Il
est des décisions prises par l'Administration qui frisent parfois le ridicule. Un
ridicule qui, malheureusement, tue à petit feu le citoyen pourtant aguerri
depuis le temps aux pratiques scabreuses des ronds de cuir qui, entre deux
siestes bureaucratiques, vous pondent des textes qui flirtent vaguement, mais
vraiment de loin, avec la réalité du terrain. La France coloniale a pris la mer
en laissant sur les quais de l'Algérie une bureaucratie que les nôtres ont vite
fait d'adopter et d'adapter à la mentalité nationale. Depuis, l'école a produit
ce qui se fait de mieux en termes de bureaucrates et créé des monstres
papivores capables de rédiger trois textes contradictoires sans quitter leurs
chaises. Des bureaucrates à toutes épreuves qui régissent l'appareil
administratif, cherchant où la machine est bien huilée pour y mettre leur grain
de sable. Ils s'ingénient du matin au soir à compliquer la vie, déjà alambiquée
des Algériens en leur demandant sans cesse des papiers. Une spirale infernale
de documents à présenter, à cacheter, à recacheter, à photocopier en 28
exemplaires pour n'en garder qu'un, à se photographier, un grand sourire en
prime, aux côtés du document original pour attester de la paternité biologique
entre le concerné et son papelard. Des dossiers à n'en plus finir, des tonnes
de documents noircis, sales et repoussants. Des montagnes de papiers à
escalader pour pouvoir accéder au moindre désir de l'Administration. L'exemple
de l'extrait de naissance avec 55 cachets humides et quinze employés de l'état
civil en est la parfaite illustration. Des textes sortent quotidiennement des
usines de la bureaucratie nationale appelant, rappelant en mettant l'accent sur
la parfaite conduite à mener pour empoisonner l'Algérien. Demandant plus de
papiers, plus de cachets humides, plus de duplicata. A croire que les
bureaucrates sont payés au poids du papier et à celui qui exigera le maximum de
feuilles, les lauriers. A tous les échelons, une myriade de papier. Papier
canson, papier mâché, papier toilettes, papier à priser, l'essentiel c'est
qu'il y a profusion de papier à signer, à vérifier par trois contremaitres
assermentés, à lire en parallèle, en biais et par-dessus la jambe. Des dossiers
à empiler, ficelés, empaquetés prêts à être jetés aux vide-ordures. Des
documents attestant que vous êtes en vie, une carte d'identité qui ne sert à
rien si vous ne présentez pas avec elle un extrait de naissance. Enfin, un
royaume où le papier est roi et où le bureaucrate est Dieu.