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Des chiffres sans lettres

par Ahmed Saïfi Benziane

Trois millions d'emplois annoncés par le président pour les cinq années du prochain mandat. Le ministre de l'Intérieur annonce que 3 millions de familles ont été «visitées» pour la mise à jour du fichier électoral. Le même ministre annonce aussi que trois millions de formulaires pour la collecte des signatures ont été retirés par les candidats aux présidentielles. Voilà une bien curieuse coïncidence du même nombre. Il y a juste lieu de mentionner qu'il s'agit du troisième mandat et que les discours se basent exclusivement sur les chiffres, qu'ils soient bilanciels ou prévisionnels.

Le trois semble être le numéro gagnant. Des chiffres auxquels quelques lettres ne feraient certainement pas de mal, les grandes lignes nous ayant souvent caché les points les plus importants. Trois millions de chômeurs pourront donc trouver de quoi subvenir aux besoins de leurs familles en espérant que cette création d'emplois profite aux Algériens, maintenant que du monde entier nous sont venus des peuples studieux, pour construire notre pays, pour faire tourner nos usines, et rallonger nos routes en rétrécissant nos capacités de savoir-faire. Studieux et bien payés d'ailleurs. Tellement bien payés qu'on a envie de reprendre l'expérience avec la main-d'oeuvre algérienne en bien la payant cette fois. Juste pour essayer. On a servi de champ d'expérimentation à toutes les nations, on peut bien se permettre, pour une fois, de nous essayer comme ne dirait pas l'UGTA qui appuie sans conditions les candidats successifs du pouvoir. D'ailleurs par extension on pourrait même essayer les bureaux d'étude algériens, les experts algériens et les agriculteurs aussi. Juste pour essayer ce que pourrait donner un troisième mandat avec seulement des Algériens. De haut en bas. La guerre de Libération s'est bien faite par les Algériens, non? Le développement ne peut être plus difficile qu'une guerre. Sinon c'est qu'il y des doutes sur notre Histoire, ou sur notre indépendance n'en déplaise aux hâbleurs infatigables sur notre grandeur réduite à tendre la bouche aux céréales des autres et les joues aux innombrables gifles de la bonne gouvernance.

Trois millions d'emplois nouveaux en cinq ans est une promesse qui a de quoi dissuader les passeurs, leurs clients harraga, le marché informel, et étonner les plus grands experts mondiaux de la crise financière qui ont des choses à apprendre chez nous. Bref, le chiffre a été lancé sur la base d'un investissement de 150 milliards de dollars sur 5 ans. Les mains se frottent déjà sur la manière de récupérer, par les petits trous, ces 150 milliards, si ce n'est pas déjà fait, sans pour autant dire leur provenance et les détails de leurs destinations. D'ailleurs qui exige des détails? Le parlement, qui a approuvé la révision constitutionnelle pour permettre un troisième mandat de continuité? Le gouvernement qui se suffit à n'être qu'une caisse de résonance d'El-Mouradia en contrepartie de son immuabilité? Les partis politiques réduits à un moteur d'une propagande à la limite de l'insolence? L'armée qui n'a officiellement aucun rôle dans la vie politique mais qui tire les ficelles selon la loi de l'offre et de la demande? La justice qui a perdu le symbole de la balance pour se ranger sur le banc des accusés? Le peuple pauvre qui se soulève en fonction de ses douleurs passagères et revient à ses prières dès qu'on lui oppose l'image du père en danger de mort pour le culpabiliser, sans guérir définitivement les maux qui le rongent? Personne ne demande des comptes sauf lorsqu'il y a trop de bruit autour d'une affaire qui dépasse les frontières et qui risque d'attirer des ennuis d'ordre diplomatique. Qui évalue donc objectivement les effets induits par les investissements sur le bien-être social? Sur la parité de notre monnaie décimée par les réformateurs et enterrée sous la botte de l'euro et du dollar pour cause de mensonges abusifs?

150 milliards de dollars d'investissements, cela ne fait guère qu'un peu moins de 5.000 dollars par Algérien en 5 ans et moins de 3 dollars par jour, un seuil de pauvreté en matière de revenu. Mais la question n'est pas là, le drame c'est qu'on ne sait trop comment remettre la machine de production à l'épreuve de la substitution aux importations qui nous mettent en situation de dépendance éternelle et économiser les 150 milliards de dollars pour les mauvais jours. Il est de notre droit d'en réclamer l'usage car c'est de notre argent qu'il s'agit et que ceux qui veulent offrir un cadeau aux Algériens mettent la main à la poche, ils en ont suffisamment pris.

Remettre en marche cette confiance en un pays qui a donné jusqu'aux entrailles de sa terre pour voir fleurir les sourires des enfants, l'amour de quelques couleurs cachées par de longues années de colonisation et qui devaient illuminer l'image d'une Algérie sans corruption, sans violence, avec des gouvernants qui prennent des bains de foule sans craindre pour leurs vies.

Lorsque Chavez a demandé la réforme constitutionnelle pour lever la barrière du nombre de mandats présidentiels, on pouvait y lire une quelconque ressemblance avec ce qui se passe en Algérie et conclure au caractère sous-développé et autoritaire de telles pratiques. Mais Chavez l'a fait sur la base d'un référendum pour laisser à l'opposition une marge de manoeuvre utile à l'équilibre du pouvoir. Il a gagné parce qu'il a su laisser au rêve populaire son interprétation dans la réalité. Il a même su faire rêver les peuples arabes en une solidarité internationale quant à la question palestinienne. Il affronte par conviction idéologique la plus grande puissance de ce monde et marque des points à chaque pas franchi. Pendant ce temps nous affrontons les chiffres sans leur donner de sens.

Pendant ce temps nous nous débattons à consulter www.Bouteflika2009.com et la seule réponse qui s'affiche est: «Le site sera très prochainement en ligne. Nous vous remercions de patienter.» Peut-être qu'avec Bouteflika. DZ qui rappelle nos anciennes plaques d'immatriculation, les choses auraient été autrement. Peut-être.