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Comment l'Europe doit-elle réagir à l'émergence d'une Russie hostile sur son flanc oriental ? Les différents pays européens ont réagi de différentes manières, sous l'influence de leur expérience historique et de leurs intérêts économiques. Il est pourtant indispensable que l'Union européenne élabore une politique unie qui réconcilie ces intérêts et points de vue nationaux divergents. L'Europe ne peut pas se permettre de ne pas résister à l'agression géopolitique de la Russie et elle doit être unie pour avoir la moindre chance de succès. Une politique européenne commune ne peut pourtant pas être uniquement d'ordre géopolitique, parce que dans ce cas l'intérêt commun ne serait pas assez fort pour surmonter les intérêts de chaque État membre. La Russie pourrait alors diviser pour régner comme elle le fait aujourd'hui. En termes purement géopolitiques, la Russie a la haute main. La supériorité de l'Europe réside dans ses valeurs et principes en tant que société ouverte, démocratique, pacifique, prospère et respectant l'État de droit. Ces valeurs ont toujours eu un attrait particulier pour les populations de l'ancienne Union soviétique, que ce soit pour le peuple ou les dirigeants, malgré le fait que l'Occident n'ait pas toujours accompagné ces valeurs et principes par des actes dans le passé. L'aspiration aux et l'admiration des valeurs européennes sont en conséquence mélangées à la déception et à la rancœur, et le régime de Poutine a ainsi pu profiter d'un soutien enthousiaste pour appâter l'Occident et marquer des points dans le jeu géopolitique. Il n'en reste pas moins que la Russie reste sensible au charme de l'Europe. Historiquement, la Russie a toujours désiré faire partie de l'Europe, et le régime de Poutine est conscient du fait que le retour à l'isolement de l'Union soviétique serait un prix élevé à payer. Mais la position géopolitique plus musclée de la Russie vis-à-vis de l'Europe masque des faiblesses considérables dans d'autres domaines. Son système politique autoritaire étouffe l'entreprise privée et l'innovation. Il n'y a pas d'État de droit, et bien plus d'efforts sont consacrés à la corruption et au racket qu'à la production. Le progrès économique n'a donc pas progressé au même rythme que l'accumulation des revenus pétroliers. Ces faiblesses sont devenues plus apparentes avec le déclin du prix du brut. Une autre grande faiblesse est la démographie du pays. Le territoire russe, pourtant immense, ne compte que 140 millions d'habitants. Une partie croissante de la population est en outre composée de minorités musulmanes qui ont un taux de naissance supérieur à celui des Russes de souche. Au cours de la prochaine décennie, la population totale devrait compter 10 millions de personnes de moins. La Sibérie, riche en ressources, mais très faiblement peuplée, partage une frontière avec la Chine, immensément peuplée et ambitieuse, mais manquant de ressources naturelles. Si les républiques d'Asie centrale venaient à être coupées de l'Occident, il est probable qu'elles se tournent vers la Chine pour éviter de devenir totalement dépendantes de la Russie. Dans la durée, la stratégie opportuniste de Poutine envers l'Occident risque de se révéler aussi contreproductive que l'attitude provocatrice de Saakashvili, le président géorgien, envers la Russie. Mais dans le court terme, le fait que la Russie poursuive son aspiration de longue date à faire partie de l'Europe en devenant son entité dominante représente un danger bien réel. Dans ce contexte, l'Europe doit adopter une stratégie sur deux fronts. Elle doit d'un côté se protéger de la menace géopolitique posée par une Russie à nouveau sûre d'elle-même et entreprenante. De l'autre, elle doit chercher à remplacer l'usage de la force par l'État de droit, et les stratégies géopolitiques par la mise en place de la démocratie, de sociétés ouvertes et de la coopération internationale. Il ne sera pas possible pour l'Union européenne de forger une politique commune sans cette approche sur deux fronts. Dans un jeu purement géopolitique, il y aurait trop de profiteurs et de transfuges, tandis que dans une approche sur deux fronts, chaque État membre pourrait trouver sa place. Comment neutraliser l'avantage géopolitique de la Russie ? En établissant une politique énergétique européenne unifiée dont la direction aurait la précédence sur les réglementations nationales, parallèlement à un réseau de distribution pour toute l'Europe. Cette stratégie priverait la Russie de sa capacité à jouer un pays contre l'autre, parce qu'une concession octroyée à un distributeur national serait immédiatement disponible pour les consommateurs de tous les autres pays. Les fournisseurs d'énergie commencent à en être conscients et à montrer moins de réticence envers une politique énergétique européenne commune. Cette évolution servirait également à réaliser un autre objectif commun, à savoir la lutte contre le changement climatique. L'autre front - promouvoir l'État de droit, la coopération internationale et les principes d'une société ouverte - doit être avancé indirectement, en réformant le système financier international et en donnant une attention particulière aux pays voisins de la Russie. L'Ukraine, notamment, est dans une position périlleuse, mais le financement de travaux publics créateurs d'emplois dans l'est du pays, où l'industrie de l'acier périclite, pourrait faire une grande différence, tant au plan politique qu'au plan économique. Il est également nécessaire d'aider la Géorgie à se remettre des dommages infligés par l'invasion russe, mais cette aide doit être conditionnée au respect des principes d'une société ouverte par le régime de Saakashvili. La Russie ne peut être aidée directement, parce qu'elle est trop soumise à un pouvoir étatique arbitraire, mais lorsqu'elle constatera les progrès de la coopération internationale, en particulier avec la Chine, elle ne voudra pas faire cavalier seul. Le soutien aux anciennes républiques soviétiques servirait les deux fronts d'une politique européenne unie vis à vis de la Russie. La Russie transgresserait toutes les valeurs d'une société ouverte si elle s'avisait de transformer ces républiques en pays satellites simplement du fait de sa suprématie militaire. Et l'Europe a de son côté un intérêt géopolitique à qu'elles restent accessibles comme source d'approvisionnement énergétique. Traduit de l'anglais par Julia Gallin * Préside le Soros Fund Management. Son dernier ouvrage est «Reflections on the Crash of 2008» |
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