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En cette soirée du 30 décembre, quatrième jour de bombardement de Gaza.
Le journal de France 3, frère jumeau de celui de France 2, de TF1, probablement
de Fox News ou CNN, en parle naturellement. Bien entendu, le sujet ne fait pas
la Une. Il y a des informations autrement plus importantes : l'approche du
réveillon, les soldes d'après Noël, le décès d'un patient dans un obscur
hôpital de province... Tous ces sujets sérieux ayant été épuisés, on aborde
enfin les thèmes légers. Le bombardement de Gaza en fait partie. Les
journalistes étant des gens avisés, attentifs à ne pas lasser leur public,
l'expédient en quelques secondes. Les bombes continuent de pleuvoir, les morts
de mourir. Parmi les morts, on compte deux fillettes, rapporte le journaliste
avec un vague geste d'excuse pour ceux dont il trouble la quiétude du dîner.
Terminé pour Gaza ? Que non. Il faut bien parler des victimes, des vraies. Des Palestiniens ? Vous n'y pensez pas. Tout juste bons pour la rubrique des chiens écrasés, tout au plus l'ordinaire des dépêches d'agence quand ils s'avisent de mourir en trop grand nombre ! Non, il s'agit des victimes israéliennes. Là, le journaliste mérite incontestablement les félicitations du public et la reconnaissance de la corporation qu'il honore. Dix bonnes minutes ! On y apprend tout sur ces malheureux habitants de Sdérot qui prennent l'air avec leurs enfants si beaux, si bien mis, des espaces verts si agréables à l'oeil, au milieu de maisons douillettes. Et puis, un petit vent de panique, mal simulée il est vrai. Alerte aux roquettes Kassam ! Tout ce beau monde se retrouve à l'intérieur d'une espèce de container. Pas de trace de frayeur. Enfants et mamans semblent trouver l'aventure plaisante. Il n'y a guère que le commentateur de la télévision française qui veut à toute force faire croire au calvaire de ces mamans qui s'éloignent d'un pas sûr, leurs bambins à la main, une fois que le pétard est enfin tombé en faisant, horreur, un petit trou dans la pelouse. Ainsi va l'information en Occident. Rien de changé depuis les croisades, depuis le massacre des Indiens d'Amérique, depuis l'esclavage de dizaines de millions de Noirs, depuis la colonisation et les tueries qui l'ont rythmée. Rien de changé dans la vision européocentriste qui ne voit dans le monde qu'une arrière-cour de l'Occident dans laquelle les règles de droit ne s'appliquent pas. Nul sentiment de culpabilité n'habite les auteurs du carnage de Ghaza, ni ceux qui les soutiennent. Ils ont la puissance militaire, médiatique, financière. Ils s'auto-attribuent de surcroît le magistère de la morale. Golda Meïr avait eu en son temps ce mot terriblement révélateur de cette vision du monde et de sa charge d'arrogance. S'adressant aux Arabes (on ne disait pas Palestiniens à l'époque), elle avait dit: « Nous vous pardonnerons de tuer nos enfants. Nous ne vous pardonnerons jamais de nous obliger à tuer les vôtres. » Ainsi, elle ne se contentait pas d'innocenter par avance les auteurs israéliens de meurtres de Palestiniens. Elle tenait les victimes pour responsables de l'état de prostration dans lequel étaient plongés ces Israéliens si bons, si moraux, contraints de les commettre ! Cette attitude a été bien résumée par le titre d'un film courageux dû à un jeune refuznik israélien : « On tire et on pleure ». Cette vision était soutenable naguère, dans un monde partagé entre une zone blanche développée, culturellement cohérente, et une zone grise surpeuplée, misérable, paraissant assignée pour l'éternité au sous-développement et à la mendicité. Les choses changent. Des puissances colossales émergent. L'Occident n'a plus l'apanage de la technologie ou de la richesse. Il n'a plus le monopole du discours. Il doit composer avec des nations porteuses d'une autre vision, d'autres valeurs, d'une autre histoire, d'une autre mémoire. En plus de la Chine ou de l'Inde, d'autres pays ont vocation à émerger, en Afrique, en Asie, dans le monde arabe. Ces nations risquent fort de se souvenir, demain, des mauvais traitements qu'elles ont subis quand elles étaient faibles. Elles se souviendront qu'elles ont été massacrées, réduites en esclavage, colonisées. Elles se souviendront du vol de leurs richesses et de la misère dans laquelle elles ont été maintenues et qui a permis l'enrichissement de leurs bourreaux. Alors, il ne faudra pas faire mine de s'étonner quand de jeunes et altières puissances viendront demander des comptes à un Occident vieilli, confit dans une vision obsolète. Il ne faudra pas faire mine de s'étonner quand le dépoussiérage des mémoires provoquera la sortie des cadavres des placards. Il ne faudra pas s'étonner que, demain, les saloperies d'aujourd'hui explosent à la figure de leurs auteurs. Personne n'a intérêt à ce scénario mortifère. Il n'y a qu'un moyen de l'éviter. Il faudrait que, dès à présent, l'Occident rompe avec sa prétention à traiter le reste du monde comme gens de peu, tout juste bons à entretenir ses cours de récréation et à recevoir ses leçons. Que les vieilles nations occidentales cessent de jouer les dames patronnesses en servant aux humiliés de la Terre leurs soupirs de fausse commisération. La survie de ces nations passe par un nouveau deal avec les jeunes pays en devenir, précisément ceux qu'elles ont écrasés naguère et qu'elles prétendent continuer à régenter. A ce prix somme toute modique, peut-être la sortie du modèle européocentriste pourra-t-elle se faire en bon ordre, débouchant sur un véritable nouvel ordre mondial garantissant l'égalité entre tous les êtres humains. Mac Mahon disait que l'on peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s'asseoir dessus ! L'Occident devrait méditer cette maxime et songer à préserver son avenir en dialoguant dès à présent avec le reste du monde, avant que le reste du monde ne soit en état de lui imposer son diktat. Il faut que s'accélère la prise de conscience par l'Occident du bouleversement du monde qu'il feint pour le moment d'ignorer. De cette prise de conscience nécessaire, doit découler une sorte de négociation dont l'objet serait rien moins que d'empêcher l'Humanité de céder à la tentation du suicide. La finalité de cette négociation serait de construire une alternative au désordre actuel. Elle commencerait par l'élimination des foyers de tension par la restauration de la justice. |
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