Notre
présent, dit un grand chercheur du terroir, n'est que le reflet authentique de
notre passé ! Qui peut dire mieux ? Personne sans doute. De tout temps, le
latin et le punique furent les deux langues en usage dans la Numidie antique.
Le berbère, langue de la plèbe, fut relégué en seconde
zone comme une langue vernaculaire, absorbée par l'oralité. Un phénomène
historique quasiment inexplicable que le philosophe iranien «Daryush Shaygan» appelle
«syndrome de l'éphémère». Autrement dit, rien n'explique, par exemple, que les
œuvres d'Apulée de Madaure, celle de Saint Augustin
et de Juba II pour ne citer que ces trois monuments littéraires de la Berbérie soient écrites en latin.
Et puis, pourquoi le roi Massinissa lui-même, pourtant considéré à son époque
comme le fondateur de la Numidie, a officialisé le latin, puis le punique comme
langues du Royaume, au gré de ses alliances avec les Romains et les
Carthaginois ? Et pourtant, tous les signes extérieurs d'un Etat existaient :
monnaie, armée, diplomatie, sauf la langue officielle qui demeure «étrangère»
(latine ou punique). Mystère! Les aguellids
(rois) berbères étaient-ils à ce point fascinés par les étrangers pour oublier,
sinon effacer leur propre langue de l'usage officiel ?
Ce vide
historique ne saurait être compris, sur le plan anthropologique, que comme une
«absence cruelle de civilisation matérielle». Cela dit, tout notre héritage
culturel était d'ordre immatériel (contes, histoires, rites, coutumes, etc.).
Ce qui correspond par exemple aux royaumes de l'Afrique subsaharienne où
l'oralité fut un fondement essentiel de civilisation. Toutefois, quand on voit
les fresques écrites en Tifinagh au grand Sahara, on se
rend bien à l'évidence que ce constat pèche par défaut. Il y eut bien
civilisation, une civilisation berbère probablement très prospère, mais
oubliée, abandonnée et surtout dénigrée par les siens, à la faveur des
invasions successives subies depuis des millénaires. Une chose étant sûre : si
la langue berbère (Tamazight) a pérennisé au fil du temps et jusqu'à nos jours,
c'était surtout grâce à la femme, gardienne de la culture et de la langue
ancestrale. L'élite, les officiels, les historiens et la masse des chercheurs
locaux ont été frappés d'un vrai complexe d'infériorité vis-à-vis de la culture
des autres, perçue comme source du savoir, de la connaissance et de la
civilisation. Un cas symptomatique dénotant d'une honte-haine de soi, qui s'est
transformée au cours des siècles en «taba'iya»
(suivisme maladif des autres selon le concept d'Ibn Khaldun),
jusqu'à menace d'extinction civilisationnelle définitive de la langue-mère.
Notre oscillation paradoxale et assez pathétique entre Occident (langue
française actuellement qu'on veut remplacer par l'anglais/ latine à l'époque
prise surtout comme langue officielle et liturgique) et Orient (la langue arabe
classique importée d'un Orient perçu comme mythique et si différente du parler
algérien local/le punique à l'époque, prise à la fois comme langue commerciale
et diplomatique), ne résulte-t-elle pas de ce problème-là?
Toute la question est là, décidément !