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Se situant entre déterminisme, indéterminisme et devenir du monde: Covid-19, un « astéroïde pandémique » qui frappe la Terre

par Medjdoub Hamed*

Kishore Mahbubani, professeur de politiques publiques et membre émérite de l'institut de recherche asiatique de l'université nationale de Singapour, ancien ambassadeur de Singapour aux Nations unies, auteur notamment de « L'Occident (s')est-il perdu ? », Fayard, Paris, 2019, donne une vision sur les causes expliquant pourquoi les pays d'Europe et les États-Unis comptabilisent le plus grand nombre de contaminés et de de décès et les pays d'Asie qui en comptent beaucoup moins. Écoutons-le.

1. Analyse de l'ancien ambassadeur de Singapour à l'ONU Kishore Mahbubani, sur la situation sanitaire mondiale

« Les bilans de victimes sont sans équivoque. La disparité la plus frappante entre les décès dus au Covid-19 à ce jour se situe entre les pays d'Asie de l'est, où le nombre total de décès par million d'habitants est constamment inférieur à dix, et une grande partie de l'occident, où les décès se comptent par centaines. Par exemple, le Japon a jusqu'à présent déclaré 7,8 décès par million, suivi par la Corée du Sud (5,8), Singapour (4,6), la Chine (3,2) et, plus remarquable encore, le Vietnam, avec zéro décès. En revanche, la Belgique a maintenant 846 décès confirmés par million, et le Royaume-Uni en a 669, suivi par l'Espagne (608), l'Italie (580) et les Etats-Unis (429).

Qu'est-ce qui explique cette différence extraordinaire ? Même s'il nous semble difficile de fournir une réponse, trois explications possibles semblent se démarquer. Premièrement, aucun des États d'Asie de l'Est ne pense avoir « réussi », et encore moins avoir atteint la « fin de l'histoire ». Ils sont loin donc de considérer leurs sociétés comme étant l'apothéose des possibilités humaines. Deuxièmement, les pays d'Asie de l'Est investissent depuis longtemps dans le renforcement des institutions gouvernementales au lieu de tenter de les affaiblir, ce qui s'avère payant à l'heure actuelle. Troisièmement, l'essor spectaculaire de la Chine représente pour ses voisins de la région autant d'opportunités que de défis. » (1)

C'est le constat que fait Kishore Mahbubani sur la situation sanitaire mondiale et la disparité dans les bilans des victimes entre l'Occident et l'Asie qui certes est manifeste. Il n'y a aucun doute là-dessus. Cet auteur est professeur de politiques publiques et membre émérite de l'institut de recherche asiatique de l'université nationale de Singapour, ancien ambassadeur de Singapour aux Nations unies. Il est l'auteur notamment de « L'Occident (s')est-il perdu ? », Fayard, Paris, 2019.

Dans son analyse, il donne sa vision sur les causes qui ont engendré la disparité sur le plan sanitaire entre l'Europe et les États-Unis : « Il est toujours dangereux de simplifier à l'excès. Pourtant, certains faits montrent que si les Européens ont tendance à croire en la sécurité sociale parrainée par l'État, les habitants de l'Asie de l'Est considèrent encore la vie comme étant un mélange de luttes et de sacrifices. Le président français Emmanuel Macron se bat pour réformer le système de retraite de son pays et pour diminuer les prestations de retraite afin de parvenir à des réductions indispensables des déficits budgétaires. En conséquence, la France a connu des mois de manifestations des « Gilets jaunes ». En revanche, lorsque la Corée du Sud a été confrontée à une crise financière bien plus grave en 1997, de vieilles dames ont fait don de leurs bijoux à la banque centrale pour tenter de l'aider à se relever.

Les habitants d'Asie de l'Est sont conscients que leurs sociétés ont eu de bons résultats au cours des dernières décennies. Mais une adaptation et un ajustement constants à un monde en mutation rapide sont toujours la norme même au Japon et des investissements énormes dans les institutions publiques ont aidé ces pays à répondre à cet état de fait.

Sur ce point précis, rien n'est plus marqué que le contraste avec les États-Unis. Depuis que le président Ronald Reagan a déclaré dans son discours inaugural de 1981 que « le gouvernement n'est pas la solution à notre problème, le gouvernement est le problème », l'expression même « bonne gouvernance » est devenue un oxymore en Amérique.

