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Alors
que le starter officiel donnant le départ de la course à l'élection à la
présidentielle a été donné, ce dimanche 10 avril en France, les relations avec
l'Algérie joueront-elles un rôle important dans le vote des franco-algériens
pour le deuxième tour ?
S'agissant des deux candidats en lice pour le 2ème tour des élections, la préférence des votants de la communauté émigrée irait sans aucun doute vers celui qui inclura dans son programme l'accessibilité par les chercheurs et les historiens des archives de la guerre d'Algérie qui restent encore une priorité pour les Algériens et un « secrets d'Etat » pour la France. La guerre des mémoires et la vérité des archives ou leur escamotage sont deux sujets qui risquent, selon que l'on soit Macron ou Le Pen, de faire pencher la balance du vote des immigrés d'un côté ou de l'autre. Que l'on soit courageux et réaliste ou revanchard et xénophobe, l'Histoire ne doit pas être manipulée pour en faire un sujet de propagande ou occultée pour laisser les Français dans l'ignorance de ce que fut le drame colonial de 1830 à 1962 . S'il veut être réélu, Macron ne devrait pas laisser en suspend cette importante page de l'Histoire qui lie l'Algérie et la France par le fait colonial. Il devrait avoir le courage d'un certain Paul Teitgen. Ce nom à lui seul évoque l'indignation des Français, pas très nombreux hélas, qui se sont soulevés contre l'appareil d'Etat colonial en 1957, lors des exactions qui eurent lieu pendant ce que l'on appelait « La Bataille d'Alger ». Dans une terrible solitude, Paul Teitgen eut le courage de mettre en péril la brillante carrière qui l'attendait, en refusant d'être le complice de crimes contre l'Humanité. Le futur président de France devrait s'en inspirer pour son programme futur, mais devrait aussi élever une statue en l'honneur de celui qui tenta de sauver l'honneur de la France en dénonçant les crimes commis en son nom lors de la guerre d'Algérie. Aujourd'hui, si on demandait aux Françaises et aux Français qui était Paul Teitgen (1919-1991), nous pensons que personne ne vous donnera de réponse. Il fut pourtant un témoin absolument majeur des crimes commis en Algérie par la République coloniale. Pour les pouvoirs de l'époque, sa parole fut plus embarrassante en un sens que celle d'un Henri Alleg militant du FLN qui raconte dans son livre ?La Question', son supplice dans les geôles des parachutistes des Massu, Bigeard et autres. Lorsque Teitgen dénonçait la torture en Algérie, les supplices, les « corvées de bois » comme jadis la Gestapo les pratiquait en Franc, il affirmait que ces crimes ne venaient pas de « l'ennemi » communiste ou FLN. C'était l'œuvre des « seigneurs de la guerre aux terrifiants caprices » (Jean-Paul Sartre) « Ce que Macron, en visite en Algérie désignait comme crime contre l'Humanité, Teitgen seul ou presque le dénonçait déjà en 1957 en luttant, pied à pied, avec les ces « paras » rentrés d'Indochine et de Suez que le socialiste Guy Mollet avait lâchés sur Alger le 7 janvier 1957 et qui perpétuèrent les pires crimes contre des innocents. Puis, non content d'avoir ainsi tenté de « mettre du sable dans les rouages de la machine » militaro-policière, comme l'écrivit amèrement le général Jacques Massu, on lui reprocha « d'oser, comble de sacrilège, rapporter ce qu'il avait vu, parler » « devant Dieu et les hommes », ainsi qu'il aimait à dire, quand tous les autres, civils et militaires, pratiquaient une omerta plus ou moins honteuse. Dix ans après la fin de la guerre et l'indépendance de l'Algérie, ce TEMOIN MAJUSCULE fut complètement oublié par la France et les Français. A l'inverse des assassins et tortionnaires qu'il avait affrontés, les Massu, Bigeard et les criminels de guerre, qui le calomnièrent dans leurs Mémoires et construisirent sans trop de contradictions le mythe de la « bataille d'Alger », travestissant leurs crimes en héroïque victoire sur le terrorisme. Ils furent quant à eux couverts de gloire et d'honneurs par la République, pour ceux tout au moins qui n'étaient pas passés à l'OAS. Si Macron est réélu, aura-t-il le courage de Paul Teitgen, et ouvrira-t-il les archives pour qu'enfin la vérité puisse être révélée sur les disparus de la bataille d'Alger et ceux des D.O.P et des contres de torture. Le prochain président élu va-t-il pouvoir redorer le blason de son pays en ouvrant, aux historiens et chercheurs, pour la France et pour l'Histoire, en ouvrant les archives de la