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«C'est quand le monde est
en feu qu'ils se rendent compte que l'argent ne se mange pas»
Avec son immense ciel bleu et ses espaces désertiques infinis, elle était méconnue jusqu'à se surgisse de ce sable stérile le pétrole en 1956. Il va être le pot de miel de l'Algérie indépendante. Il est intarissable, du moins pour la génération de novembre 54 en voie d'extinction. Les générations de l'indépendance n'ayant pas participé à la guerre de libération nationale n'auront pas droit. Elles sont exclues du partage du butin de guerre. Dans l'Algérie indépendante, il n'y pas de bâtisseurs, il n'y a que des guerriers. Détruire un pont, quoi de plus aisé pour un maquisard, le reconstruire réclame du génie et du labeur. La ruse supplée à l'intelligence en temps de guerre mais s'avère un obstacle en temps de paix. Au lieu d'en faire un levier de développement économique, la rente énergétique servira d'instrument de pouvoir et constituera un facteur de régression économique et sociale manifeste. Que de barrages envasés remplis à la faveur des dernières pluies, que de réserves devises engrangées sans changement d'économie politique, que de potentialités mises en jachère, en rebut ou poussées vers l'exil, pour une population majoritairement jeune maladroitement formée en quête d'un emploi productif dans un pays mal aimé qui marche sur sa tête et réfléchit avec ses pieds, un œil dirigé vers La Mecque et l'autre rivé sur Washington, se retrouvant en fin de parcours à Paris à la recherche d'un second souffle. Nostalgie d'un passé encore présent dans les esprits des deux côtés de la Méditerranée. D'une colonisation jadis «au menu» jugée coûteuse à une occupation aujourd'hui «à la carte» car profitable, le passage est vite assuré à la faveur d'une mondialisation débridée sous la houlette des Etats-Unis d'Amérique talonnés de près par l'Europe. Une société qui ne se pense pas est une société qui se meurt lentement mais sûrement. La vie d'une nation cesse dit-on quand les rêves se transforment en regrets. En 1962, l'Algérie avait des rêves mais n'avait pas de moyens, cinquante ans après, elle a les moyens mais n'a plus de rêves. Un espoir cependant, la jeunesse a des rêves. Elle ne rêve pas de châteaux en Espagne, ni de comptes offshore mais de liberté et de justice. Chapeau bas. Age tendre et tête de bois. L'Algérie, une grande comédie dans un théâtre à ciel ouvert où les rôles sont distribués d'avance. Le spectacle est terminé, les rideaux sont levés, les masques tombent. Elle découvre que les diplômes de l'Etat ne débouchent pas sur des emplois productifs, que le travail de la terre a été enterré, que les usines sont transformées en bazars, que le pays n'est pas gouverné, que nous vivons exclusivement de l'argent du pétrole et du gaz Aujourd'hui, qu'il est rattrapé par la réalité, l'Algérien veut d'une part être rétribué par l'Etat pour son allégeance au système et d'autre part être rémunéré par la société pour le service qu'il lui rend. Le problème est que l'Etat n'a plus les moyens d'acheter la paix sociale et la population ne peut s'en passer des revenus pétroliers. Aujourd'hui l'Etat et la société se retrouvent le dos au mur. Un Etat virtuel face à une société réelle. Une société sans élite ou une élite sans dignité. Proche de la rente, elle est sa plus fidèle alliée, loin de la rente, elle est sa plus farouche adversaire. Là où il y a le feu, il n'y a pas d'eau et là où il y a de l'eau, il n'y pas de feu. L'eau et le feu ne font pas bon ménage. On ne joue pas avec le feu, on risque de se brûler. Le feu prend de toute part et l'eau se raréfie ? L'argent du pétrole s'est substitué à la providence divine Il a obtenu la soumission de la population et le soutien des puissances étrangères. Il est devenu incontournable. Il a dilué l'islamisme dans un baril de 150 dollars. Il a calme les jeunes contaminés par le printemps arabe. Il est à l'origine de toutes les fortunes acquises en dinars et en devises. Il interdit aux gens de travailler sérieusement, d'investir de façon rationnelle ou de produire des biens et services en dehors des sphères que contrôle l'Etat. «Qui réunit l'eau et le feu, perd l'un des deux». L'argent ou le pouvoir ? De quelle légitimité peuvent se prévaloir les fortunes privées en dehors de l'argent du pétrole ? Que vaut la probité d'une élite