Nous avons à nouveau vu les conséquences de cet état d'esprit ces dernières semaines, avec l'affaiblissement d'institutions mondialement respectées comme la Federal Aviation Administration, la Food and Drug Administration et les Centers for Disease Control and Prevention aux Etats-Unis. »

Contrairement aux sociétés occidentales, Kishore Mahbubani met la bonne gestion de la pandémie par les pays d'Asie sur le compte de la discipline des peuples asiatiques et de leur confiance dans leurs gouvernements. Il le souligne dans son analyse : « Aujourd'hui encore, alors que l'Amérique est en proie à de multiples crises, aucun dirigeant américain de premier plan n'ose rappeler cette évidence : « Le gouvernement est la solution ». Les sociétés d'Asie de l'Est, en revanche, croient fermement et profondément en une bonne gouvernance. Ceci est une conséquence du respect traditionnel que les Asiatiques entretiennent à l'égard des institutions du pouvoir. »

L'auteur prend l'exemple du Vietnam. Il écrit : « La réponse du Vietnam à la pandémie, spectaculaire par son efficacité, peut être attribuée non seulement à l'un des gouvernements les plus disciplinés du monde, mais également à des investissements judicieux dans les services de santé. Entre 2000 et 2016, les dépenses de santé publique par habitant ont augmenté en moyenne de 9 % par an. Cela a permis au Vietnam d'établir un centre national d'opérations d'urgence de santé publique et un système de surveillance suite à l'épidémie de SRAS.

Les états de service du Vietnam sont d'autant plus étonnants, étant donné le point de départ modeste de ce pays. Lorsque la guerre froide a pris fin il y a trente ans, et que le Vietnam a finalement cessé de faire la guerre suite à près de 45 ans de conflit quasi-continuel, il comptait l'une des populations les plus pauvres du monde. Mais en imitant le modèle économique de la Chine et en s'ouvrant au commerce et aux investissements étrangers, le Vietnam est devenu par la suite l'une des économies à la croissance la plus rapide au monde.

Comme l'a fait remarquer le président de la Banque mondiale de l'époque Jim Yong Kim en 2016, le taux de croissance annuel moyen du Vietnam de près de 7 % au cours des 25 dernières années a permis au pays « de faire passer brusquement le statut du Vietnam à celui de pays à revenu intermédiaire en une seule génération ». Au cours de la même période, a fait remarquer Kim, le Vietnam a réussi « l'exploit particulièrement remarquable » de réduire la pauvreté extrême de 50 % à seulement 3 %.

La réussite du pays ne s'est pas produite dans l'isolement. Après l'effondrement de l'union soviétique, le Vietnam s'est intégré à de nombreux organismes régionaux d'Asie de l'est, dont l'association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) et la Coopération économique pour l'Asie-pacifique (APEC). Dans ce contexte, le pays s'est rapidement inspiré de ses voisins, en particulier de la Chine. » (1)

Un autre point où l'auteur apporte une précision qui montre que le conflit historique Chine-Vietnam n'a pas porté d'ombre à leurs relations commerciales. « Dernièrement, le Vietnam a adhéré à l'accord de partenariat transpacifique global et progressiste, un pacte commercial entre 11 pays. La résurgence spectaculaire de la Chine a naturellement vu augmenter l'insécurité vietnamienne, étant donné que les deux voisins étaient encore en conflit. Mais plutôt que de paralyser les responsables politiques vietnamiens, cette insécurité a favorisé un sentiment de discipline et de vigilance stratégiques, ce qui a contribué aux résultats extraordinaires du pays durant la pandémie. L'essor de la Chine a eu un effet de galvanisation similaire sur certains de ses voisins, dont le Japon et la Corée du Sud. Le Premier ministre singapourien Lee Hsien Loong cite souvent le mantra de l'ancien PDG d'intel Andy Grove, selon lequel « seul le paranoïaque survit ». La paranoïa est en général une émotion négative, mais elle peut en outre déclencher de puissants réflexes de combat et de survie. » L'auteur conclut : « Une profonde détermination à lutter contre de grandes difficultés peut expliquer pourquoi l'Asie de l'Est a jusqu'à présent bien mieux répondu à la pandémie que la plupart des pays occidentaux. En conséquence, si les économies de la région se rétablissent plus rapidement, elles pourraient bien offrir une lueur d'espoir à un monde qui se noie actuellement dans le pessimisme. » (1)

2. Aucune région du monde n'est à l'abri de l'irruption d'une pandémie

Peut-on se fier à cette approche basée sur la disparité dans le nombre de cas contaminés et de décès beaucoup plus importants en Occident et beaucoup moins en Asie ?

En Chine, par exemple, la situation sanitaire est presque normale. Peut-on penser que c'est la discipline, la vigilance, la préparation qui ont primé pour les pays asiatiques dans leur lutte contre le coronavirus et qui, on doit comprendre, ont manqué en Europe, aux États-Unis, au Brésil, en Inde... ?

