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La pensée
dominante dans la littérature occidentale associe l'émergence du sport moderne
au XIXe siècle en Europe à l'avènement du capitalisme et au système de l'État-nation. Ainsi, sur la base des idées de régulation,
discipline du corps, esthétisme, méritocratie, partage du travail,
bureaucratie, et performance, le sport moderne, en particulier dans sa forme
compétitive, a construit son système de valeurs en opposition à la pratique
physique traditionnelle.
En conséquence, l'acceptation de la pratique sportive moderne par les populations colonisées, a été expliquée comme un signe de leurs assimilation aux valeurs modernistes, et donc, du projet occidentale. Il faut signaler que cette pratique moderne était, souvent, utilisé au détriment des pratiques physiques traditionnels. Pourtant, ce rapport conditionné entre le sport moderne à la modernité occidentale a poussé les activités physiques qui sont attachés à la croyance religieuse dans le domaine de la tradition. Cette dichotomie entre modernité et tradition a créé une crise de sens autour des valeurs du sport moderne, des Jeux olympiques et de l'Olympisme, dans les différentes sociétés. Ceci est également vrai dans le monde musulman. Le monde musulman est déchiré entre sa fascination pour la modernité occidentale ? représentés par le système d'état-nation, l'avance industrielle et de la technologie de l'information? et de sa lutte contre la domination occidentale coloniale et néocoloniale. Le monde du sport connait le même conflit. Le monde musulman a, d'une part, accepté le sport moderne comme un symbole de la modernisation dans les sociétés musulmanes et comme un outil privilégié pour bâtir l'Etat-nation, mais d'autre part, de nombreux musulmans se méfient du sport moderne comme un symbole occidental et une étourderie des préoccupations sociétales authentiques de la Ummah (la nation des croyants musulmans). Pour illustrer cette problématique par rapport au contexte olympique, le but de mon intervention est d'aborder les zones de tensions, de consensus, et/ou de réconciliation, entre le monde arabo-musulman (histoire, culture et politique) d'une part, et les exigences des Jeux Olympiques (mouvement et philosophie), d'autre part. ZONES DE TENSIONS : LA QUESTION DU GENRE La pratique sportive des femmes musulmanes a soulevé le problème de la condition des femmes et la question autour de leur corps dans les communautés musulmanes comme sujet principal de recherche. Dans la sphère publique, la pratique sportive des femmes est utilisée comme un indicateur pour juger du niveau de progrès, de laïcité ou de conservatisme des sociétés musulmanes ainsi que du degré d'intégration des minorités musulmanes en Occident. Certains accusent le CIO de partialité envers le Qatar et l'Arabie Saoudite et souhaitent l'exclusion de ces deux pays des Jeux Olympiques à cause de leur politique de non-participation systématique des femmes, ce qui est clairement contraire aux principes fondamentaux de la Charte des JO. Après avoir autorisé des femmes voilées à participer aux JO (depuis ceux d'Atlanta) le CIO a été accusé de ne pas respecter les valeurs de neutralité politique et religieuse et de rester passif face à l'exclusion systématique des femmes de la part de certains Comités Nationaux Olympiques musulmans. Pour certains (comme laripostelaique en France et Atlanta Plus au USA), le port du voile n'est pas seulement une coutume religieuse ou culturelle mais « un acte de séparation distinctif et une forme de propagande religieuse et politique », particulièrement lorsqu'il est réclamé par les athlètes iraniennes qui représentent la République Islamique d'Iran aux JO. Le CIO a été accusé de partialité lorsqu'il a empêché l'initiative des athlètes français de porter un badge avec l'inscription « pour un monde meilleur », tirée de la charte Olympique tandis qu'il a laissé les athlètes iraniennes porter le voile. Le CIO a répondu à cette critique en expliquant que la participation aux JO des athlètes français ne dépendait pas du port du badge alors que pour les athlètes iraniennes, le port du voile en était la condition sine qua none. Pour certains, l'autorisation du hijab aux JO est une agression (une menace) et contredit les valeurs propres à l'émancipation des femmes et la longue histoire de la résistance des femmes (du moins en Occident) contre l'oppression masculine. Pour d'autres, le hijab devrait être célébré comme une forme de pluralité culturelle et une preuve d'ouverture du CIO à la diversité culturelle. ZONE DE TENSION : LA POLITIQUE Le conflit israélo-palestinien lié à l'occupation de la Palestine reste le point de cristallisation des troubles politiques internationaux. Les JO ont aussi servi de terrain à l'expression de ce conflit. Le Liban, l'Egypte et l'Irak ont décidé de boycotter les JO de 1956 à Melbourne pour protester contre l'invasion du Sinaï et de la bande de Gaza par les troupes françaises, britanniques et israéliennes en Octobre 1956. Ce conflit s'est étendu jusqu'au stade olympique de Munich en 1972. Les Comités Nationaux Olympiques arabes, et certains pays musulmans comme l'Iran, adoptèrent une politique de boycott des athlètes