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De UKUSA à AUKUS : Etats-Unis, Australie et Royaume-Uni scellent un nouveau pacte de sécurité en Asie-Pacifique : La France, dindon de la farce (2/2)

par Abdelhak Benelhadj

La plupart des politiques hexagonaux se contorsionnent dans le désordre (Les Républicains, ce qui reste des socialistes... foncièrement atlantistes) et se ménagent des portes de sortie. D'autres, sont aux abonnés absents : notamment les extrémistes de droite (Le Pen, Zemmour...) qui tiennent par ailleurs l'Amérique (de D. Trump) pour modèle. N. Sarkozy se réveille mardi, quatre jours plus tard. F. Hollande est toujours... ailleurs.

Seules, les anti-américains primaires et ce qui reste des gaullistes, en voie d'extinction, osent... dans le désert.

Mardi 21 septembre, des sénateurs socialistes proposent la création d'une commission parlementaire. La technique habituelle pour enterrer pour une durée indéterminée une affaire délicate dont l'exécutif a du mal à se dépêtrer.

Les Français sont handicapés par leurs propres choix depuis des décennies en faveur d'un alignement unilatéral économique, politique, militaire, universitaire, culturel... sur les Etats-Unis et ce qu'ils représentent.

Depuis jeudi 16 septembre et la bruyante colère du ministre français des Affaires Etrangères, de tous côtés, dans les médias, des experts, des politiques, des universitaires, des économistes... freinent des quatre fers, tentent tempérer les sentiments antiaméricains qui, très timides au début de l'affaire, commencent à prendre une dimension qui rappelle l'époque où les gaullistes et les communistes se partageaient le paysage politique français.

Ces nombreux Français amoureux de l'Amérique occupent aujourd'hui des postes clé de l'administration d'Etat, de l'économie, des finances... fréquentent des institutions proaméricaines ouvertement contrôlées directement ou indirectement par les Etats-Unis telles que : L'International Institute for Strategic Studies (IISS, Londres), la Rand Corporation, le groupe Bilderberg, la french american foundation young leaders, Peterson Institute for International Economics... Il y a aussi les cercles français notoirement atlantistes comme le Cercle de l'Oratoire, l'Institut Montaigne, ou World Policy Conference de l'IFRI...

Fondée en 1976, l'une de ses activités principales de la french american foundation young leaders est d'organiser des séminaires pour des jeunes dirigeants (Young Leaders) français et américains issus de la politique, de la finance ou de la presse « à fort potentiel de leadership et appelés à jouer un rôle important dans leur pays et dans les relations franco-américaines. »

Ces séminaires sont un des instruments du soft power américain, le reconnaît-on ouvertement sur son site. Les présidents F. Hollande (1996) E. Macron (2012) ont fréquenté ces séminaires...

Les débats théoriques font oublier quelques fois les données les plus élémentaires : A Paris, le Palais de l'Elysée, la résidence de l'ambassadeur américain, l'ambassade de Grande Bretagne et celle des Etats-Unis sont contigus. On peut passer des uns aux autres sans changer de trottoir. Seule, la rue de l'Elysée fait mine de les séparer.

Arnaud Montebourg se réveille ce mardi 21 septembre et propose sur Europe 1 la mise à l'écart des Cabinets de Conseil américains introduit un peu partout dans les rouages de l'administration et des entreprises.[11]

« Peut-on accepter, dit-il, que tous les grands cabinets de conseil comme McKinsey, les grandes banques comme Goldman Sachs, les fonds d'investissement (soient) soumis au Patriot Act, c'est-à-dire que la totalité des informations qui circulent dans ces cabinets sont directement capturées et sont sous législation américaine ».

« Ce sont ces cabinets qui travaillent avec l'Etat aujourd'hui et les grandes entreprises stratégiques ». « Nous devons décider leur mise à l'écart », au profit de « cabinets français qui ne sont pas assujettis au Patriot Act », un ensemble de lois antiterroristes qui prévoit le durcissement des conditions de détentions des étrangers et autorise la surveillance des communications par téléphone ou sur internet. (AFP, mardi 21 septembre 2021).

Autre exemple, autre question : à la suite de quel protocole de décisions la Plateforme des données de santé a-elle fait le choix de recourir aux services de Microsoft, société dont le siège est situé aux États-Unis, afin d'héberger informatiquement les données de santé (service AZURE dit de cloud computing) ?

A la suite de quoi, la CNIL a souhaité que cet hébergement et les services liés à sa gestion soient réservés à des entités relevant exclusivement des juridictions de l'Union européenne.[12]

Un voeux pieux. Une goutte d'eau. Les GAFAM ont planté profondément leurs crocs en Europe et elles se sont créés des lobbys puissants profondément introduits au sein des administrations et des entreprises. Leurs PDG sont reçus à l'Elysée comme des chefs d'Etat.

Comme on le constate, l'américanisation de la France, à la suite des autres européens, est en effet à un stade très avancée. Et ce n'est là que la partie apparente de l'iceberg.

« L'ennemi chinois ».

En toile de fond, c'est la montée en puissance de la Chine qui serait la véritable raison de cette alliance. Pékin revendiquerait la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, riche en ressources naturelles et par laquelle transitent chaque année des milliards de dollars de marchandises, rejetant les prétentions territoriales des autres riverains: Vietnam, Malaisie, Brunei, de Taïwan et Philippines. La Chine est accusée de déployer des missiles anti-navires et des missiles sol-air, ignorant une décision de la Cour permanente d'arbitrage (CPA) qui a jugé que en 2016 que Pékin n'avait aucun « droit historique » sur cette mer stratégique. (AFP, 17/09/2021). En vertu de quoi l'Amérique (et ses alliés) serait-elle concernée ?

C'est le maître-argument américain justifiant la création de l'AUKUS avec ses conséquences fâcheuses pour l'industrie française. L'AUKUS viserait la Chine. La perte du marché des sous-marins par la France qui n'était pas ciblée, ne serait qu'un dommage collatéral. A d'autres...

Que la Chine ne soit pas dirigée par des enfants de choeur ne change en rien au fait que la compétition chinoise taille des croupières à l'industrie, aux technologies et à une puissance américaine en déclin relatif, laquelle creuse ses déficits extérieurs, siphonne l'épargne mondiale, favorise les bulles financières dangereuses pour la stabilité mondiale et menace la paix internationale.