En Chine, dans un article de France TV Info : « le président Xi Jinping a annoncé, mardi 8 septembre 2020, que la crise sanitaire était terminée. Officiellement, il n'y a plus de cas de Covid-19. » (2) Cela est vrai, le nombre de cas est très faible en Chine, négligeable, en moyenne entre 10 et 20 comparativement aux dizaines de milliers de cas contaminés en Europe et aux centaines de milliers aux États-Unis. Avec la vaccination à grande échelle, la situation sanitaire est en train de s'améliorer, mais la crise du Covid-19 n'a toujours pas disparu.

Aussi, on est en droit de se poser des questions sur la pandémie Covid-19. Quel sens peut-elle avoir sur l'évolution de l'humanité. On sait que tout événement majeur donnant une nouvelle direction à l'humanité a un sens. Qu'en est-il alors de la pandémie qui sévit aujourd'hui ?

Tout d'abord il y a une réalité à prendre en compte. Si le monde entier est touché par le coronavirus, et des pays le sont beaucoup plus que d'autres, on ne peut penser que cela relève d'une fatalité ou encore de mesures énergiques pour parer à la diffusion de la pandémie comme cela s'est passé en Chine. Sinon comment comprendre l'épidémie SRAS qui n'a affecté que la Chine, entre 2002 et 2003 ?

Le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), une maladie infectieuse des poumons (pneumonie aigüe) due à un coronavirus, le SARS-CoV, est apparu en Chine en 2002, et s'est étendue à quelques pays, et elle est restée confinée essentiellement en Asie. Seul le Canada a été touché par des cas importés. Les statistiques de l'OMS donnent des chiffres très faibles de cas contaminés (8000 cas et 776 décès dans le monde).

La grippe A (H1N1), apparue au Mexique, en 2009, a duré jusqu'en 2010. Deuxième des deux pandémies historiques causées par le sous-type H1N1 du virus de la grippe A. La première, la Grippe espagnole apparue en 1917 a fait 20 à 50 millions de morts selon l'Institut Pasteur, elle a duré jusqu'en 1921. Elle a touché surtout les âges entre 20-35 ans.  A l'époque, la science et la technologie étaient peu développées, comparativement aux moyens qui existent aujourd'hui, la Grippe espagnole a fini néanmoins par disparaître d'elle-même, et ce grâce à la sélection naturelle qui a permis à rendre le virus moins virulent, jusqu'à n'être plus un danger pour l'homme.

L'épidémie Ebola a sévi en Afrique de l'Ouest entre 2014 et 2015, plus de 11000 morts selon l'OMS. Le virus Zika a frappé le Brésil, il s'est étendu à une trentaine de pays. 1,5 millions de cas ont été enregistrés en janvier 2016) mais l'épidémie n'est pas mortelle.

Que peut-on dire de ces épidémies dont certaines se transforment en pandémie ? Le constat historique et géographique parle de lui-même. Une pandémie peut être spécifique à une région, ou s'étendre à une région de pays mitoyens, mais épargner les autres régions. Elle peut toucher le monde entier, comme cela été le cas de la Peste noire en 1346-1353, de la Grippe espagnole 1917-1921, et aujourd'hui le Covid-19 depuis 2019, et on ne sait pas la date d'extinction de la pandémie.

Donc l'irruption comme la durée ou l'extension géographique restent aléatoires. De même pour les tranches d'âge, la pandémie peut toucher les jeunes adultes en bonne santé ? Comme elle peut toucher les bébés et les personnes âgées qui sont toujours les plus fragilisées par l'infection. Et puis aujourd'hui il y a la vaccination, mais il reste la « sélection naturelle » qui, en absence de vaccin, permet à l'être humain avec le temps de s'adapter à la pandémie, et son système immunitaire progressivement à se renforcer. La pandémie finit par disparaître, comme cela s'est passé dans les siècles passés.

Cependant les bouleversements qu'elle opère ont un sens qu'il faut essayer de comprendre, de décrypter. On ne peut penser qu'un bouleversement qui s'opère à l'échelle planétaire, change complètement les donnes sur le plan économique mondial, et pousse les puissances à revoir leurs stratégies au point qu'elles aillent à contrecourant de ce qu'elles avaient projetées, ne revêt pas un sens.

Sur le plan de la logique historique, que Kishore Mahbubani, professeur de l'institut de recherche asiatique de l'université nationale de Singapour dise c'est la « profonde détermination à lutter contre de grandes difficultés en Asie qui a mieux répondu que la plupart des pays occidentaux ? » (1) ne peut être qu'une approche cherchant à expliquer la disparité des effets de la pandémie entre l'Occident et l'Asie. Mais, ce qu'on peut relever que chaque pandémie a sa spécificité. Par exemple, la pandémie du SRAS n'a touché que la Chine et les pays asiatiques voisins. L'Ebola a touché une région de l'Afrique et non toute l'Afrique.