qui a bâti son pouvoir sur la corruption généralisée de la société ? Un pouvoir que l'élite s'acquiert sur un peuple au moyen de sa dégradation morale. C'est bien la décadence des mœurs qui fait le lit des régimes autoritaires en terre d'islam sous les quolibets des «gardiens du temple». Au nom du développement économique et de la paix sociale, les gouvernements successifs ont dilapidé en toute légalité et en toute impunité les ressources pétrolières et gazières dans le but de se perpétuer au pouvoir. Mais à quel prix ? Au prix de l'assèchement des puits. Tant pis pour les générations futures, elles n'ont pas participé à la guerre de libération nationale. Elles ne sont pas les artisans mais les bénéficiaires de l'indépendance. L'indépendance est comme un pont, au départ personne n'en veut, à l'arrivée tout le monde l'emprunte. Entre la nuit et le jour, il n'y a pas de mur. Entre ciel et terre, il n'y a pas d'étage. Dieu est un, il n'est pas trois. L'Etat ce n'est pas une météorite tombée du ciel pour faire le bonheur des hommes sur terre. C'est une invention des hommes, des hommes éclairés, faisant de l'Etat de droit un substitut à l'autorité de l'église. L'argent du pétrole s'est substitué à la providence divine. Il a obtenu la soumission de la population et le soutien des puissances étrangères. Il est devenu incontournable. Il a dilué l'islamisme dans un baril de 150 dollars. Il a calme les jeunes contaminés par le printemps arabe. Il est à l'origine de toutes les fortunes acquises en dinars et en devises. Il interdit aux gens de travailler sérieusement, d'investir de façon rationnelle ou de produire des biens et services en dehors des sphères que contrôle l'Etat. Bref, il fait de la politique, de l'économie et de la diplomatie. Entre le pétrodollar et le narcodollar, le dénominateur commun est le dollar. Il corrompt tout le monde. Nous sommes tous drogués. Elle est dans la farine, dans la poudre de lait, dans la viande, dans les médicaments. Elle est dans tout ce que le gouvernement importe et que nous consommons sans sourciller. Déçu par tant de forfaitures et de lâcheté, un jeune poète inconnu aurait lâché ce cri de désespoir au peuple algérien : «pleure comme une femme, un pays que tu n'as pas su bâtir comme un homme ; tu as succombé au gain facile ; tu t'es rabaissé pour le ramasser ; tu t'es débarrassé du bleu de travail du colon pour enfiler la djellaba blanche de l'indépendance, tu as retiré tes bottes pour porter des sandales, tu t'est dit, c'est le repos du guerrier. De dix millions tu es passé à quarante millions d'habitants. Du lait de chèvre, tu es passé au lait de vache, du couscous au pain parisien. Tu t'es rasé tes moustaches pour garder la barbe. Une barbe que tu as fini par raser pour paraître jeune et vigoureux et prendre le large à bord d'embarcation de fortune à destination de l'Europe, ce miroir aux alouettes. Tu n'es plus jeune tu as soixante ans d'indépendance. Tu demandes ta retraite c'est-à-dire de te retirer de la vie inactive pour avoir perçu des revenus sans contrepartie productive soit en tant que salarié, fonctionnaire, importateur, banquier, commerçant, profession libérale et j'en passe. Indépendance signifiait pour toi, pointer et attendre la fin du mois pour ton virement pour avoir fait semblant de travailler. Tu ne dois pas faire la mue lorsque l'Etat fait semblant de te payer en argent solide sous forme de biens et services importés (pétrodollars) en période de vaches grasses et en argent liquide en actionnant la planche à billets (pétrodinars) en période de vaches maigres. Le cours du brut est un instrument redoutable de domestication des peuples et d'aliénation des élites. Le Covid-19 est venu à point nommé pour remettre les pendules à l'heure. Il est temps de retrousser les manches et à la pseudo-élite de secouer ses neurones. Des neurones qui ont pris la couleur blanche sans passer par la blanchisseuse. Un immense chantier t'attend. Le pétrole et le gaz sont des bénédictions qui permettent à l'Etat providence de prospérer. Pourtant l'Etat moderne ne peut exister sans une économie de marché et sans une société démocratique. L'Etat moderne se définit fondamentalement comme un Etat protecteur. L'Etat providence vise à substituer à l'incertitude de la providence religieuse, la certitude de la providence étatique. L'Etat protecteur est fondé sur la réalisation