandé pour la première fois le départ du shah et le retour de Khomeiny. Cette pression s'est maintenue tout au long de l'année 1978. Le 16 janvier, le shah a fui le pays. Deux semaines plus tard, en provenance de France, Khomeiny est arrivé à Téhéran. La révolution islamique est ainsi née. Pour conclure, la découverte du pétrole au début du XXème siècle, en paroi à toutes les convoitises, a suscité un appétit incommensurable des Occidentaux. Les régimes successifs dans le Moyen-Orient ont été déstabilisés par les étrangers à cause de l'intérêt porté à leurs richesses. L'immixtion dans les affaires internes de ces pays a conduit à une multitude de coups d'Etat. Seuls les pays acceptant de coopérer avec eux ont bénéficié d'une paix durable. Le seul régime qui a résisté à ces coups fatals est pour le moment la révolution islamique d'Iran. Bien que le nouveau président américain, Barack Obama, ait voulu nouer un dialogue avec Téhéran, il n'en reste pas moins qu'un pays impérialiste ne change pas de cap de façon aussi instantanée. Ce qui est certain en revanche, c'est que, tant que cette révolution n'est pas déchue, la richesse pétrolière restera entre les mains des Iraniens.