Il est évident que, par la spécificité du Covid-19, que si la Chine est moins touchée aujourd'hui, rien n'exclut que demain c'est l'inverse qui s'opère. La Chine, nonobstant ses efforts pour contrecarrer la crise sanitaire, pourrait subir ce que l'Occident subit aujourd'hui. Comme ce qui s'est passé pour le SRAS, la pandémie pourrait être plus virulente et ne toucher qu'une partie de l'Asie. L'Inde, aujourd'hui, est plus affectée par le Covid-19 que la Chine.

Les êtres humains ne commandent pas leur avenir. Leur avenir se fait avec eux et sans eux, i.e. ils sont acteurs de leur condition d'être mais aussi cette condition d'être dépend aussi d'impondérables qui ne relèvent pas d'eux. Et ce point est important qu'il faut prendre en considération, pour comprendre la marche du monde et ne pas se fier aux seules possibilités de l'homme, son statut dans le monde, le progrès auquel il a pu s'élever aujourd'hui, de même des régimes politiques et conflits internes et externes entre puissances.

Pour ne prendre qu'un exemple très parlant, « qu'un astéroïde géant tombait sur Tokyo, Pékin, Paris, les gouvernements humains pourraient-ils arrêter la Nature ? » Ici c'est la Nature dont il s'agit. Lisons ce qu'écrit le journal Français Le Figaro. « L'ONU a instauré le 30 juin comme « journée des astéroïdes ». Une initiative destinée à sensibiliser le grand public aux ravages que provoqueraient l'impact sur terre de l'un de ces objets qui orbitent dans le système solaire. La date choisie marque l'anniversaire d'un des plus gros impacts de ces dernières années : l'événement de la Tungunska, le 30 juin 1908 en Sibérie, qui avait rasé 2000 km2 de forêt. Par chance, l'objet céleste avait explosé au-dessus de la taïga, dans une zone inhabitée, comme dans l'immense majorité des cas. 71% de la surface de notre planète est recouverte par les océans, et la majeure partie des terres émergées est inhabitée.

Mais que se passerait-il dans une situation comparable au-dessus d'une grande ville ? Le Figaro.fr a fait tourner le simulateur d'impact de l'université de Purdue (Etats-Unis) et de l'Imperial College de Londres (la référence dans ce genre de calculs) pour estimer les dégâts potentiels qu'auraient fait plusieurs collisions historiques, si elles survenaient au-dessus de Paris.

Le simulateur estime que l'objet commence à se désintégrer en rentrant dans l'atmosphère dès une altitude de 66 km. A 5 km au-dessus du sol, l'astéroïde explose, avec l'énergie équivalente à 15 mégatonnes de TNT (1000 fois l'énergie de la bombe atomique Little Boy qui dévasta Hiroshima en 1945).

Des débris arrivent au sol, mais sans laisser de cratère. L'onde de choc de l'explosion couche 90% des arbres et détruits les grands immeubles sur un rayon de 15 km. Autour de Paris, la zone touchée englobe toute la petite ceinture, jusqu'à Orly au sud, Versailles à l'Ouest, Sarcelles au nord et Noisy-le-Grand à l'est.

Cette simulation est faite pour un « Astéroïde rocheux de 75 m, équivalent à l'explosion de la Tungunska en 1908. Probabilité de l'événement : une fois tous les 300 ans. »

Pour un « Impact d'un astéroïde 18 km », Le figaro écrit : « Cratère de Chicxulub, Yucatan, qui provoqua la disparition des dinosaures il y a 66 millions d'années. Probabilité de l'impact : une fois tous les 500 millions d'années.

Le cratère laissé par la collision mesure 200 km de diamètre, avec une profondeur de 1,46 km. A 200 km du centre de Paris, Caen et Saint-Dizier sont englobés par la boule de feu quelques secondes après le choc, qui enflamme tous les matériaux combustibles. A Bordeaux, à 500 km de Paris, les débris soulevés par le choc s'accumulent sur 10 mètres d'épaisseur. L'onde de choc détruit la plupart des immeubles jusqu'à un peu plus de 1000 km de Paris.

Comme nous l'a appris l'impact qui provoqua la disparition des dinosaures il y a 66 millions d'années, un tel cataclysme serait de nature à changer la climat terrestre, avec la dispersion de millions de tonnes de poussières et d'aérosols dans l'atmosphère qui bloqueraient une partie de l'énergie solaire, provoquant un refroidissement planétaire. » (3)

Nous ne continuons pas la lecture sur la simulation qu'a donnée Le Figaro, avec des astéroïdes de plus grande dimension, c'est tout simplement l'apocalypse.