d'une double tâche : la production de la sécurité et la réduction de l'incertitude. L'Etat providence est une forme d'organisation sociale dans laquelle l'Etat prétend assurer directement ou indirectement le bien-être social des citoyen en jouant un rôle social de régulation de l'économie et de redistribution des richesses et des revenus afin de réaliser les objectifs affichés de protection et de justice sociale. En Europe, l'Etat providence s'est substitué à l'autorité de l'église. Il s'appuie sur la bourgeoisie et la classe ouvrière comme acteurs du développement du capitalisme. En Algérie, c'est l'argent du pétrole et le gaz qui s'est substitué à Dieu. Il a obtenu la soumission des populations et le soutien des puissances étrangères. Or la providence se trouve dans le sous-sol saharien et non au sommet de l'Etat. Il prend corps à partir de l'armée et de l'administration et non d'une bourgeoisie ou de la classe ouvrière ; il s'impose à la société. Autrement dit l'Etat s'appuie sur l'armée ; l'armée se fonde sur la rente pétrolière. La pensée d'un Etat fort a été pensée et s'est réalisée dans le contexte des revenus pétroliers. Avant la formation de l'Etat, les revenus pétroliers sont présents dans la pensée de l'Etat, dans la tête de ceux qui pensent l'Etat. L'Etat en Algérie veille la nuit et se repose le jour. Il n'est pas l'équivalent de ce qu'il est en Europe, c'est une propriété privée. Qui s'approprie l'Etat, s'accapare des richesses de la nation. Il s'agit d'un détournement de l'Etat par les clans qui s'en emparent. Les hydrocarbures sont la propriété de l'Etat et non de la nation. La rente sera utilisée comme un instrument d'une «modernisation de l'Etat sans mobilisation de la nation». La nationalisation des hydrocarbures est une décision de l'armée, le développement est une volonté de l'armée. C'est pourquoi l'armée s'imposera comme la seule force capable de construire l'Etat et d'assurer l'unité de la nation en proie à des risques de divisions tribales, régionalistes ou ethniques. L'armée au pouvoir choisit d'appuyer le développement sur les revenus pétroliers et gaziers c'est-à-dire sur l'extérieur plutôt que sur le travail c'est-à-dire les forces internes de production. Le projet de modernisation est assumé par l'armée, c'est pourquoi il est autoritaire et prétend imposer d'en haut ce qui convient à une société contrôlée et modelée par l'Etat. Sa richesse provenant d'un transfert de l'extérieur fait l'objet d'une demande de redistribution qu'il ne peut maîtriser d'où le recours à l'endettement pour combler une réduction des recettes pétrolières. Un Etat qui subvient aux besoins essentiels de la population sans la taxer assure une certaine paix sociale mais en contrepartie, elle ne demande pas de comptes à ses gouvernants. Autrement dit un Etat providence qui veut se substituer à Dieu en faisant croire à la population que la providence se trouve au sommet de l'Etat alors qu'elle est dans le sous-sol saharien. La question est de savoir si le pétrole et le gaz vont donner à l'armée les moyens de réaliser le rêve d'une société militarisée sans conflits ni lutte de classe prospère et indépendante. Il semble que non. Aujourd'hui la vérité saute aux yeux, L'Etat providence n'a plus les moyens de ses ambitions économiques et sociales du fait de la baisse des recettes d'exportation des hydrocarbures et la population se réfugie massivement cette fois-ci dans «les certitudes de la foi musulmane et non dans l'idéologie islamiste». Le retour du religieux semble faire surface mais plus tempéré et moins fougueux, expérience aidante. La carotte s'est amincie et le partage difficile à faire, il ne reste plus que le bâton mais un bâton qui a perdu de sa «rigidité» et a gagné en «souplesse». Perdre le pouvoir, c'est perdre la propriété acquise et la seule possibilité de s'en protéger c'est de s'accrocher au pouvoir par tous les moyens. De nombreux «certitudes étatiques» vacillent (fascination de l'Occident) au profit «des certitudes religieuses» (Retour brutal du religieux). Aujourd'hui, l'Etat vit quatre crises concomitantes, une crise de légitimité, une crise financière, une crise morale auquel se surajoute une crise sanitaire. Le Covid-19 percute de plein fouet l'Etat providence. Il pulvérise tout sur son passage gouvernants comme gouvernés, les croyants comme les mécréants, les vertueux comme