On peut comprendre que Washington, qui a pris son temps, s'en préoccupe. Sans doute parce que de ses très nombreuses transnationales se sont implantées en Chine, y ont réalisé de grands profits et n'en désirent pas partir.

Les gauchistes, les trotskistes et les maoïstes des années soixante, anti-soviétiques enragés contre son révisionnisme et son capitalisme d'Etat, se retrouvent aujourd'hui à l'autre extrême de l'échiquier, au service de Washington, partisans du droit-de-l'hommisme, des guerres préventives humanitaires, en lutte opiniâtre contre la Chine de Xi Jinping.

Orchestrée depuis des années par D. Trump, les campagnes antichinoises sont reprises intégralement par l'administration Biden et aussi par les atlantistes européens les plus fidèles, notamment sur ces points :

- « Génocide » présumé de la minorité musulmane ouïghour dans la région du Xinjiang

- Eviction de la compagnie chinoise Huawei et la 5G

- Multiples accusations à propos de la pandémie et du « virus chinois »

- Endettement pour les contraindre et les piller des pays du tiers-monde (notamment africains)

- Menaces en Mer de Chine contre les alliés asiatiques de l'Occident

- Cyberattaques chinoises de Microsoft en juillet 2021

- ...

Il y a en France les leviers adéquats pour en défendre l'à-propos et même la nécessité de cette campagne, au coeur même de l'intelligence militaire du pays.

Un rapport de 650 pages est publié opportunément le lundi 20 septembre. Résultat de 2 ans de travail des oeuvres de l'Institut de Recherches Stratégiques de l'Ecole Militaire française (Irsem) un organisme parapublic. Ce rapport décrit et dénonce la machine de manipulation et de désinformation que les autorités chinoises ont tissée à l'échelle mondiale.[13]

Paul Charon[14], l'un des deux auteurs du rapport, invité au journal de 13h sur France Inter cette semaine, reprend à son compte le langage de D. Trump qui ne parlait pas de « gouvernement chinois », mais de « parti communiste » pour écorner la légitimité des autorités chinoises et bien souligner que la Chine est gouvernée, oppressée, par un parti, une idéologie.

Cette publication apporte nolens volens de l'eau au moulin de Washington qui, dans l'affaire du contrat des sous-marins perdu par la France a toujours justifié cette opération par la dangerosité représentée par la Chine.

Le problème est que cette étude n'est pas nouvelle mais une actualisation de celle qui avait été réalisée par le même Paul Charon en avril 2020 et publiée l'IRSEM en mars 2021.[15]

Une seconde observation critique : étudier unilatéralement la seule désinformation chinoise, sans analyse comparative des actions similaires ailleurs dans le monde réduit sa portée. A moins de verser dans un manichéisme qui s'éloigne du travail académique et faire croire que seule la Chine ou la Russie intoxiquent le paysage médiatique mondial. La guerre des fakenews est multilatérale, chaque parti reçoit des coups et en donne. C'est le jeu.

En sorte que n'observer que d'un oeil participe de fait à la désinformation qu'on dénonce. Et contribue peut-être à préparer les Français et leurs autorités à accepter leur sort et leur défaite. Plus grave, les impliquer dans un conflit dont ils ne maîtrisent les termes.

Au reste, n'est-ce pas le président Macron lui-même qui défendait il y a peu l'idée d'une menace russe et chinoise pesant sur le monde en des termes très violents : « Nous sommes face à une guerre mondiale d'un nouveau genre, face à la déstabilisation russe et chinoise. Face à cela, si nous voulons tenir, nous devons être souverains.» Sommet virtuel des 27, le 25 mars 2021.[16]

Sortir de l'OTAN ?

Sortir de l'OTAN exige de la part de la France une volonté politique et des moyens que les dirigeants français de la majorité et de l'opposition, à l'exception des marges, ne semblent pas posséder et vouloir s'en doter.

La France est engagée militairement sur de nombreux fronts en dépendance logistique à l'égard des Etats-Unis.

Devra-t-elle revoir sa stratégie et se retirer de conflits où elle est surtout impliquée dans le cadre de l'OTAN et plus généralement dans celui des relations avec Washington, avec la collaboration enthousiaste de ses généraux ?

L'interpénétration de ses armées et de sa stratégie dans celle des « alliés » sous commandement américain, est telle qu'il lui faudra revoir de fonds en combles sa politique étrangère et ses choix militaires fondamentaux.

Dans quelle mesure ses liens avec ses partenaires européens, eux aussi impliqués dans le lien atlantique, pourraient-elles en souffrir ?

Limites externes «Européaniser le conflit ? ».

Pour tenter de rallier les Européens à sa cause, les Français avertissent que n'importe quel autre pays pourrait être traité de manière identique. Ils ont désormais une idée « assez claire » de la façon dont Washington considère ses alliés, souligne-t-on à Paris. Le contexte s'y prête : la France prend la présidence de l'Union pour six mois à partir de janvier 2022.

«Si les Européens ne sentent pas que pour rester dans l'Histoire, il faut qu'ils s'unissent et défendent ensemble leurs propres intérêts, alors leur destin sera totalement différent», a martelé Jean-Yves Le Drian. (Le Figaro avec AFP, samedi 18/09/2021)

Très vite, il leur faudra déchanter. A supposer qu'ils aient eu quelques illusions sur ce point.

Cette option a peu de chance d'être couronnée de succès.

1.- Il a fallu quatre jours à la Présidente de la Commission européenne et au Président du Parlement européen pour esquisser un soutien du bout des lèvres à la France...

Dans un entretien sur la chaîne américaine CNN, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a jugé « inacceptable » la manière dont Paris a été « traitée ». Le président du Conseil européen Charles Michel a aussi dénoncé un « manque de loyauté » des Etats-Unis et plaidé pour un renforcement de la « capacité d'action » de l'UE sur la scène internationale. (AFP, L. 20 septembre 2021).

Des décisions ? Point. Des généralités qui n'engagent à rien ? À foison. Paris devra s'en contenter.

2.- Il y a des atlantistes forcenés dans l'Union. Certains se sont organisés autour de cette cause : Danemark, Suède, et surtout les membres du « glacis », des ex-PECO (pays Baltes, Pologne...).