3. L'astéroïde pandémie qui frappe la Terre. Et le concept déterminisme-indéterminisme y compris l'approche de Karl Marx

En revenant à l'approche de Kishore Mahbubani, la disparité sur les effets entre l'Occident et l'Asie doit avoir un sens. Évidemment difficile pour l'être humain de faire parler la Nature. Mais l'auteur a entièrement raison de porter son attention sur elle tant elle saute aux yeux. Cependant, on peut penser que la disparité n'est pas un phénomène mais une singularité du phénomène lui-même dans le sens qu'elle lui est rattachée. Cette singularité aurait pu être inverse, c'est-à-dire l'Asie qui serait plus touchée et beaucoup moins l'Occident. Ou la singularité aurait été plus en Afrique qu'en Occident ou en Asie. Pourquoi ?

Tout d'abord, le phénomène est déjà la pandémie Covid-19 elle-même, elle ne s'est pas choisie, elle est tout simplement. L'irruption de la pandémie s'est produite en novembre-décembre 2019. Son irruption est inexplicable. On peut même se poser la question pourquoi en 2019, et pas avant ou après. De même pourquoi elle ne ressemble pas aux pandémies récentes telles la SRAS, le H1N1, l'Ebola... On peut remettre en cause même le côté aléatoire de la pandémie. Si, en fait, la pandémie qui sévit depuis deux ans n'est pas en fait aléatoire, que serait alors son sens ?

D'autre part, les pandémies SRAS ou Ebola qui ont eu des conséquences limitées ne sont pas comparables aux pandémies comme celle d'aujourd'hui qui a touché le monde entier. L'impact est telle qu'elle est assimilable à un « astéroïde pandémique » qui a frappé la Terre avec plus 140 millions d'êtres humains contaminés et de plus 3 millions de décès dans le monde. Qu'en est-il de cet astéroïde pandémique ? Il est évident qu'il doit avoir un sens au même titre que l'« astéroïde 18 km qui provoqua la disparition des dinosaures il y a 66 millions d'années ».

Là, il faut aller aux concepts de déterminisme et indéterminisme et tenter de comprendre ce qui les relie. Et probablement, c'est là où se joue la force du sens du phénomène qui arrive à l'humain, dont la conscience a des difficultés de saisir la métaphysique. Et ici, une métaphysique y règne sans que l'être humain n'arrive à trancher, ce qui fait opposer ce qui est censé relevant du déterminisme et de l'autre s'opposant, de l'indéterminisme. Par définition, le déterminisme est une doctrine philosophique selon laquelle tous les événements sont reliés entre eux, et déterminés par la chaîne des événements antérieurs.

Pour les êtres humains, il est clair qu'ils ne peuvent aller contre le principe de causalité. En effet tout être humain est causé, déterminé par son corps et son essence, dont sa pensée. Il est aussi déterminé par ce qui lui arrive de l'extérieur, en bon ou mauvais, et entre les deux tous les degrés possibles. Il subit pratiquement les mêmes lois de la physique, mais il a en plus un libre-arbitre qui le différencie de la matière non vivante, inanimée.

Mais il est aussi touché par l'indéterminisme. Dans le sens qu'il a beau avoir la maîtrise des événements, il ne peut les avoir entièrement. Et ceci fait que souvent le cours des événements lui échappe. Donc la volonté humaine est dépendante des forces exogènes. Et c'est là où entre la fragilité de l'être humain sur son devenir. Son devenir, il ne le commande pas. Même sa pensée, souvent l'être humain pense inconsciemment, i.e. machinalement. Quant à sa pensée comme son corps, l'être humain ne dépend-il pas de leur état en tant qu'être causé, né sur terre. Dès lors, il ne peut aller contre cette situation à la fois de « déterminisme et d'indéterminisme ». Il se situe entre les deux.

Prenons un cas très parlant, par exemple, l'écrit de Karl Marx sur la religion : « La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de choses sans esprit. Elle est l'opium du peuple.

Le bonheur réel du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il renonce aux illusions concernant son état, c'est exiger qu'il soit renoncé à un état qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole.

