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Insertion des universitaires : Le ras-le-bol des employés temporaires

par Amine L.

Censés permettre une insertion dans le monde de l'entreprise des jeunes, les dispositifs PID et PAIS sont devenus l'aubaine absolue des employeurs : ou comment compenser le manque d'effectifs par une main-d'oeuvre perpétuellement renouvelable et quasiment gratuite. Ce «bizutage social», qui transforme les jeunes en éternels «passagers fantômes» du monde du travail, a fini par susciter un grand ras-le-bol.

Trois dispositifs sont venus en application du décret présidentiel n° 08-09 du 27 janvier 2008. PID (Prime d'insertion des diplômés), PAIS (Prime d'activité et d'insertion sociale) et les ABS (activités pour des besoins collectifs). Le premier dispositif (PID) est destiné aux universitaires diplômés qui répondent aux critères d'éligibilité arrêtés par une commission de la DAS. Les inscrits dans ce dispositif, dont le dossier est retenu, sont affectés dans une entreprise ou collectivité territoriale qui éprouve un besoin en main-d'oeuvre et percevra une prime de 8.000 DA pour un licencié et autres titres équivalents et de 6.000 DA pour les techniciens supérieurs. Six mois après leur application sur le terrain, qu'en pensent les jeunes embauchés à la faveur de ces dispositifs ? « Ce qu'on nous propose c'est de passer de la misère à la pauvreté ou de la pauvreté à la misère. Ce que nous voulons, c'est un véritable emploi stable, choisi, qualifiant et correctement rémunéré, pas un petit boulot ou un poste bidon qui me ramène inexorablement une année après vers le chômage », confie Tarik, licencié en comptabilité, embauché il y a tout juste trois mois en PID, dans un service municipal à Bir Touta, dans la banlieue sud-Ouest d'Alger. « Au bureau, je me roule les pouces. Pour mon chef hiérarchique, il faut que je pointe quitte à ne rien faire toute la journée. Moi je me sens comme déclassé », entonne-t-il. Beaucoup de diplômés ont le sentiment d'être déclassés dans les emplois que leur propose le dispositif PID. Pour eux, la mobilité et l'ascension sociale est bloquée. Pour Nassima, licenciée en biologie végétale, embauchée dans un bureau d'hygiène municipal, « ces dispositifs ne proposent aux chômeurs que l'acceptation d'emplois avec un salaire misérable ». Après leurs études, la plupart des diplômés doivent enchaîner plusieurs emplois temporaires avant de décrocher un CDI (contrat à durée indéterminée). Et encore faut-il distinguer entre les filières : les élèves des écoles d'ingénieurs ou de commerce ou de filières courtes, comme les instituts universitaires technologiques, s'en sortent souvent mieux que les étudiants en sciences humaines. « Après cinq ans d'études supérieures, on est embauché à 8.000 DA par mois ! », se plaint Nassima. Le diplôme y reste, certes, une garantie pour trouver un emploi. Mais la sous rémunération des cadres est aussi un fléau national. Angoisse face à l'avenir et sentiment d'être déclassé règne chez les jeunes diplômés. Pour les perspectives de promotion sociale, c'est une autre affaire. Avec la massification de l'enseignement supérieur, les jeunes ont l'impression que leur diplôme est dévalorisé - une réalité plus complexe, selon les experts. Il leur est souvent difficile de trouver un premier emploi permanent. Et les salaires ne sont pas à la hauteur des espoirs. Enfin, les jeunes souffrent de devoir attendre pour prendre leur autonomie.

Pour un chercheur en anthropologie sociale, « les sources du malaise sont largement connues - nos enquêtes le concordent - mais les remèdes ne paraissent pas évidents. Les jeunes sont plus que les autres touchés par le chômage. Moins on est diplômé, plus on est vulnérable. Mais même avec un diplôme l'insertion professionnelle prend de plus en plus de temps ».