Ces pays sont entrée dans l'Union pour jouir des Fonds structurels, FEDER... et surtout pour rejoindre l'OTAN, seule garantie pour eux de peser dans l'UE où certes, ils offrent en retour des avantages pour ceux qui savent en tirer parti : les industries allemandes par exemple, ou ceux qui exploitent la Directive « Pays d'origine » (2018), alias « Directive Bolkestein » (2006).

Il est à peu près certain qu'aucun autre pays européen traité souvent comme quantité négligeable, surtout après le mandat de D. Trump, ne se fait d'illusion sur ce point. Ce sont les Français, seuls qui viennent de découvrir ce qu'il en coûte d'être un « allié ».

L'arrogance de la France, perçue comme donneuse de leçons, n'a pas arrangé les choses. Par ces pays, mais aussi par plus proches : Italie, Espagne, Portugal... qui souffrent d'être pris de haut. Qui se souvient encore des mazarinades... ?

Les nouveaux admis au sein de l'Union trouvent auprès de la discrète, de l'austère et efficace Allemagne et des Etats-Unis le contrepoids et la protection face à la suffisance française, réelle ou supposée. En sorte que la crise des sous-marins contribue à faire émerger tous les reproches latents, les problèmes non résolus qui minent et handicapent la construction européenne.

Le problème est peut-être plus grave. Le projet d'Europe européenne est un projet sans issue à court ou moyen terme pour au moins deux raisons, locale et globale.

- Tant que les Etats-Unis maintiennent un système militaire transatlantique qui subordonne les intérêts européens aux intérêts américains et cela dans tous les domaines, aucun projet européen (par exemple dans ceux de la défense et de la diplomatie) permettant aux Européens de disposer d'eux-mêmes n'est sérieusement envisageable.

- Les Etats-Unis, dans ce cadre, s'accommodent et même encouragent les pouvoirs locaux (nationaux ou régionaux) qui contrarient la constitution d'un espace européen souverain.

Le libéralisme économique à tout crin est à l'avantage d'une mondialisation qui favorise la désindustrialisation, la dépendance commerciale extérieure et la domination américaine via les GAFAM des oligopoles puissants dont l'intrusion limite considérablement les marges de manoeuvre européennes.

De plus, en dehors de la monnaie, des finances, du commerce et de quelques autres domaines relativement mineurs, il n'y a aucune harmonisation fiscale ou sociale. Les trois principales prescriptions péremptoires issues des traités depuis celui de Maastricht (l'inflation, le déficit budgétaire et l'endettement) ont montré leur inefficacité et, au contraire, leur nocivité. On en mesure les effets depuis 30 ans.

Pour évaluer la cohésion européenne il suffit d'observer et de récapituler la réaction de ses membres lors de la crise pandémique de 2020. Confusion, manque de coordination, retour des frontières, décisions unilatérales sans concertation avec les voisins, absence de solidarité entre les membres...

Les Européens ont découvert qu'il y avait une Europe de la monnaie, une Europe des marchandises, une Europe ouverte à la compétition sociale et fiscale, mais pas d'Europe de la défense, ni d'Europe diplomatique qui parle au monde d'une seule voix. Et encore moins d'Europe de la santé, du travail et de la solidarité, soumise à la compétition des moins disant de ses membres.

Tout est dit et tout est su par tous. La politique du pire ? Aucun Français n'y est disposé.

Mardi 21 septembre à New York, le vice-ministre lituanien Arnoldas Pranckevicius résume bien la situation et délimite les marges de manoeuvre françaises : « J'espère que nous arriverons à surmonter la défiance transatlantique parce que c'est dans l'intérêt à la fois de l'Europe et de l'Amérique », a estimé, soulignant que « l'unité transatlantique » était « la plus grande force (...) en particulier vis-à-vis de pays comme la Russie et la Chine ». (AFP, mercredi 22 septembre 2021). J. Biden n'aurait pas mieux dit.

Géopolitique allemande.

Il est un fait que l'Union Européenne a du mal à exister hors du lien atlantique. La France, seule, ne pouvait faire contrepoids et l'axe franco-allemand avait surtout une valeur tactique exploitée en leur temps par le général de Gaulle et le Chancelier Adenauer qui connaissaient en toute lucidité les limites du Traité de l'Elysée signé en janvier 1963.

D'acteur diplomatique et stratégique longtemps mineur, c'est l'Allemagne qui émerge peu à peu au coeur de la puissance européenne naissante, comme partenaire majeur face à la Russie, à la Chine et aux Etats-Unis. Elle l'est à l'égard de l'extérieur du continent parce qu'elle l'est au sein de l'Europe.

L'Allemagne est coeur au de l'Union, par exemple en arbitrant les contradictions financières européennes en juillet 2020, consécutives à la crise pandémique, entre les membres du « Club Med » (dont la France) et les « pays frugaux » qui gravitent depuis longtemps dans la sphère d'influence de Berlin.

Peu à peu, l'Allemagne s'émancipe de la tutelle américaine. Mais, ce que les observateurs mettent du temps à comprendre, c'est que l'Allemagne s'émancipe aussi de la tutelle « franco-allemande ». Les Français ne parviennent pas à assimiler l'idée que la « clé de voûte », le « couple franco-allemand » sont des fictions françaises géopolitiques inconnues outre-Rhin que les Allemands regardent avec curiosité... au mieux.

En outre, Berlin a observé avec amertume (au moins) les décisions françaises à propos des dossiers Areva et Alstom dont les turbines ont été cédées à GE, mettant en péril l'électronucléaire français aussi bien dans les centrales que dans les sous-marins, avec l'aimable collaboration de l'actuel locataire de l'Elysée qui devrait en rendre raison.[17]

Le centre de gravité de l'Europe de l'espace européen migre vers l'Allemagne et c'est de Darmstadt que sont suivis la plupart des projets et des vols d'importance. Si Kourou conserve sa position stratégique pour le lancement des fusées, la meilleur du monde, la privatisation rampante de l'espace français prive Paris d'un levier de commande essentiel aussi bien sur le plan scientifique, technologique qu'économique et militaire.[18]

Evénements récents qui en témoignent.