israéliens lors d'événements sportifs internationaux, dont les JO. En 1962, l'Indonésie décida d'annuler officiellement les Jeux Asiatiques pour protester contre la participation d'Israël. Un boycott non-officiel des athlètes israéliens continue mais à des degrés différents, malgré une normalisation partielle (culturelle et commerciale) ou politique ? du moins au niveau étatique, comme dans les cas de l'Egypte et la Jordanie. En 2010, l'équipe olympique de football d'Egypte ajourna un match contre l'équipe nationale de Palestine après que des membres du parlement égyptien l'aient critiquée et que des joueurs aient refusé de jouer et de recevoir le tampon des autorités israéliennes sur leur passeport. La perspective d'un match amical contre l'équipe nationale de Palestine en Cisjordanie déclencha un débat similaire au Bahreïn. Les personnes en faveur du match, comme Sheikh Salman bin Ibrahim Al Khalifa, le président de la Fédération de Football du Bahreïn, annoncèrent que cela serait un signe de solidarité envers le peuple palestinien, face à l'occupation. Les personnes opposées au déroulement de la rencontre, dont la Société du Bahreïn contre la Normalisation, rejetèrent toute forme de normalisation, qu'elle soit directe ou indirecte, avec l' « Entité Sioniste ». Ces incidents récents nous rappellent que le sport international n'est pas à l'abri de l'importation du conflit israélo-arabe non-résolu. ZONE DE RECONCILIATION/ OU DE CONSENSUS Le rapport entre le global et le local dans le domaine du sport n'est pas toujours un rapport de conflit entre modernité et tradition ou entre les cultures orientales et occidentales. Malgré la nature nationaliste, sectaire et séparatiste du sport, il peut néanmoins offrir une possibilité de dialogue entre les Musulmans et les autres cultures, et entre le monde musulman et le mouvement olympique en particulier. A en juger par le nombre de participants (au niveau de l'élite tout comme au niveau de la pratique de masse), de supporters et de téléspectateurs, d'événements sportifs organisés au niveau national et international, de chaînes de sport, de fédérations nationales et de Comités Nationaux Olympiques, il est évident que l'envie de pratiquer le sport et de participer à des événements sportifs internationaux est bien réelle dans le monde musulman. La célébration en masse qui suivit la victoire de Hassiba Boulmerka, Nouredine Morceli aux JO de Barcelone en 1992 (alors que l'Algérie traversait une période de violence et de troubles politiques), le légendaire El Guerrouj aux JO de 2004 à Athènes, et, plus récemment, le triomphe fait à l'équipe nationale d'Irak suite à sa victoire aux Jeux Asiatiques, ou le succès de l'Egypte à la Coupe d'Afrique des Nations sont des illustrations de l'importance du sport (particulièrement le football) et de sa force symbolique, capable de mobiliser toute une nation en transcendant les classes sociales, les genres et les différences sectaires ? du moins pour la durée d'un match ou d'une compétition. Le sport ? grâce à sa globalisation ? offre aussi des rencontres interculturelles avec « l'Autre », d'une religion ou d'une culture différente. En ce sens, le sport devient une forme partagée de communication. De plus, la tolérance du CIO envers les Jeux Pan-Arabiques, les Jeux de Solidarité Islamique et les Jeux pour les Femmes Musulmanes en Iran met en évidence son ouverture sur les cultures arabes et musulmanes. En conclusion (pour finir sur une note d'espoir), le sport peut fournir au monde musulman et aux autres cultures un terrain de négociation de leur identité au-delà des limites traditionnelles nationales et culturelles, et ceci pourrait ensuite faire naître des situations enrichissantes d'échanges interculturels. *L'article présenté à l'occasion du 2ième Symposium International Olympique des Sciences du Sport, Sciences, Santé et Olympisme, 13-14 Janvier 2012, Constantine. Organisé par Le comité Olympique Algérien, Le Laboratoire de Recherches en Maladies Métaboliques, l'Université Mentouri, le Centre Hospitalier Universitaire et La Faculté des Sciences Médicales de Constantine. *Maitre de conférences en politique sportive et management du sport, Sous- directeur du centre des études Olympiques (Centre of Olympic Studies and Research?COS&R) Loughborough Université, Royaume-Uni. Réferences Amara, M. (2012), Mahfoud Amara (2012), Sport, Politics and Society in the Arab World, Palgrave Macmillan, Series: Global Culture and Sport Series, Hardback, ISBN: 978-0-230-30792-6, ISBN10: 0-230-30792-2. Amara, M., (2011) ''Olympic Sport and Internationalism Debates in the Arab-Muslim World Between 'Modernity' and 'Authenticity', 'Globalisation' and 'Localisation''', in Internationalism in the Olympic Movement, Idea and Reality between Nations, Cultures, and People, H Preuss & K Liese (eds), VS Verlag: Wiesbaden; 2001, p 37-52 K.E. Moore (1992) ?A Scream and Prayer: Politics and Religion are Inseparable from Sport in the Lives of Algeria?s World Champion Runners Nourdine Morceli and Hassiba Boulmerka, Sport Illustrated 77:5, p.58?61. Hargreaves, Heroines of Sport: The Politics of Difference and Identity (London: Routledge, 2000). |
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