La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l'homme porte la chaîne sans fantaisie ni consolation, mais pour qu'il brise la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l'homme pour qu'il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme désillusionné, parvenu à la raison, pour qu'il gravite autour de lui-même et par suite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui tourne autour de l'homme, tant qu'il ne tourne pas autour de lui-même. » (4)

Quand Karl Marx énonce que la religion est l'opium du peuple, et qu'il conclut qu'il faut la supprimer, c'est en fait sa pensée qui a pensé cette approche et de cette approche à cette conclusion. Karl Marx n'est pas conscient dans l'absolu de lui-même en énonçant ce jugement très important qui touche la croyance de plusieurs milliards d'êtres humains. Il l'a fait certes consciemment, en tant qu'être pensant, mais il ne l'a pas fait seul, il devait le faire et peu importe s'il va contre la religion, simplement parce que l'Auteur de la Création du monde l'a voulu ainsi. Et c'est ç a le plus incroyable, l'être humain croit savoir, croit avoir des convictions, mais en fait d'où il tient ses convictions ? De lui-même ? Où est lui-même ? Le sait-il ? Il le sait parce que c'est sa pensée qui le lui a fait savoir et lui a octroyé cette liberté de savoir.

En réalité, son « opium des peuples » marxien était nécessaire parce qu'il entre dans le devenir du monde. Cet « opium des peuples » a donné l'Union soviétique, la Chine populaire. Il a redessiné le monde. Il a permis en octroyant un adversaire de taille à l'Occident colonisateur, à l'Occident qui dominait des continents entiers et à ces peuples colonisés de trouver le levier qui allait les mener à l'indépendance.

De la même façon, l'Occident dominateur a-t-il dominé le monde par lui-même, de lui-même ? Il est évident que non, il ne le pouvait pas. Découvrir le monde entier et le dominer étaient impossible, et pourtant l'Occident a pu, pourquoi ? Parce que cela devait être, des forces lui ont été données, des progrès que n'avaient pas les autres peuples parce que cela entrait dans le déterminisme du monde. Mais ce déterminisme a aussi son indéterminisme, celui de ne pas être toujours « dominant et dominateur ». Tout au plus une séquence de l'histoire pour l'Occident et le monde que fut la colonisation du monde.

4. Alan Greenspan, ancien gouverneur de la Fed, et la prophétie d'un grand événement à venir ?

Cette approche sur Karl Marx nous permet de mieux saisir la pandémie Covid-19 aujourd'hui. Elle aussi entre dans le « déterminisme-indéterminisme », dans le sens qu'elle devait faire irruption. Il est intéressant de citer une affirmation d'Alan Greenspan, l'ancien gouverneur de la Banque centrale américaine (Fed), qui s'assimile plus à une prophétie. Et nous y sommes dans l'événement dont il parlait, le Covid-19.

Qu'affirme-t-il ? Sur le site or.fr, dans un article daté en février 2015, soit 5 années avant l'irruption de la pandémie, on lit : « Alors que la Réserve fédérale imprime des milliers de milliards de dollars pour garder le système économique à flot, plusieurs investisseurs et observateurs de la finance en sont venus à la conclusion que les problèmes économiques fondamentaux auxquels ont fait face les États-Unis durant l'effondrement de 2008 ont été résolus. Les actions, après tout, atteignent des sommets historiques. Mais les initiés ne sont pas dupes. Et s'il y a quelqu'un qui comprend bien la politique monétaire des États-Unis et ses effets à long terme sur les affaires intérieures et internationales, c'est bien Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale. À la tête de la banque centrale la plus puissante du monde pendant presque deux décennies, il est bien au courant des conversations internes et des machinations gouvernementales qui nous ont amenés jusqu'ici.

M. Greenspan s'est récemment entretenu avec le vétéran analyste de ressources Brien Lundin, à la New Orleans Investment Conference, pour partager certaines de ses pensées. Selon Lundin, l'ancien président de la Fed a clairement indiqué que la banque centrale fait face à un sérieux problème, un problème qui aura des conséquences significatives à l'avenir.

Nous lui avons demandé où il voyait le prix de l'or dans cinq ans, et il a répondu « beaucoup plus haut ».

Lors d'un entretien privé, je l'ai interrogé sur la dette... et le fait que le fardeau de la dette des États-Unis est devenu si lourd qu'il devrait y avoir une dépréciation de la monnaie. Il a surtout souligné que nous ne sortirons pas de cette ère d'assouplissement quantitatif et de taux d'intérêt à zéro de la Fed sans que cela n'entraine un événement significatif sur le marché... Cela veut dire qu'il y aura soit un effondrement boursier, soit une récession prolongée, qui donnerait alors naissance à une nouvelle série de mesures d'assouplissement quantitatif de la Fed (QE4). » (5)

Alan Greenspan conclut : « Il pense que quelque chose de grave va arriver. Quelque chose qui nous empêchera de sortir de cette ère d'impression monétaire sans certaines répercussions - assez sévères - dont l'or bénéficiera. » (5)