30 décembre 2020. Signature des Accords sino-européens sur les investissements, sous la présidence de Mme A. Merkel

15 juillet 2021. Washington. Rencontre de la chancelière Angela Merkel et le président Joe Biden qui consent au gazoduc Nord-Stream 2. On ne connaît pas les tractations dans le détail. Mais les intérêts allemands ont prévalu. L'Allemagne, est désormais tenue pour l'interlocuteur européen majeur des Etats-Unis.

Les Américains ont perdu la partie. Les Français, qui ont relayé autant qu'ils pouvaient les mots d'ordres de Washington, aussi.

Craignant que le gazoduc n'accroisse la dépendance des Européens vis-à-vis du gaz russe, les Etats-Unis avaient imposé des sanctions aux entreprises associées à la construction de l'ouvrage. Au début de sa présidence, l'Américain avait maintes fois répété que le projet Nord-Stream 2 (qui doit permettre à la Russie d'augmenter considérablement ses exportations de gaz vers l'Europe, contournant l'Est du continent et en particulier l'Ukraine) était une erreur géopolitique pour l'Europe et un danger pour sa sécurité en ce qu'il créait une trop grande dépendance des Européens vis-à-vis de la Russie et qu'il affaiblissait beaucoup trop l'Ukraine dans son bras de fer avec Moscou. Ainsi, à l'hiver 2019, un bateau de la compagnie suisso-néerlandaise Allseas qui posait les tuyaux avait dû se retirer du chantier par peur des sanctions américaines. L'installation du « gazoduc de la discorde » a également été retardée par le Danemark qui avait tardé à délivrer au projet une autorisation pour traverser ses eaux territoriales.

Les Etats-Unis ont finalement renoncé à leurs sanctions en marge du G7 en mai dernier, permettant au projet de se finaliser. Ce renoncement a été confirmé par la visite de A. Merkel en juillet à Washington.

Nous reviendrons dans un prochain article sur tous les aspects de la construction de Nord-Stream 2 et tous les enjeux qu'ils représentent depuis les années 1980 et au Proche-Orient en particulier en Turquie.

Il n'a échappé à personne que Berlin tisse des liens de plus en plus denses avec la Russie, mais aussi avec la Chine avec laquelle, contrairement à son vois d'outre-Rhin gravement déficitaire dans ses échanges extérieurs (record de -38.9 Mds? en 2020), elle dégage un excédent qui se situe bon an mal an entre 250 et 300 Mds$. Personne, en Allemagne, ne consentira à la remise en cause de cet avantage. Américains et Français devront définitivement en prendre leur parti.

Berlin est resté très silencieux au cours de cette crise. Aucun mot chaleureux de soutien de la part de A. Merkel. Paris ne l'a pas déploré publiquement, mais il est peut-être là le revers français le plus cuisant qui annonce des perspectives redoutables.

22 août 2021. Kiev. Rencontre entre Angela Merkel et le président ukrainien Volodymyr Zelensky. La France est désormais évincée du dialogue avec Kiev et Moscou et le « format Normandie » peut être considéré comme enterré.

Discordances culturelles.

Les machines anglo-saxonnes ne rêvent pas, mais leur inconscient est chargé. Darwiniennes, elles ne s'engagent dans une bataille qu'avec la certitude de la remporter, avant même de la commencer. W. Churchill en a glosé à satiété. Mais on a tendance à sous-estimer la dimension culturelle et le sentiment « d'appartenance à quelque chose qu'on ne partage pas avec les autres ». Cela aussi a joué et pas seulement dans l'ordre rhétorique. Il y a un entre-soi qui a fonctionné au détriment des Français dans cette affaire de sous-marins. Et les Français ont compris qu'ils n'y sont pas chez eux. C'est peut-être cela qu'ils n'ont pas supporté le plus.

« Les sous-marins australiens vont travailler avec d'autres marines mais il leur faudra longtemps, s'ils y parviennent jamais, pour atteindre le niveau d'intimité partagé par la marine royale australienne et la marine américaine », écrivait en 2016 l'amiral australien David Shackleton, ancien chef de la marine, pour l'Institut Lowy de politique internationale. (AFP le D. 01/05/2016)

Prémonition ou avertissement sans frais ? C'est pourtant sur cette base qu'a été construit le nouveau pacte.

« Sur la base de notre histoire commune de démocraties maritimes, nous nous engageons dans une ambition commune pour soutenir l'Australie dans l'acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire », ont fait savoir les trois partenaires dans un communiqué commun, qui précise qu'il s'agit bien de propulsion, et non d'armement. « C'est une décision fondamentale, fondamentale. Cela va lier l'Australie, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour des générations ».

Selon ce haut responsable, le pacte « AUKUS » prévoit aussi une collaboration des trois pays en matière de cyberdéfense, d'intelligence artificielle et de technologies quantiques. (AFP, 16/09/2021).

Les Français font de grands efforts pour parler anglais. Certains prétendent même le faire sans aucun accent. Ce qui est ridicule, car seuls les étrangers parlent une langue sans accent. Le Texan, le Californien, comme d'ailleurs le Basque, le Corse ou l'Alsacien parle avec l'accent du terroir qui l'identifie et l'a vu naître.

Les Français resteront, qu'ils le veuillent ou non, ce qu'ils sont. Avec ou sans accent.

Au reste, l'accent français est très apprécié dans certains milieux américains, surtout auprès de certaines d'élites dans le nord-est et en Californie.

De deux choses l'une :

- Ou bien J. Biden aurait sous-estimé la réaction français qui pourrait aller très loin, jusqu'au retrait de la participation militaire française au sein de l'Alliance Atlantique, après son retour sous N. Sarkozy en 2008 ?

Ce serait naturellement fâcheux pour un président américain, actuellement en difficulté politique intérieur, poursuivant la même politique que son prédécesseur, sur de nombreux sujets, tout en l'habillant d'une forme prétendant le contraire. Naturellement, se poserait aussi la question de savoir si les Français en ont réellement la volonté et les moyens... Nous savons qu'ils ne l'ont pas et ceux qui possèdent le pouvoir le désirent encore moins que les autres.

- Ou bien toute cette agitation s'apaisera bientôt et tout rentrera dans l'ordre. La France est trop engagé dans l'OTAN et les opérations militaires à l'étranger sous assistance américaine, notamment au Sahel, pour se permettre plus que des discours et des gestes symboliques ?

