Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Qui est Asia Bibi ? Inconnue en Algérie sous le règne fou du 5ème mandat, des frais pour pèlerinage chez les Saoudiens et face au ciel ou la pomme de terre. Rappel donc : c’est une chrétienne du Pakistan, mère de famille, ouvrière agricole dans les champs. Son histoire est terrible. Accusée de blasphème, en 2009, sur la base des récits d’autres femmes qui se sont disputées avec elle pour un verre d’eau, elle est condamnée à mort par pendaison. La loi au Pakistan est claire, mortelle, tueuse et nette. La femme est dénoncée par un mollah, un autre offre une somme d’argent pour qui va la tuer. Même par empoisonnement dans la prison où elle est enfermée depuis des années. Hystérie, folie, barbarie. D’ailleurs, des politiciens pakistanais qui l’ont défendue, seront assassinés. Simplement.
Aujourd’hui, après son acquittement par la Cour suprême de ce pays, les islamistes paralysent le Pakistan, déferlent dans les rues, hurlent et se mobilisent. Non contre la misère, la soumission, le manque d’eau ou la pauvreté horrible et l’injustice, mais contre une femme, une ouvrière pour ramasser des fruits dans les champs. Les photos sur le net laissent sans voix sur cette déferlante de la haine. Le cas d’Asia Bibi résume cette pathologie envers la femme, l’Autre, l’altérité, le différent. Affaibli par ses concessions et ses compromissions, le Régime pakistanais en est à la phase de négociations avec ses propres barbares. Pourquoi en parler chez nous ? Pour deux ou trois raisons. La première est que l’Algérie se «pakistanise» sous nos yeux. Le régime avec femmes et enfants vit en mode off-shore depuis des décennies. Il se replie sur ses castes, intérêts, puits de pétrole et contrats stratégiques. Aux islamistes, médias, journaux, mosquées et prêcheurs, il laisse la rue, il délègue le soin de gérer l’espace public. Ce sont ces hirsutes qui aujourd’hui fixent la hauteur du talon des chaussures de la femme, peuvent afficher ce qu’ils veulent sur les murs, sans autorisations, manifester, diffamer et menacer sans souci. C’est un deal. Et ce deal, qui aujourd’hui a des chaînes TV et des réseaux et des émirs avec immunité diplomatique, va nous conduire à la situation de ce Pakistan, barbare, enfermé entre villas du Régime et chouyoukhs, version années 90. Et il ne sert à rien de crier que le chroniqueur en fait une fixation et de jouer l’indigné au nom d’une théologie et d’une culture transformées en déni et en image narcissique. C’est la réalité. On a eu des centaines de milliers de morts et ce sont ces gens, entre autres, qui ont tué. Alerter sur un crime à venir n’est pas criminaliser une religion mais ceux qui s’en servent. La seconde raison est plus scandaleuse. Un journal en Occident l’a déjà évoqué : pourquoi dans le monde dit «musulman» il n’y a eu aucune manifestation pour soutenir cette femme comme on le fait quand un évangéliste brûle quelques pages du Coran ? Parce que Bibi est une femme, elle est chrétienne et donc pas humaine. La solidarité s’arrête à la confession. Cela nous évite de partager le poids du monde et nous encourage à crier au complot international. Ensuite on pourra hurler au refus du monde fait aux musulmans tout en refusant d’en partager l’universelle condition. Soutenir cette femme aurait pu distinguer le musulman de l’islamiste, affirmer notre universalité, notre humanité et le souci de l’humain qui passe avant l’idéologie. Et ce n’est pas possible : nos croyances passent avant notre humanité et surtout celle des autres. Il est même plus facile d’accuser l’Occident de faire des caricatures du prophète que de manifester contre cette hideuse caricature de l’islam au Pakistan ou contre Daech qui, avec les mêmes versets, tue et massacre et porte «atteinte à l’image de l’Islam» avec le sang et les bombes. C’est plus rentable de jouer les victimes que d’en défendre une. Plus facile. Nous avons déjà cette loi en Algérie. Lisez, car un jour elle risque de devenir une constitution entière : «Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de cinquante mille (50.000) DA à cent mille (100.000) DA, ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen». Loi humaine, pouvant couvrir l’erreur humaine, l’inquisition, l’injustice car le juge est un homme s’il parle au nom d’un Dieu. Cet article a déjà servi à presque tout. Un jour on le paiera, un par un. Il s’en trouvera qui vont crier au scandale et jurer qu’un texte comme cette chronique va être récupéré par l’extrême-droite en Occident et nourrir l’islamophobie. J’en ai rencontré récemment, dans des villes européennes. Maghrébins blessés, exilés ou théoriciens de l’islamisme sous-marin. Leur conseil est qu’il faut se taire sur Asia Bibi, n’en rien dire, sur elle et sur les autres, la laisser pourrir en prison, être pendue pour un verre d’eau, juste pour ne pas être inquiété dans ses croyances «culturelles» en Occident. Le souci de lutter, soi-disant, contre l’islamophobie passera avant une vie humaine, une femme, une injustice. Ce qui important «c’est ce que pensera l’Occident de nous à cause d’une chronique, pas la vie d’une femme, un crime». Le confort passe avant l’humain et l’humain ne concerne que le musulman, celui-là précisément, soucieux de son image narcissique plus que de la vie et des morts. C’est une logique. On peut ne pas écrire, se taire et laisser cette femme mourir. Comme tant d‘autres. Cela fera plaisir à l’égo culturel. A la censure communautaire. On peut se taire sur tout, d’ailleurs. Au nom de l’obligation de ne pas altérer l’image que nous voulons donner de nous-mêmes et qui est fausse et délirante. La faute n’étant pas ce que nous avons fait de nous-mêmes et de notre monde, mais la faute est celle de ceux qui pensent mal de nous. Le miroir du monde devient coupable de notre nudité misérable. Alors on le casse ou on crie à l’islamophobie. Ou bien il faut écrire. Parler, dire et dénoncer nos propres misères et complicités. Que l’extrême-droite «récupère ou pas». L’essentiel est de sauver une vie, de témoigner d’une solidarité, de faire du bruit pour que le meurtre et le meurtrier ne passent pas inaperçus. C’est la plus faible des fois. Asia Bibi est un être vivant qui risque de mourir. Le reste c’est le blabla misérable d’idiots (ou pas) inutiles et de monstres qui se multiplient. |
|