Comment Greenspan est arrivé à cette conclusion ? Bien au fait des politiques monétaires qui sont en fait de « véritables stratégies de guerre » que la Réserve fédérale mène dans le monde, depuis l'avènement du dollar en tant monnaie-centre du système monétaire international, dont la mise en place remonte aux accords de Bretton Woods, en 1944, en plein Guerre mondiale. Or, ce quelque chose qui va arriver, Alan Greenspan ne savait pas de ce qu'il allait s'opérer cinq années plus tard. Mais il a quand même pressenti que par événement grave, il fallait s'attendre à quelque chose tellement grave, donc à un malheur tel que celui-ci allait amener les décideurs de la Fed à changer leur stratégie, à changer le fusil d'épaule, et procéder entièrement à l'opposé de ce qu'ils avaient mis en œuvre, depuis 2008.

Ce qui s'est passé, on peut le résumer en quelques mots. Entre 2008 et 2014, la Fed a inondé de quantitative easing dont une grande partie des capitaux émis était stérilisée au niveau des comptes que les banques américaines ont au niveau de la Banque centrale. Le prix du pétrole, des matières premières, de l'or ont fortement augmenté puisqu'il corrélait les émissions de liquidités ex nihilo. La Fed, sans alternative, confrontée aux déficits, faisait tourner la planche à billet pendant sept ans. En 2014, elle mit fin aux QE. Les autres Banques centrales occidentales, en retard, continuaient leurs QE avec des émissions monétaires massives ex nihilo dont une grande partie est stérilisée, en attente de remboursement de la dette extérieure détenue par les pays étrangers.

De 2014 à 2019, avec la fi des QE, c'est l'appauvrissement du reste du monde. Un grand nombre de pays du reste du monde, en particulier d'Afrique, d'Amérique du Sud et une partie des pays asiatiques commencent à être frappée par la crise d'endettement. La chute des prix du pétrole, des matières premières, des produits de base, était telle que cette partie du monde allait se retrouver revivre la décennie noire de l'endettement mondial, celle de 1980.

Sauf que ces pays du reste du monde vont se retrouver face à deux créanciers, l'Occident qui a fermé le robinet monétaire dont dépend le commerce extérieur pour ces pays et donc endetté se retrouvant sans réserves de change pour payer leurs dettes puisque toute aide contre P.A.S ne va servir que pour payer le service de partie de la dette, une dette qui ne cesse d'augmenter et donc sans sortie de crise. Même processus avec le deuxième créancier mondial, la Chine. Et toujours les terres et richesses de ces pays (ports, terres agricoles, mines, etc.) comme gages et donc saisies si les pays ne pourraient rembourser leurs dettes.

Précisément, 2019 a été une année très difficile pour ces pays. Avec l'appauvrissement, le recours aux institutions internationales (FMI, banques et États occidentaux) et aux prêts consentis par la Chine, ces pays allaient droit au mur, sans solution à leurs problèmes d'endettement. En décembre 2019, apparaît la pandémie Covid-19. N'est-ce pas là ce qu'a non pas prophétisé Alan Greenspan mais ce que la Pensée du monde a fait penser la pensée d'Alan Greenspan. En clair, la Pensée du monde qui régit le déterminisme-indéterminisme a fait pressentir l'ancien gouverneur de la Fed de ce qui va arriver. Le monde est entré en plein en collusion avec l'astéroïde pandémique qu'est le Covid-19.

Qu'écrit-il l'ancien ministre fédéral des Finances de la République fédérale d'Allemagne (2009-2017), Wolfgang Schäuble. « La perspective de sortir de la crise du COVID-19 rend d'autant plus urgente d'avoir une vision ferme de la manière dont le fardeau de la dette publique peut être réduit une fois le coronavirus vaincu. Pour cette raison, chaque pays doit travailler sur lui-même et s'efforcer de maintenir une discipline budgétaire.

BERLIN - Le 12 octobre 2020 restera dans l'histoire financière allemande. Pour la première fois, la nouvelle dette publique a augmenté à un taux de plus de 10 000 ? (11 900 dollars) par seconde, plus rapidement que lors de la crise financière mondiale de 2007-09, où un énorme volume d'emprunts nets était nécessaire. Cette accélération brutale de la dette, en Allemagne et dans les pays du monde entier, est le prix à payer pour éviter les conséquences économiques du COVID-19. » (6)

Wolfgang précise 10 000 euros ou 11 900 dollars de dette par seconde. Dans une autre analyse, « Alors que les grandes puissances ont dépensé sans compter pour soutenir l'économie face au choc de la crise du Covid-19, la dette publique mondiale s'est hissée à 98% du PIB, contre 84% en 2019. Si c'est « légèrement moins désastreux qu'estimé à l'été 2020 », la pandémie de Covid-19 pose « un sérieux défi aux finances publiques » des grandes puissances.