Pour comprendre l'incompréhension américaine, il faut peut-être en revenir à une différence culturelle essentielle entre anglo-saxons et latins, entre protestants et catholiques. Passons sur les relations à l'argent et à la réussite économique.

Les Américains comprennent parfaitement que les Français ne soient pas contents de leur sort et de ce qui leur arrive. Mais ils ont du mal à comprendre leur indignation. Certes, il est entendu qu'un tour de cochon leur a été joué, mais c'est la règle du jeu en ces matières où tous les coups sont permis. Ils se sont fait avoir, c'est un fait, mais c'est tant pis pour eux. Ils n'avaient qu'à être plus malins.

C'est au tour des Anglo-saxons de s'indigner : les Français sont au fond de mauvais perdants qui cherchent à gagner sur le terrain de l'opinion, ce qu'ils ont perdu sur le seul terrain qui vaille : l'intelligence stratégique qui était du côté du plus fort. Et les plus forts ce n'était pas eux !

C'est aussi dans ce sens qu'argumentent les Australiens. Ils ont fait le choix de leurs intérêts : les sous-marins à propulsion nucléaire américains sont plus intéressants que leurs concurrents français, même s'ils attendront longtemps avant d'en voir le bout. Et Washington offre de plus une protection plus large qui dépasse le cadre sous-marinier.

Quand à la propulsion nucléaire française qu'ils auraient pu sollicitée... encore faut-il prouver que les Français l'auraient refusée arguant de leur sens moral très élevé, du respect du Traité de non prolifération... que viole allègrement Washington tout en s'opposant aux Iraniens et aux Pakistanais... avec le soutien de Paris.

Le journaliste de France Télévisions Loïc de La Mornais résume la position de Washington dans le langage habituel des cow-boys qui se passent des circonvolutions diplomatiques. Ils « jugent que cette réaction française est comme celle d'un enfant qui fait sa crise, qui se roule par terre et qui va finir par se calmer. »

Il ajoute : « Les Américains se disent que la France va finir par se calmer, qu'elle va rentrer dans le rang parce qu'elle n'a pas le choix, parce qu'ici la France est vue comme un petit pays » (France info, S. 18 septembre 2021).

Mardi 21 septembre à l'ONU. J. Biden a pris la parole. Pas un mot sur la crise en cours. Les commentateurs français en ont été scandalisés constatant l'indifférence placide du président américain devant le pataquès assourdissant en France depuis 4 jours. J. Biden ignore ce qu'il semble tenir pour un chahut sans importance, « une tempête dans un verre d'eau ».

E. Macron est averti quant à ce qu'il espère du coup de fil annoncé entre les deux présidents. Il lui faudra peut-être hausser le niveau des enchères.

Il y a les différences culturelles plus faciles à consolider lorsque ceux qui s'en gargarisent disposent des moyens de les faire valoir.

Pour user du même langage que les Yankees : Hobbes a mis la pâtée à Kant ou encore, pour reprendre un mot que Jacques Audiard a mis dans la bouche de J.-P. Belmondo récemment décédé : « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 60 kilos les écoutent. » (« 100.000 dollars au soleil », H. Verneuil, 1964).

Les Anglo-saxons ne sont ni plus intelligents ni plus bêtes. Ils sont juste un peu plus forts et chassent en meute.

En réalité, l'essentiel de leur puissance vient de ce que la plupart de leurs ennemis et de leurs alliés en sont convaincus.

Et on en revient aux batailles gagnées avant d'être engagées...

Enjeux militaires ou affaire de gros sous ?

La vente avortée des sous-marins français a mis dans l'ombre une hypothèse, peut-être essentielle.

Certes, l'antagonisme sino-américain est un fait indéniable.

Il est toutefois possible que toute cette affaire de AUKUS soit un simple stratagème pour camoufler une lucrative opération au profit des industries militaires américaines, au détriment de leurs homologues françaises, substituant aux sous-marins français à propulsion « conventionnelle », des sous-marins américains à propulsion nucléaire.

Comme chacun sait, toute opération de vente de matériel militaire est d'abord une question politique. Même si aujourd'hui comme en tout temps, lorsque les gouvernants sont sous influence, le « complexe militaro-industriel » transforme en questions politiques, voire en affaires géostratégiques, des affaires de gros sous.

Qu'on se rappelle les procès intentés aux industriels de l'armement américains après l'élection de Roosevelt en 1933, accusés d'avoir précipité les Etats-Unis dans la première guerre mondiale en avril 1917. Qui alors le président W. Wilson représentait-il au juste à Paris (son pays ou ce complexe omnipotent, dénoncé par D. Eisenhower, qui rêvait déjà de basculement atlantique et de domination mondiale) ?

Au fond, Washington n'avait pas besoin de vendre des sous-marins à propulsion nucléaire pour accroître sa domination sur Canberra ni d'ailleurs sur Londres. C'est un fait établi depuis longtemps. Au moins depuis 1945.

Les Etats-Unis assurent près de la moitié des dépenses mondiales d'armement. Soit environ 700 Mds$, la moitié du PIB de la Russie. Et cela ne représente qu'une estimation (SIPRI, IISS, Oxfam...) dans la mesure où ces données sont secrètes.

Ils ont mis toute la planète sous le contrôle de six commandements. La région indo-pacifique est sous le contrôle de l'un d'entre eux. A chacune de ces régions correspond une « flotte » composée de très nombreux bâtiments (surtout des porte-avions suréquipés et complètement autonomes). C'est la VIIème flotte qui est chargée du Pacifique, immédiatement adossée à la IIIème flotte via Hawaii qui fait le lien avec les Etats-Unis.

En théorie, la VIIème flotte, basée à Yokosuka au Japon, dispose des moyens suffisants pour faire face à n'importe quel ennemi en face d'elle. Naturellement, il faut immédiatement ajouter que les Etats-Unis sont connus pour détruire avec beaucoup d'efficacité, mais très peu aptes à gagner la paix.

La VIIème flotte dispose d'une force de frappe considérable : Porte-avions, destroyers lourds, bâtiments amphibies porte-aéronefs, plusieurs sous-marins, des navires de soutien et des navires de combats plus légers que les lourds destroyers lance-missiles. Sans compter les moyens de combat américains stationnés en Corée du Sud.