colonisation française, les opérations de police, de torture, les exactions commises contre la population algérienne, et les Algériens disparus par milliers entre les mains des parachutistes durant la « bataille d'Alger ». Un atout non négligeable pour Macron dans l'entre deux tours pour attirer les bulletins des Franço-Algériens qui voteront au second tour. « Si les Françaises et les Français et le monde entier ont fini par connaître le sort de Maurice Audin, et si Henri Alleg, échappé des griffes de ses bourreaux, a pu faire tant de bruit avec son livre « LA QUESTION », si des juges ont été contraints d'ouvrir des instructions, et si des tribunaux ont pu convoquer des témoins à leur barre, c'est que les accusateurs étaient des Français écœurés, peu nombreux certes, mais courageux, par tant de crimes contre l'Humanité, reconnus par Macron dans une de ses virées politiques en Algérie. Pensait-il alors à ces milliers de victimes , la pauvre troupe des militants et des anonymes, des suspects et des innocents, des partisans de la juste cause et de ceux qui n'étaient coupables que de s'appeler d'un nom arabe ou d'habiter la Casbah, la triste, longue et innombrable multitude des misérables aux dents brisées et à la tête fracassée, aux poitrines défoncées, au dos déchiré, aux membres disloqués, cette misérable armée d'éclopés et de bancals, abrutis par les humiliations, ces héros de la honte ou ces naïfs que leurs tortionnaires ont rendu enragés? Pensait-il à ces journaliers de la rue Annibal, les boulangers, les manœuvres et les dockers de l'impasse du Palmier, les comptables et les magasiniers, les bijoutiers et les laitiers de la rue de la Lyre, les conducteurs et les receveurs de trolleybus de la rue Caton, les commerçants, les chauffeurs, les imprimeurs de la rue des Coulouglis, les instituteurs, les maîtres d'internat, les médecins et les infirmiers de la rue de Chartres, les menuisiers et les coiffeurs de la rue Kléber, les cafetiers de la rue Bruce, les jardiniers de la rue du Sphinx, les cordonniers de la rue du Chat, les employés d'administration, les caissiers de la rue Salluste, les chauffeurs de taxi de la rue des Abencérages et de la rue du Divan, les bouchers de la rue du Centaure, les gargotiers, les marchands de légumes de la rue Jugurtha, les cheminots, les épiciers, les brocanteurs de la rue Marengo, les laitiers, les forains, les pâtissiers, les tailleurs de la rue de la Gazelle, les fleuristes, les miroitiers, les camelots et les plombiers de la rue de la Girafe et de la rue des Lotophages, tous ceux que les bérets rouges, les bérets noirs ou les bérets bleus allaient cueillir parfois dans les bains maures ou dans les mosquées, déversaient dans les chiourmes de Beni-Messous et de Ben Aknoun, enfermaient dans les grottes des villas des hauts d'Alger et du Sahel, enchainaient quelquefois par le cou et par les mains les uns aux autres comme des bêtes et interrogeaient pendant des nuits et des nuits avec des tenailles, des électrodes et des cigarettes. En parlant de crimes contre l'Humanité, Macron avait-il connaissance des quatre-vingt-dix malheureux asphyxiés au printemps 1957 dans des cuves à vin de quelques domaines de la Mitidja, et sait-il comment se nomment ceux qu'on trouvait sur les plages et sur les brise-lames du port, ligotés dans des sacs ? Peut-il nous dire ce que sont devenus tous ces Abdeddaïn, ces Abou, ces Achache, ces Adder, ces Aït Saada (ce qui veut dire les fils du bonheur), ces Amraoui qu'on a entendu crier toute une nuit, ces Asselah, ces Ayadi et Ben Ali, ces Bachara et ces Benbraham qu'on a ramenés chez eux pour fouiller leur maison, puis rembarqués, ces Barkate et ces Ben Moulay, ces Bendris et ces Baziz, ces Bécha et ces Bouabdallah* et ces Bouchakour, ces Bouderbel et ces Bouzid, ces Chouchi et ces Cheddad, ces Dahmane et ces Djegaoud, ces Diffalah et ces Djafer, ces Djanaddi, ces Douadi dont on a seulement repêché le portefeuille et les papiers, ces Djouder, ces Essghir, ces El Keddim, ces Fadli, ces Gaoua et ces Guenndour, ces Hamdani et ces Hammache, ces Issaadi, ces Kaïm, ces Kadem, ces Kherfi, ces Kherbouche, ces Laghouati, ces Mahieddine et ces Mabed, ces Madjene, ces Mammeri, ces Merouane dont on a volé les économies, ces Mimoun, ces Moktari, ces Nourine et ces Nachef, ces Ouamara et ces Ouaguenouni, ces Rahim, ces Sadfi, ces Sadi, ces Sakani, ces Sifaoui dont les corps ont été arrosés d'essence et brûlés, et tous les Slimi les Taalbi, les Tabarourt, les Tazir, les Touati, les