les vicieux, les riches comme les pauvres. Il ne fait pas dans les détails. Il emporte tout ce qui se trouve sur son passage. Il défie l'ordre et crée le désordre. La pandémie suspend l'activité. Les recettes fiscales et parafiscales diminuent, les dépenses publiques restent à un haut niveau. Le carnet de commande de l'Etat se vide. Le reste à réaliser important. Les dettes des administrations publiques prises dans leur globalité s'accumulent, le déficit se creuse et s'élargit d'année en année menaçant la survie de la population. Aussi semble-t-elle être prête à céder les réserves de pétrole et de gaz se trouvant dans le sous-sol contre tout bonnement un peu d'eau et beaucoup d'oxygène car considère-t-elle que si le pétrole et le gaz «polluent», l'eau et l'air «purifient», consciente de plus en plus que la terre algérienne n'a pas besoin du sang des guerriers mais de la sueur des hommes. Pour ce faire, elle est à la recherche d'une nouvelle idéologie fondée sur le travail créateur de richesses et d'une pensée libératrice productrice de valeurs et de symboles pour la tirer de cette léthargie qui lui colle à la peau depuis plus de cinq décennies. Que de temps perdu ? Que d'énergie gaspillée ? Que d'opportunités ratées ? Dans un pays où s'accumulent des fortunes et où l'homme dépérit, on ne peut que méditer cet adage populaire : «une richesse amassée est un tas de fumier puant et que par contre une richesse répandue est un engrais fertile». Autrement dit une fortune entre les mains des gens sans esprit, sans scrupule et sans moralité est un danger public. La possession des biens ne signifie pas nécessairement jouissance de ces biens et encore moins en tirer profit pour le bien de tous et de chacun. Il est vrai que certains pays sont forts en histoire et d'autres en géographie. Cette dépendance alimentaire dont les trois chocs pétroliers (1973, 1979, 2008) ont grandement relevé le niveau (encouragé par une démographie galopante) et l'importance s'est aggravée avec l'effondrement du prix du baril de pétrole et du dollar d'où le recours à nouveau à l'endettement extérieur. C'est la fin des idéologies matérialistes et le sursaut des religions monothéistes. «Ils sont en train de détruire la planète... La bonne nouvelle, c'est que comme toute créature vivante, la terre possède également un système immunitaire et que tôt ou tard elle se mettra à rejeter les agents porteurs de maladie, telle l'industrie pétrolière. Et avant espérons-le qu'on finisse comme l'Atlantide et la Lémurie» souhaite Thomas Pinchon. La pandémie du coronavirus a fait son entrée fracassante dans le paysage algérien. C'est le chacun pour soi et dieu pour tous qui s'installe durablement. Les frontières se ferment. La distanciation est de rigueur. Le port des masques obligatoire, les solidarités traditionnelles s'effritent, la maladie s'installe et se propage. Le Covid-19 a remis les pendules à l'heure. Chacun pour soi et Dieu pour tous. L'heure est au confinement lugubre, à la distanciation sociale, à l'hygiène corporelle, à la protection individuelle. Les Etats se bousculent, les peuples s'affolent. La famine pointe à l'horizon. La mort ou la misère ? L'économie mondiale ralentit, le pétrole ne trouve plus preneur, les denrées alimentaires ne s'exportent plus, leurs prix flambent, les dirigeants s'affaissent. Ils attachent leur ceinture de sécurité, s'occupent des détails, oublient l'essentiel, fuient leurs responsabilités, se réfugient dans le mensonge. De la manifestation de rue à la retenue dans la maison, de la zizanie à la tyrannie, de la tyrannie au confinement, du confinement au défoulement, du défoulement au refoulement, l'Algérie se cherche encore et encore ! Sur la table la soupe refroidit, elle est fade, les protéines manquent, les enfants n'en veulent plus, les parents s'indignent. Les enfants ont poussé, mais les parents ne les ont pas vu grandir, ils sont à leurs yeux encore des enfants, ils ne sont pas encore mûrs. L'âge autour de la trentaine. Ils vivent chez leurs parents, ils sont au chômage. Ils n'ont pas de revenus. Ils vivent au crochet de leurs parents retraités. Ils n'ont plus d'appétit. Les garçons sortent fumer une cigarette dans les escaliers pour se donner l'illusion d'être des hommes, ils ne doivent pas trop s'éloigner, le couvre-feu est en vigueur. La vie réelle s'éteint, la vie virtuelle s'allume. Personne