Il s'ensuit que compte tenu des rapports de forces dans cette région du monde, avec ou sans les Britannique, les Australiens ( et les Français), la puissance américaine dépasse et de loin tout ce que alliés ou ennemis peuvent opposer.

Ainsi, les sous-marins australiens, quelle que soit la nature de leur propulsion, ne changent pas grand chose à l'affaire.

Si cette hypothèse est validée, qui ne comprendrait alors la colère française ?

AUKUS, UKUSA, ANZUS... Qu'apporte le nouveau traité ?

Le nouveau traité n'additionne pas, il soustrait : AUKUS, c'est UKUSA moins le Canada et la Nouvelle Zélande. Si on peut faire abstraction d'un Canada, aussi souverain que l'est Porto Rico, le plus intéressant est de considérer la situation de la Nouvelle Zélande.

L'ANZUS (Australia, New Zealand, United States Security Treaty), associant les Etats-Unis à l'Australie et à la Nouvelle Zélande, il a été lancé en septembre 1951, dans le cadre général du containment américain de l'URSS, pour contrôler les Océans Indien et Pacifique. C'est à cette organisation que succède l'AUKUS.

En Europe, l'OTAN a été créée en avril 1949, anticipant sur l'explosion de la première bombe A russe en août et la naissance de la Chine populaire en octobre. La partition du monde était en jeu bien avant la guerre et on peut même penser que les jeux avaient commencé à la fin de la première guerre mondiale. Mais ça, c'est une autre affaire...

L'OTASE (Traite de l'Asie du Sud-Est) est née en septembre 1954, la guerre de Corée (1950) et la débâcle française à Diên Biên Phu l'expliquent largement.

Entre les deux, le CENTO (Central Treaty Organisation) (Pacte de Baghdad), signé l'année suivante en février 1955, fait le lien entre les deux systèmes militaires verrouillant le dispositif, de Hokkaido à Reykjavik.

UKUZA, les Five Eyes, c'est une autre histoire qui a révélé l'existence de Echelon chargé de surveiller en réalité toute la planète. Les logiciels de Palantir permettent à la NSA d'espionner le monde.

Dissidence néo-zélandaise.

En Nouvelle-Zélande, les sous-marins à propulsion nucléaire ne sont pas autorisés à pénétrer dans les eaux néo-zélandaises en vertu de la politique de 1984, relative aux zones dénucléarisées. La Nouvelle Zélande a par ailleurs refusé d'être impliquée l'an dernier dans une conjuration antichinoise avec l'Australie.

Il tombe sous le sens, que le refus néo-zélandais ne change rien à la situation stratégique.

Il faut cependant noter que le refus de « petits » pays de s'aligner sur les « grands » quand ceux-ci le demandent pose un problème non militaire (la Nouvelle Zélande pèse peu sur ce plan), mais politique.

Plus l'empire rassemble de pays autour de lui, plus il crédite sa cause et renforce l'image de sa puissance qui est en fait une autre face complémentaire de sa puissance tout court. C'est ainsi que les Etats-Unis se targuent d'être à la tête de « coalitions ».

C'est ainsi qu'ils fabriquent une « Communauté internationale » qui fait contrepoids selon les circonstances aux Nations Unies dont ils répugnent à solliciter l'appui quand le « machin » ne se soumet pas.

Une histoire de « Dr Folamour » : Trump voulait atomiser la Chine ou l'Iran.

Le 15 septembre, le jour même de l'annonce de la naissance de AUKUS et du revirement australien concernant les sous-marins, a fait passer sous silence un événement infiniment plus sérieux et plus dangereux pour la paix internationale.

Le plus haut gradé du Pentagone, le général Mark Milley s'inquiétait tellement de l'état mental de Donald Trump dans les derniers jours de son mandat qu'il a pris secrètement des mesures pour éviter une guerre avec la Chine, rapporte un nouveau livre écrit par des journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Robert Costa, « Péril », à paraître bientôt.[19]

Des extraits d'un livre rédigé par deux journalistes du Washington Post rapportent qu'un général américain a téléphoné deux fois à ses homologues pour rassurer la Chine sur une imminente attaque nucléaire projetée, en pleine crise du Capitol, par l'ancien président américain D. Trump mécontent de la perte des élections présidentielles et résolu à « tout faire » pour garder son poste.

Les services de renseignement américains ayant conclu que la Chine considérait une attaque américaine comme imminente, le chef d'état-major a appelé le général Li Zuocheng deux fois: le 30 octobre, un peu avant le scrutin présidentiel américain, et le 08 janvier, deux jours après l'assaut des partisans de Donald Trump contre le Capitole.

« Général Li, je veux vous assurer que l'Etat américain est stable et que tout va bien se passer », lui a-t-il dit lors du premier coup de fil, selon ce livre basé sur les témoignages anonymes de 200 responsables américains. « Nous n'allons pas attaquer ni mener d'opérations militaires contre vous ». Il a aussi demandé à la directrice de la CIA de l'époque, Gina Haspel, et au chef du Renseignement militaire, le général Paul Nakasone, de surveiller tout comportement erratique de Donald Trump.

Le général Milley, tout comme Gina Haspel, craignait que Donald Trump ne lance une attaque contre la Chine ou l'Iran pour créer une crise et tenter ainsi de rester au pouvoir. (AFP, mercredi 15/09/2021)

Cette annonce a fait l'effet d'une « bombe » aussi bien parce qu'un président envisageait d'avoir recours à l'armement atomique (le premier après août 1945) et parce qu'un militaire, doutant de la santé mentale de son chef, a pris la liberté de s'entretenir avec les « ennemis » de son pays à l'insu de son président.

Deux autres journalistes du Washington Post, Carol Leonnig et Philip Rucker, avaient révélé en juillet dans leur livre « I Alone Can Fix It: Donald J. Trump's Catastrophic Final Year », que le chef d'état-major avait comparé l'ex-président à Adolf Hitler.

« On vit un moment comme celui du Reichstag », aurait-il déclaré à ses collaborateurs dans les derniers jours de la présidence Trump, en référence à l'incendie du parlement allemand en 1933, exploité par les nazis pour éliminer les forces d'opposition politiques et mettre en place un régime totalitaire. (Idem)

Cette histoire, d'une extrême gravité, a été très vite submergée, évacuée, tout au moins en France, par la « trahison » de ses « alliés » qui ont comploté pour l'évincer non seulement d'un marché, mais aussi d'une région où Paris, deuxième puissance océanique de la planète, s'affirme concerné, arguant l'espace maritime qu'elle prétend contrôler.

