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L'un de mes amis habite Londres, et c'est de là qu'il me bombarde régulièrement de commentaires, souvent acerbes, sur ce qui fait l'actualité hexagonale en matière d'intégration et des minorités visibles. Nous échangeons beaucoup sur toutes ces joyeusetés qui nous font parfois sortir de nos gonds et à propos desquelles, il est souvent difficile de prendre la parole ou la plume sans risquer de se faire accuser de communautarisme ou même, la chose est plus récente, d'anti-occidentalisme. Cela fait quelques jours que je n'ai pas reçu de ses nouvelles et je pense deviner pourquoi. La vérité est qu'il me doit désormais deux repas à la suite de paris qu'il vient de perdre... « Je te parie tout ce que tu veux que Rachida Dati va donner un prénom français à son bébé, un truc style beaux quartiers ou alors très bobo », m'avait-il écrit en décembre dernier. « Elle ne pourra pas s'en empêcher, ça lui fera de beaux titres dans la presse et tout le monde saluera sa volonté d'assimilation ! ». Perdu ! J'avais relevé le pari, à la fois par esprit de contradiction mais aussi par intuition. Malgré toutes mes préventions à l'égard de la désormais ancienne ministre de la Justice, je me doutais bien que le choix du prénom de son enfant serait beaucoup plus consensuel. L'autre pari perdu par mon correspondant mal-inspiré concernait Obama (je sais, encore lui...). Extrait du message reçu à son sujet (c'était vers la fin décembre) : « Tu peux être sûr qu'il n'osera jamais prêter serment en disant 'Moi, Barack Hussein Obama'. Il va zapper 'Hussein'. C'est un prénom qui lui a attiré trop d'ennuis pendant la campagne. Il va vouloir rassurer une partie de l'Amérique profonde ». Encore perdu ! Ne voyez pas dans ces deux paris que de simples anecdotes. Tout cela relève d'une thématique ô combien délicate sur laquelle les esprits peuvent facilement s'échauffer. En ces temps de débats sur le rôle des minorités visibles et sur la place qui leur est faite, la question du prénom peut faire l'objet d'une âpre bataille souterraine et de discours qui ne relèvent pas toujours du politiquement correct. En effet, l'un des reproches parfois adressé aux Maghrébins de France, ou plus largement aux Euro-maghrébins, concerne justement leur entêtement à donner des prénoms arabes à leurs enfants nés dans l'Hexagone. De manière régulière, je vois passer des dépêches ou je reçois des témoignages faisant état d'un incident dans une mairie, où un employé zélé, d'aucuns diront vigilant, a tenté de s'opposer à ce qu'un nouveau-né reçoive tel ou tel prénom arabe. L'histoire se finit souvent au tribunal et les parents ont presque toujours gain de cause. Dans cette affaire, l'actualité et ses conséquences ne sont jamais loin. On peut imaginer le trouble d'un fonctionnaire quand un parent exige d'appeler son fils Oussama, Djihad voire même Islam ou encore de choisir Gaza pour sa fille... Mais, l'affaire ne se résume pas à ces seuls cas extrêmes. C'est la tendance générale des Maghrébins de France à donner des prénoms arabes à leurs enfants qui fait débat. Elle est ainsi souvent analysée comme étant l'expression d'une volonté destinée à refuser l'assimilation pour ne pas dire l'intégration. Là où d'autres communautés sont moins strictes, ou plus pragmatiques (c'est le cas par exemple de nombreuses familles chinoises qui font souvent le choix de deux prénoms, l'un français, l'autre chinois), les Maghrébins rechignent à appeler leurs enfants François, Charles, Amélie ou Laura. Interrogées, les familles concernées insistent sur le respect de leur identité voire de leur religion. Si, dans le premier cas, il n'y a pas grand-chose à redire, la seconde excuse est moins pertinente puisque rien dans l'Islam n'oblige à donner à sa progéniture des prénoms arabes. Mais c'est ainsi. Il faut aussi préciser que la pression des familles, le jugement des proches, sont parfois implacables et par volonté de tranquillité, de nombreux pères et mères préfèrent le choix d'un prénom arabe, gage qu'ils n'ont pas oublié d'où ils viennent. Il y a bien entendu quelques ficelles pour composer avec cette pression sociale et culturelle. Conscients que l'avenir de leur enfant dans la société française peut parfois dépendre du choix de son prénom (« Allo, je m'appelle Mohand et vous contacte pour l'offre d'emploi... Ah, c'est déjà pris »...), certaines familles cherchent à trouver un compromis. En clair, un prénom de « chez nous » qui sonnera comme ceux d'ici, ce qui contentera les gens du bled sans effaroucher les Gaulois. Je ne vais pas énumérer tous ces prénoms « mixtes », cette chronique me valant déjà beaucoup d'inimitiés, mais je ne résiste pas à l'envie de vous citer l'exemple de cet Algérien d'origine qui a appelé son fils Erwan et qui m'a juré ses grands dieux qu'il s'agissait d'un prénom tout autant berbère que breton (qu'en pensent les spécialistes ?). Mais il y a un autre phénomène, bien plus préoccupant à mon sens, dont il faut aussi parler. Dans de nombreuses familles d'origine maghrébines, le choix a été fait de donner des prénoms français. Il s'agissait souvent d'éviter à la descendance ainsi prénommée de faire face dans le futur, à d'inévitables discriminations à l'embauche et au logement. Une volonté de ne pas faire tache d'huile et qu'importe les moqueries des parents et des proches («Quoi, t'as appelé ton fils Hervé ? Et pourquoi pas Gaston ? Bouh 'alik !»). Mais là aussi, les choses sont loin d'être simples. Comme l'ont relevé de récents articles de la presse française, on assiste actuellement à un retournement de tendance pour le moins étonnant (1). De nombreux Français d'origine maghrébine se tournent ainsi vers la justice pour prendre (ou reprendre) un prénom arabe. C'est notamment le cas des naturalisés qui ont opté pour un prénom français lors de leurs démarches mais aussi de ceux qui l'ont reçu à la naissance. Certains insistent sur l'intolérance de leur entourage, notamment dans les quartiers populaires où un beur ne semble pas avoir d'autre choix que d'avoir un prénom arabe. Mais tous ou presque ne font que constater ce qu'ils appellent « l'effet retard » par rapport aux discriminations, le prénom choisi ne pouvant rien au final contre le délit de faciès. Voilà un phénomène qui prouve qu'il y a encore du chemin à parcourir en matière d'intégration. (1) « Quand Olivier préfère s'appeler Saïd », Le Parisien, 4 novembre 2008. « Quand Jean-Pierre veut s'appeler Mohammed », Courrier International (article du Times), 4 décembre 2008. |
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