Les jeunes sont très inégaux face au fléau du chômage. Pour les diplômés, la situation est moins catastrophique. Ceux - entre 240 000 et 260 000 - qui sortent chaque année sans diplôme du système scolaire représentent le tiers des chômeurs. La formation continue étant très faible en Algérie, toute leur vie ils traîneront comme un boulet ce manque de qualification. Pour notre chercheur sociologue, « l'une des principales raisons est que le système éducatif algérien produit trop d'échec scolaire - 37 % d'une classe d'âge. Dans les pays nordiques, il est de 10 à 12 % : les élèves y sont suivis plus individuellement, ceux en difficultés sont pris en main très tôt. En Algérie, le mauvais élève végète souvent au fond de la classe, et finit par attendre comme une délivrance la fin de la scolarité obligatoire. Et les dispositifs de raccrochage sont trop rares ».

Qu'ils soient chômeurs, employés à temps partiel ou encore souhaitant changer d'emploi pour améliorer leur vie, beaucoup sont insatisfaits de leur situation. «Du fait de frontières parfois floues entre les situations d'emploi, de chômage et d'inactivité, qui amènent à parler d'un « halo » autour du chômage et de l'emploi, il est donc apparu important de construire des indicateurs complémentaires au chômage BIT (Bureau international du travail), afin de rendre compte de la diversité des situations individuelles sur le marché du travail».

Le taux de chômage selon les critères internationaux a donc beau être au plus bas depuis quinze ans, l'insatisfaction des jeunes envers leur emploi (temps partiel, conditions de travail, crainte de perdre son emploi) n'est jamais autant apparue élevée », estime notre chercheur.



Traitement symptomatique



Face à un chômage endémique, l'Etat a mis la main à la poche et a déboursé 60 milliards de DA en 2008 pour lutter contre le chômage. De nouveaux dispositifs ont été concoctés par le département Louh. Mais le cadre de ce plan reste le même que son prédécesseur : protéger au mieux le front social. La trame de fond des critiques ciblant ces dispositifs se résume ainsi : « Il ne s'agit pas de faire de la gestion conjoncturelle du chômage. Il ne s'agit pas non plus de retomber dans les errances d'un traitement social du chômage, de mettre des demandeurs d'emplois sur des voies de garage pour les sortir des statistiques mais bien de la poursuite active d'une politique active d'accompagnement et de retour à l'emploi ». Les détracteurs de ses dispositifs regrettent aussi le fait qu' « aucun chômeur ne fait l'objet d'un accompagnement ».

«Cela signifie qu'on lui donne un contrat aidé, qu'on le met de côté et qu'on lui dit sois sage et tais-toi et on reparlera dans un an quand ton contrat sera fini. C'est de la mauvaise politique de l'emploi», estiment les détracteurs de ce plan. De son côté, un cadre du ministère de l'Emploi défend ces dispositifs : « Ces dispositifs permettent de mettre un pied à l'étrier à des demandeurs d'emplois qui ont du mal à se réinsérer ».

En attendant une étude d'impact que compte mener le ministère de l'Emploi, au cours du deuxième trimestre 2009, pour tenter d'analyser l'efficacité du suivi du dispositif sur le terrain, l'Agence de développement social (ADS) aligne ses chiffres: «57.129 jeunes ont été placés en milieu professionnel en 2008 dont 18 % ont été déclarés permanents, parmi quelque 130.000 jeunes ayant déposé des demandes dans le cadre du dispositif de prime d'insertion des diplômés.

80 % ont été embauchés dans le secteur administratif, notamment dans les services de l'état civil au sein des APC, ainsi qu'au niveau des secteurs de l'Enseignement et de la Justice », «Ce dispositif, explique un cadre de l'ADS, constitue uniquement «un emploi d'attente» permettant aux bénéficiaires d'acquérir une expérience professionnelle, d'avoir des opportunités de contacts avec le monde du travail, leur ouvrant des chances de trouver un emploi permanent».

Pour l'année 2009, quelque 30.000 nouveaux postes d'insertion professionnelle sont prévus dans le cadre de ce dispositif, selon les prévisions de l'ADS, venant s'ajouter ainsi au nombre de placements réalisés en 2008. Qu'en pensent les chefs d'entreprises ? Pour un patron d'une PME activant dans l'agroalimentaire dans la banlieue algéroise, « au lieu d'injecter des fonds, il faut soutenir les employeurs qui créent des emplois, aider les jeunes avec de nouvelles formations en apprentissage et proposer une aide pour les personnes qui créent leur entreprise».