Conjectures. Questions qui peuvent se combiner :

La variété et le nombre de questions posées, dont certaines ont obtenu des réponses incertaines ou partielles, donné lieu à des hypothèses plus ou moins vraisemblables, montre la complexité de cette affaire.

Le flot des indignations et des réactions de toutes sortes, venues de tous les côtés, montre que tout n'a pas été dit et, d'une certaine manière, brouille la compréhension de ce qui s'est réellement passé. D'autant moins, que certains des acteurs majeurs demeurent silencieux, dans l'ombre et que, sous couvert d'anonymat, d'autres intervenants accroissent par leurs propos parfois contradictoires la confusion générale.

Ici, il ne s'agit pas de s'interroger sur ce que peut ou doit faire le gouvernement français. Par exemple, pour reprendre les options qui agitent les rédactions et les cercles de réflexions, imiter le général de Gaulle après 1966 sur ces points ;

- Quitter l'OTAN (totalement ou partiellement et rester dans le commandement politique de l'organisation intégrée) ;

- Faire des ouvertures diplomatique souveraines en direction de la Russie ou de la Chine et E. Macron a esquissé le 21 septembre un geste vers l'Inde... ;

- Mobiliser les pays de l'Union Européenne autour de sa cause, notamment dans le cadre d'une défense proprement européenne.

Les questions ci-après posées visent à la connaissance des faits et à l'explicitation des intentions des principaux acteurs, dont certaines ont été examinées plus haut.

1.- Est-ce initialement une initiative uniquement australienne ?

2.- Ou bien est-ce les Etats-Unis qui sont les architectes de ce revirement, en pesant sur Canberra, en association avec Londres ?

3.- S'agit-il d'une affaire de géostratégie concernant le Pacifique et la menace chinoise ou ne s'agirait-il que d'une affaire de gros sous favorisant l'industrie militaire américaine et accessoirement l'industrie britannique (dans une proportion pour le moment confidentielle) ?

4.- Les Etats-Unis préféraient-ils avoir affaires à l'Australie, peut-être plus docile avec des intérêts plus faciles à administrer, et éjecter de sa stratégie indo-pacifique une France imprévisible liée de plus à une Union Européen complexe dont il n'est pas toujours facile d'anticiper l'évolution ?

5.- Les Français avaient-ils eu vent, ou soupçonnaient-ils, le projet qui se tramait dans leur dos ou bien ont-ils été comme ils le déclarent complètement pris par surprise, quelle que soit la nature et l'importance des rumeurs qui l'ont précédé ?

6.- Depuis quand la « bande des trois » préparait-elle son coup ?

7.- Les raisons avancées par Canberra ne sont pas claires : leur dénonciation du contrat avec la France ne tiendrait-il qu'au mode de propulsion ?

8.- Si tel était le cas, pourquoi attendre 5 ans après le début des négociations et 3 ans après la signature du contrat pour s'en apercevoir ?

9.- Si les Australiens étaient intéressés par un mode de propulsion nucléaire, pourquoi ne pas en avoir discuté avec les Français qui en disposent, quelle que soit leur réticences (publiques) aux transferts de technologies dans ce domaine. Le choix de la technologie américaine ne permettra pas davantage aux Australiens d'accéder à l'intimité de secrets technologiques que Washington ne délivre à personne.

10.- Si les Etats-Unis tiennent tant à rassurer Paris quant à l'association de leurs forces militaires du Pacifique à ses campagnes, pourquoi ne pas les avoir impliquées dans le nouveau Pacte stratégique AUKUS ? Les américains douteraient de la fiabilité et de la loyauté des Français ?

11.- Cette attitude crée un trouble et fragilise le camp occidental face à ses ennemis. Suffit-il de quelques mots rassurants et bienveillants pour dissoudre ce qui prend, avec cette affaire de sous-marins, la dimension d'une crise majeure ? Comment Washington a-t-il pu minorer l'impact de ce qui devient un scandale au coeur du monde qu'il prétend régenter ?

12.- Les Etats-Unis auraient-ils sous-estimé la réaction française ? Pourtant, l'histoire de leurs relations aurait dû les en prévenir. N'auraient-ils retenu de l'opposition française à leur attaque de l'Irak en 2003 que leur « déloyauté » que G.-W. Bush a tenu à le leur faire payer, malgré le retour repentant et déférent de la France à ses côtés en Irak peu de temps après leur refus ?

13.- Pendant toute la durée de la crise, une question s'impose : quels sont au juste les objectifs de cette indignation ?

- Obliger l'Australie (et les Etats-Unis) à revenir sur leur décision ?

- Forcer l'entrée et l'intégration dans le nouveau pacte (AUKUS) ?

- Exiger une compensation à la hauteur du préjudice et des dommages ?

- Aggraver la crise et initier peu à peu une remise en cause de l'Alliance Atlantique en tentant d'y associer les partenaires européens pour réaliser enfin l'utopie macronienne d'une Europe de la défense ?

- Persuader, un oeil rivé aux sondages, l'opinion française que l'exécutif aux affaires est à la hauteur de la défense des intérêts de la France ?

- Organiser un baroud d'honneur et négocier dans les coulisses une sortie honorable ?

En guise de réflexion finale, toujours provisoire.

L'alignement de Paris sur les Etats-Unis n'augmente pas la puissance occidentale mais affaiblit son offre stratégique globale. Ce n'est pas parce que la France gaullienne était militairement puissante que Kennedy, qui n'avait pas de relations faciles avec le Général, avait sollicité son soutien lors de la crise de Cuba en octobre 1962.[20]

Et celui-ci la lui a habilement accordée sans contrepartie (et non parce que de Gaulle avait profondément conscience d'une appartenance de son pays à je ne sais quel monde ou civilisation occidentale). Pour lui, seule la France et sa souveraineté importaient.

C'est parce que la France était diplomatiquement crédible et relativement autonome que Kennedy s'y était, à contrecoeur, résolu.

La France dans l'OTAN ou dans le Pacifique ne pèse pas. Pas plus elle, qu'un autre « allié ».