Yaker, les Younsi, les Zouïche, les Zergoug, les Zigara et les Ziane,? En quel martyrologe figurent-ils puisque la France que vous avez présidée a ordonné que « le secret le plus absolu » devait être assuré en ce qui concernait « le nombre, l'identité et la qualité des suspects arrêtés » ? Les réponses à toutes ces questions sont dans les archives que vous ne voulez pas « libérer ». C'est dans ces archives que vous bloquez au nom d'un prétendu secret d'Etat que nous trouverons tous ces noms, ces métiers et ces adresses qui sont égrenés ici, dans une terrible litanie, et qui ne sont évidemment pas inventés. Les extrait du Cahier Vert, publié en 1959 par Jacques Vergès, Michel Zavrian et Maurice Courrégé. En août 1959, ces avocats, en dépit de l'obstruction policière, avaient recueilli en quelques jours à l'hôtel Aletti quelque 150 « plaintes » de proches de disparus entre les mains des militaires. La justice française n'en ayant cure, ils adressèrent ces plaintes à la Croix Rouge internationale, qui ne semble pas en avoir fait quelque chose. La plupart de ces disparus réclamés par leurs familles avaient été enlevés par les parachutistes à Alger en 1957. Toutes ces victimes et leurs dossiers sont bien cachés et mis au secret même après 62 ans. C'est pour tout cela que le futur président des Français, pourvu qu'il soit honnête avec lui-même et avec l'Histoire, devrait promettre d'ouvrir les archives de cette guerre ignoble qui a clôturé 132 ans de domination coloniale injuste et odieuse s'il veut augmenter ses chances de victoire. Qu'il autorise l'ouverture de ces archives toujours secrètes, que l'on puisse enfin fermer cette plaie encore béante, et qui empêche les citoyens des deux pays de penser à un avenir plus serein. Dire la vérité sur ce drame et contredire les propos de certains nostalgiques de l'Algérie française, à l'image des Le Pen ou encore du général Massu qui s'était offert, avant de disparaître, « un nouveau moment de gloire médiatique » en publiant un livre, assez drolatiquement intitulé « La Vraie Bataille d'Alger. L'ancien commandant de la 10ème Division Parachutiste prenait ainsi la part qui lui revenait de droit dans l'exploitation d'un juteux filon éditorial français : le mythe d'une « bataille d'Alger » remporté sur « le terrorisme » FLN, héroïsant sans vergogne les acteurs d'une sanglante répression de masse de plusieurs mois. C'est à cela que pensait Macron en évoquant le crime contre l'Humanité dans l'Algérie coloniale ? Ne pas ouvrir les archives, c'est se faire le complice de Massu, Bigeard, Aussaseres et Le Pen. L'autre promesse que devrait faire Macron s'il veut recueillir les votes des émigrés en droit de voter et dont le nombre n'est pas négligeable, c'est de revoir les relations franco-algériennes qui sont de tous ordres: commerciales, scientifiques, techniques, mais surtout familiales. Ce qui nous amène à parler des visas. Parler de visas en Algérie quand on vient de France, ce n'est pas juste parler d'un document administratif. C'est parler d'une histoire longue et douloureuse entre deux pays qui sont liés, l'un à l'autre, par des liens anciens et complexes. Revoir la politique d'octroi de visas pour les Algériens est essentiel. Actuellement, les refus de visa ne sont même pas motivés pour la plupart. Dans l'esprit orienté de certains fonctionnaires des ambassades et consulats français en Algérie, un visa est une faveur, non un droit. Alors que chaque famille vivant en Algérie a des proches, vivant en France, avec la nationalité algérienne ou avec la nationalité française. Ces proches, ce sont des cousins, des neveux mais souvent des fils, des filles, des parents, des conjoints aussi. C'est exercer une forme de chantage politique que de faire jouer la carte des visas. Nous espérons qu'Emanuel Macron, une fois réélu, comprendra qu'il a plus d'intérêts à revoir sa position vis-à-vis de notre pays et répondra déjà à ces deux préoccupations que sont pour nous ces deux thèmes : Ouverture des archives et révision de la politique d'octroi des visas. Et s'il n'est pas réélu, nous n'aurions alors rien à attendre d'une présidente d'extrême droite dont on connaît d'avance le programme et les idées les mêmes que celle d'un Zemmour, dégagé dès le premier tour et qui appelle à voter Marine Le Pen, ce qui nous ferait craindre le pire pour nos compatriotes de l'autre côté de la Méditerranée en cas de victoire de l'extrême droite et des leurs alliances. |
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