C'est une affaire compliquée et dramatique qui était, hier, devant les
juges de la Cour d'appel d'Oran. Compliquée, car il s'agit d'une présumée
«erreur médicale» commise lors ou suite à un acte chirurgical. Dramatique, car
on y déplore deux victimes: un enfant condamné à une infirmité motrice et une
mère à la stérilité définitive. Et parce que, de l'autre côté, ce sont
l'honneur et l'avenir professionnel de deux médecins qui sont en jeu.
Compliquée, car, d'une part, les faits ne sont pas totalement avérés et, de
l'autre, prouver qu'il y a eu erreur médicale reste toujours un exercice autant
difficile que délicat. Sur les épaules de la Cour, qui s'est donné tout le
temps, deux semaines en fait, pour rendre justice, pèse assurément une lourde
responsabilité dans ce dossier, d'autant qu'il s'agit d'une juridiction de
«preuves» et non de «conviction». Il y avait beaucoup d'émotion, hier, au
procès en tout cas. Impassible, le président d'audience, le juge Benharadj
Mokhtar, a dû imposer son autorité pour dépassionner le débat. A la barre des
accusés, deux médecins, un pédiatre et une gynécologue, comparaissaient pour
répondre, respectivement, des chefs d'accusation de «faute médicale (article
239 du Code de la Santé)» et «blessures involontaires (article 289 du Code
Pénal). Les faits, tels que consignés dans l'ordonnance de renvoi et les différents
rapports médicaux, remontent au 2 novembre 2005. Ce jour-là, une femme, âgée de
34 ans, fut admise, à 4 h 20, pour grossesse à terme, dans une clinique
médico-chirurgicale privée, à Oran. Celle-ci accoucha, par césarienne, le même
jour à 10 h 15, d'une fille vivante pesant 2.800 grammes. A 10 h 45,
l'accouchée présenta, selon le rapport médical signé par le médecin spécialiste
en gynécologie obstétrique (une femme), un «saignement important». Face à
l'hémorragie incessante, l'équipe médicale décide alors de pratiquer une
«laparotomie exploratrice ou une hystérectomie d'hémostase», c'est-à-dire une
ablation chirurgicale de l'utérus. «La seule solution pour sauver la vie de
cette femme », selon ces médecins. La femme s'en sortira, en effet, mais... perdra
à jamais sa fécondité et ne pourra plus enfanter. Cette triste nouvelle, la
mère ne l'apprendra que quand elle se réveillera de son coma. Ce n'est pas
tout. Elle apprendra en outre que sa fille, Yousra, mise entre-temps sous
allaitement artificiel, est atteinte d'ictère (la jaunisse). Le médecin
pédiatre la rassura néanmoins en lui disant qu'il s'agit d'un ictère modéré,
d'une maladie bénigne. Le rapport médical concernant la nouveau-née Yousra
note: «Un ictère est apparu après la 24e heure sans hépato splénomégalie et
sous signes cliniques d'hémolyse. L'examen du 3e jour: mis à part la
persistance de cet ictère modéré, le reste de l'examen étant normal, l'enfant
est sorti de la clinique le 4e jour. Vu, lors de ma consultation, au 4e jour,
pour refus de tétée remontant à la veille, l'examen retrouve un enfant avec
attitude en opisthotonos avec un + ictère franc + généralisé, témoignant d'un
+ictère nucléaire+», cette dernière consultation ayant été faite au CHU d'Oran,
où a été transférée l'enfant qui, par suite de cette ictère nucléaire, est
devenue handicapée psychomoteur à 100%. Le juge d'instruction près la 1ère
Chambre du tribunal d'Oran a requis deux expertises médicales, qu'il a
confortées par une contre-expertise établie par un collège de cinq médecins du
service de pédiatrie ex-Marfan du CHU d'Oran. Les experts devaient apporter des
réponses à nombre de questions, dont notamment: «Quelles mesures médicales le
Dr B.A. devait-il prendre pour protéger le nouveau-né contre un handicap, et à
quel moment cela devait-il le faire ?», « Si le Dr B.A. avait examiné le
nouveau-né pendant 3 ou 4 jours sans faire les analyses sanguines, cela
constitue-t-il une faute médicale ?», «l'ablation de l'utérus était-elle une
mesure extrême pour sauver la vie de cette femme ? Y avait-il une autre
alternative ?». Les parents de Yousra sont convaincus qu'il y a eu «faute
médicale et négligence de la part des médecins». Ces derniers nient
formellement, affirmant avoir fait ce qui devait être fait. Le représentant du
ministère public a requis «l'application de la loi». La défense a plaidé la
confirmation du jugement prononcé en première instance, à savoir la relaxe pour
les deux médecins.