Le Brexit affranchit la Grande Bretagne de toute solidarité européenne (à supposer que cela fut le cas un jour). Sa stratégie du « Grand large » est un mythe, celui de l'éternité impériale principalement destinée à l'opinion britannique, tout autant que celui des « special relationship » qui placeraient Londres à la hauteur de Washington.

Certes, comme le disait Lord Palmerston (Henry John Temple) en 1848, « L'Angleterre n'a pas d'amis ou d'ennemis (...). Elle n'a que des intérêts (...). »

Cela sans doute était vrai sous le siècle victorien, à l'époque où l'Angleterre était un centre puissante et autonome de décisions et où, à la City, se cotait la majorité des biens produits et négociés dans le monde, au moment où 90% de tous les bateaux qui parcouraient les mers et les océans de la planète avaient l'Union Jack en haut de leurs mâts.

Mais, de tout cela il ne reste plus de la rhétorique depuis 1931 (dévaluation de la livre sterling) et après la rencontre Churchill-Roosevelt en août 1941, quelque part au large de Terre Neuve.

C'est de ce basculement d'une rive à l'autre de l'océan Atlantique que procède la suite des événements dont AUKUS est peut-être un signe, dans sa réussite comme dans son échec.

Notes

[1] Le chiffre a beaucoup varié selon les sources. 35 mds? en 2016, tantôt 31.3, tantôt 50 ? Mds? en février 2019. 56 Mds? selon l'AFP du 16 septembre 2021.

[2] Pour une connaissance plus détaillée du groupe, se reporter à la fiche que lui consacre wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Thales

[3] AOF, J. 16/09/2021. Ebitda : équivalent approximatif de l'EBE dans le système comptable IFRS (International Financial Reporting Standards) américain, normalisant la présentation de les comptes des entreprises cotés sur les marchés financiers pour faciliter l'arbitrage des intervenants.

[4] France inter, au matin du jeudi 16 septembre 2021.

[5] Adnan Abou Walid al Sahraoui, chef du groupe Etat islamique au Grand Sahara a été abattu par les forces françaises, annonce jeudi 16 au matin la présidence française. « Il s'agit d'un nouveau succès majeur dans le combat que nous menons contre les groupes terroristes au Sahel », a tweeté Emmanuel Macron (Reuters, J. 16 septembre 2021). Selon RFI, d'après une source proche de l'Élysée, c'est un raid aérien, sans renfort au sol, qui l'a neutralisé. « Un faisceau de renseignements indiquait la présence d'un haut cadre, poursuit cette source, mais nous n'étions pas sûrs qu'il s'agissait d'Abou Walid. » D'où le délai entre la mort du terroriste et l'annonce officielle. Confirmer son identité a pris des semaines. Cette confirmation semble tomber au bon moment...

[6] https://en.wikipedia.org/wiki/The_Arrow_(miniseries)

[7] Ce buste eut un destin agité. Il lui avait été offert (en fait prêté) par Tony Blair après les attentats du 11 septembre 2001, mais aussitôt remplacé par celui de Martin Luther King lors de la présidence de Barack Obama. (Franceinfo, le 23/01/2017). Pour suivre les péripéties de ce buste lire le papier que lui a consacré Pierre Bouvier dans Le Monde du 22/01/2021.

[8] En décembre 1979, F. Mitterrand a inauguré fièrement à Kourou ce que le Général avait initié. Il en fut de Ariane comme de bien d'autres réalisations industrielles considérables que les successeurs qui s'en étaient flattées après les avoir critiquées, n'auraient jamais ordonnées. Depuis, la mode est aux regrets et aux lamentations sur la désindustrialisation de la France.

[9] Lire Jauvert Vincent op. cit. en particulier le chapitre et suivant « 18 décembre 1962. Le piège de Nassau » pp. 88-107.

[10] Dans son appel de Cochin (hôpital où il séjournait en décembre 1978), J. Chirac avait très clairement pointé les Atlantistes français qui défendaient en France les intérêts des Etats-Unis, fut-ce au détriment de ceux de leur pays. Le texte visait sans le nommer le président d'alors Valéry Giscard d'Estaing, comparé au maréchal Pétain et sa politique à celle du régime de Vichy. Ce n'était évidemment pas nouveau. Le pompidolien Chirac avait lui-même tant d'ambiguïtés à dissiper et de contradictions à démêler...

[11] La stratégie vaccinale mise en place par le gouvernement a confiés au cabinet de conseil américain McKinsey. Cela a donné lieu à un scandale. Le cabinet surnommé « la firme » a été créé par James McKinsey dans les années 1920. Sa clientèle rassemble aujourd'hui, selon Le Monde (05 février 2021), « des PDG, des ministres, des chefs d'Etat ».

[12] https://www.cnil.fr/fr/la-plateforme-des-donnees-de-sante-health-data-hub

[13] Le rapport est téléchargeable à partir du site de l'irsem : https://www.irsem.fr/index.html.

[14] Paul Charon a soutenu une thèse de sciences politiques en 2012 sous la direction de Yves Chevrier - Paris, EHESS, intitulée « Le vote contre la démocratie : construction de l'État et processus de politisation dans la Chine rurale post-maoïste. »

[15] Cf. « La Chine à l'école russe de la désinformation », Libération, le 9 mars 2021.

[16] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/03/25/conseil-europeen-du-25-mars-2021

[17] Pierucci Frédéric (2019) : « LE PIEGE AMERICAIN. L'otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique témoigne. » Avec Matthieu Aron. J.-C. Lattès, 396 p.

[18] Abdelhak Benelhadj : « Astronautique européenne après le sommet de Séville ». Le Quotidien d'Oran, 05 décembre 2019.

[19] Bob Woodward est rédacteur en chef adjoint au Washington Post où il a travaillé pendant 50 ans. Il a partagé deux prix Pulitzer, l'un pour sa couverture du Watergate et l'autre pour la couverture des attentats terroristes du 11 septembre.

[20] - Jauvert Vincent (2000) : L'Amérique contre de Gaulle. Histoire secrète 1961-1969. Seuil. Histoire immédiate. 280 p. lire pp.73-92.

- Bianca Eric (2017) : L'ami américain. Washington contre de Gaulle 1940-1969. Perrin, 380 p.