La crise du Covid-19 met les finances publiques des Etats à rude épreuve... La dette publique mondiale a atteint un niveau historique en 2020, à 98% (contre 101,5% estimé à l'été 2020) du PIB planétaire contre 84% en 2019, du fait des mesures de soutien et des plans de relance massifs des grandes puissances. Le FMI, qui publie jeudi son dernier rapport sur la surveillance budgétaire, rappelle que le montant total des aides des gouvernements pour lutter contre la crise sanitaire et économique provoquée par la pandémie de Covid-19 s'élève à 14.000 milliards de dollars, soit 2.200 milliards de plus qu'en octobre dernier. » (7)

L'Occident qui a voulu endetter le monde se retrouve à son tour endetté. Le QE4 dont parle Alan Greenspan est bien là, les 14.000 milliards de dollars que sont les formidables liquidités émises par les Banques centrales occidentales auxquelles il faut joindre la Banque de Chine. Pourquoi ? Pour parer au Covid-19 et ce n'est pas fini.

N'est-ce pas une « Ironie de l'histoire ». N'est-ce pas que, si une guerre économique, financière et monétaire oppose les deux grands pôles de l'économie mondiale, i.e. l'Occident et la Chine, il demeure que la Nature a horreur du vide. Un vide qui n'a pas un objectif précis ne peut rester vide. La pandémie a été en fait une réponse à l'humanité, en particulier aux décideurs du monde. Endetter le monde signifie aussi porter préjudice à soi-même. Des usines en Occident ferment inévitablement, et en Chine aussi.

Si la « route de la soie » pour la Chine entre dans une perspective « gagnant-gagnant » oui, si c'est son contraire, ça ne peut pas marcher parce que l'humanité ne se dirige ni ne peut se diriger seule. Et même c'est négatif pour les centaines de millions de Chinois qui vont voir la demande mondiale fortement diminuer ce qui se traduira par une forte hausse du chômage.

Telle peut être comprise la pandémie qui s'est abattue sur le monde. La question qui se pose, quand la pandémie va-t-elle enfin s'éteindre ? Ce qui nécessite une autre analyse mais toujours empreinte par cette métaphysique déterminisme-indéterminisme. Pourquoi ? Parce que l'homme est lui-même métaphysique en puissance. « Il ne se sait pas. » Une seule question à laquelle il n'a aucune réponse et qui étaye qu'il est métaphysique : « Pourquoi vient-il au monde ? Qu'apporte-t-il au monde ? Pourquoi quitte-il le monde ? »

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective

Notes :

1. « L'Asie de l'est prend une nouvelle longueur d'avance », par Kishore Mahbubani, Project-Syndicate. Le 22 juillet 2020

https://www.project-syndicate.org/commentary/three-reasons-for-better-east-asian-covid19-response-by-kishore-mahbubani-2020-07

2. « Coronavirus : la Chine annonce avoir vaincu l'épidémie par France info. », par France TvInfo Le 14/09/2020 11:45

https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-la-chine-annonce-avoir-vaincul-epidemie_4105497.html

3. « Et si un astéroïde tombait sur Paris ? Les scénarios catastrophes », par le journal Le Figaro. Le 30 juin 2017

https://www.lefigaro.fr/sciences/2017/06/30/01008-20170630ARTFIG00405-et-si-un-asteroide-tombait-sur-paris-les-scenarios-catastrophes.php

4. « Karl Marx : « La religion est l'opium du peuple », par le magazine Le Point. Le 16/12/2017

https://www.lepoint.fr/religion/karl-marx-la-religion-est-l-opium-du-peuple-16-12-2017-2180496_3958.php

5. « Alan Greenspan prévoit une grave crise et une hausse de l'or », par or.fr Le 23 févr. 2015

https://or.fr/actualites/alan-greenspan-prevoit-grave-crise-marches-financiers-hausse-or-725

6 « Risquons-nous une pandémie d'endettement ? » par le site Project Syndicate. Le 16 avril 2021

https://www.project-syndicate.org/onpoint/debt-risks-inflation-and-loss-of-competitiveness-by-wolfgang-schauble-2021-

7. « La crise du Covid-19 fait exploser la dette publique, « sérieux défi » pour les grandes puissances », par la revue Capital.fr. Le 28 janvier 2021

https://www.capital.fr/economie-politique/la-crise-du-covid-19-fait-exploser-la-dette-publique-serieux-defi-pour-les-grandes-puissances-1392348

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective