Il suffit juste d'avoir goûté à l'ivresse d'un seul mandat pour
que l'on devienne otage malheureux de ce prestige avachi et de ces privilèges
perdus. Une fois out l'hémicycle, tout s'estompe, l'on range ses cravates
bigarrées, ses costumes cuivrés, ses mocassins dorés et l'on garde l'amertume
au bout des soupirs et des regrets de voir le vieux beau temps finir de sitôt.
Elle est difficile l'accoutumance, elle torture, elle crucifie en silence.
Rares sont ceux qui savent s'en découdre. C'est dans les parages des deux
Assemblées, à Alger, sur la terrasse de la Rotonde qu'ils viennent sentir leurs
victoires disparues et leurs lauriers fanés. Le temps subi à applaudir et à
lever haut les mains est un manque à ne pouvoir le combler que par le retour
sur des selfies avec d'anciens ministres qu'ils ne
peuvent ni montrer ni diffuser en réseau social. Tous ou presque ont été les
adeptes du cadre et roulaient pour le cinquième mandat dont ils ne disent plus
rien maintenant. Même Bouteflika, par qui juraient-ils à tous les podiums,
n'est plus un mot utile à prononcer. Certains de ces ex-députés et sénateurs
s'effacent dans les places de leurs provinces et ne soufflent le bon vent
qu'une fois installés sur une chaise de café en face de l'Aletti
ou de la Grande Poste. C'est là qu'ils croient grandir pour ne pas se voir
mourir tout de suite là où l'urne les a vu naître. Les
autres, à défaut d'être dans la grande avenue Zighoud
Youcef, se rabattent sur les environs du siège de leur wilaya. Là où ils
bombaient le torse et s'évanouissaient dans les sofas soyeux du salon d'honneur
des walis. De loin, à l'abri des regards, à bord de véhicules, ils sustentent
leur ego flétri par les souvenances et les bobards envers ceux qui ne les ont
pas connus p'tits poussins de laboratoire. Attablés, je les ai vus, avec les
nouveaux venus, tous tombés sous le charme de l'enthousiasme du moment; les ex tiennent à relater tel un conte biblique leur
passage sur les bancs des immeubles formant la belle façade maritime algéroise.
Ils ne disent plus rien sur l'exploit du cadenas ou sur la déferlante mouvance
du 22 février qu'ils tentent de s'en y identifier louant ses effets. L'audace
aussi persiste à couvrir sans gêne et à l'éternité leur drôle de visage. Mayna ! Pour preuve qu'aucun sens partisan ou idéologique
n'était leur priorité, n'ayant de prévalence que le tremplin recherché;
ils ne pointent plus aux instances de base de leurs partis. Fini l'élan de
dissuasion, les yeux doux et le verbe enivrant. S'occuper et remplir son vide
temporel par une réjouissance inachevée ou par un investissement quelconque ne
peut suppléer le rang social qu'ils croyaient avoir acquis. Ils semblaient
avoir été quelque chose, ils sont rien du tout. C'est naturel, quand on
provient du néant, on réintègre en fin de course ce même néant. Quant aux élus
locaux à mandat échu, la nostalgie du poste les dévore à la mesure du lourd
temps qui passe depuis leur extinction. Les cérémonies ne sont plus au
rendez-vous. Ni les audiences ni les sollicitations. Ils les guettent à la
moindre occasion.
Lorsqu'on bâtit sa personne sur le précaire et l'on se convainc
que c'est durable, c'est à l'angoisse, à l'isolation de vous tenir compagnie.
Ce phénomène d'accoutumance est parfois vécu dans la chair et ne s'avoue jamais
en public. On le malaxe à l'intérieur de soi, mais il reste visible chez les
observateurs pertinents. «A qui racontes-tu, ton Zabor,
ô Daoud» !? La pension grasse et gracieuse, l'aisance
financière, le confort matériel des rejetons ne suffiront pas à compenser la
considération sociale que l'on prétendait avoir. Il manquera toujours cette
position valorisante, même fausse, dans la hiérarchie du douar.