ne regarde le ciel, chacun est rivé sur son écran. A la télé des séries à ne plus en finir. Les gens sont confinés chez eux, dehors l'ange de la mort circule. La mort et la vie font chambre à part. Il est quatre du matin, la voix du muezzin, c'est l'heure de la prière de l'aube, ils sont fatigués. Ils ont sommeil. C'est le moment de dormir. Nous avons toute la mort pour nous réveiller. La télé reste allumée. Le monde change, l'Algérie stagne, les enfants grandissent, les parents vieillissent. «Dormez, dormez braves gens, le pétrole veille sur votre sommeil». Des revenus indexés au cours du baril de pétrole. En période de vaches grasses, ils augmentent ; en période de vaches maigres, ils diminuent. Ventre affamé n'a point d'oreilles. Dans un système dominé par le partage de la rente et la lutte de clans, personne n'est épargné, tous ont vécu de la ponction de la rente. Les intellectuels, proche de la rente, ils sont ses plus fidèles serviteurs, loin de la rente, ils sont ses plus farouches adversaires. Qui n'a pas été fourvoyé par le système ? Pour les jeunes âgés de moins de trente ans sans emploi et sans revenus, n'ayant pas vécu les affres de la colonisation, les drames de la guerre civile et les délices des années fric de la corruption, représentant plus de la moitié de la population, les exclus de la rente, les laissés-pour-compte, ils ne veulent plus finir à la fleur de leur âge dans le ventre des poissons de la Méditerranée. Ils sont déterminés à mettre fin pacifiquement à cette mal-vie pour entamer enfin une vraie vie. Elle a pour nom dignité. Ils sont instruits, ils ont tiré les leçons du passé. Ils ont compris que la dignité d'un peuple ne dure qu'un jour, le jour de l'indépendance, avant c'est l'indignité avec le colonialisme français ; après c'est l'indignité avec la dictature de la rente pétrolière et gazière. Leur philosophie est simple : «mieux vaut un pain sec debout qu'un steak haché assis». La crise sanitaire va accélérer le processus de transformation et des réformes, un effort massif de mise à jour des infrastructures de santé, de relance de la production agricole notamment en biens alimentaires, l'investissement dans l'éducation, la formation et la recherche scientifique sont désormais des priorités absolues et aucun gouvernement ne peut reporter indéfiniment ces réformes. Le sort des peuples du tiers monde est décidé dans les bourses de New York, Londres. Les cours du pétrole et de la nourriture sont inversement proportionnels. Les deux creusent la tombe des peuples. De la bourse sans vie à la vie sans bourse, que de chemins à parcourir, que d'obstacles à franchir, que de terres à défricher, que de ressources à mobiliser, que de rêves à réaliser. Le Covid-19 est tombé à point nommé, il va bouleverser la planète de fond en comble : la société moderne mondialisée est devenue «un troupeau de consommateurs infantilisés» par un marketing ravageur omniprésent et omnipotent dominé par les puissances de l'argent où la matière domine l'esprit, le temporel prime sur le spirituel, où l'injustice règne à ciel ouvert. Les gouvernants apparaissent dès lors comme les gérants d'inégalités sociales et des distributeurs de privilèges, entretenant avec la population des rapports de méfiance et de suspicion car dans la frénésie de la consommation les ambitions et les calculs de chacun l'emportent sur les obligations traditionnelles de solidarité. La soif de l'enrichissement, l'attrait et le poids des modèles importés, le goût du confort et de la facilité, l'environnement international ont contribué à faire de l'Etat en Algérie, une parodie ou un pâle reflet de l'Etat moderne. Le Covid-19 distance les gens, réduit les espaces, ajourne l'activité, suspend le temps, provoque la pénurie, la nourriture manque, la queue s'allonge, les prix s'envolent, la monnaie décline, une brouette de billets contre un couffin de la ménagère, une chorba sans viande, un pain sans sel, des soirées sans couleur, une mosquée sans fidèles, des veillées sans prière, un coran sans récitation, des morts sans linceuls, des enterrements sans témoins, une mort banalisée, des statistiques macabres, des naissances non désirées, des rues désertées. Le réel s'éteint, le virtuel s'allume, des soirées rivées sur son écran, sans ferveur, sans bruit, sans amour, un hiver triste, des enfants sans joie, une âme affamée, un corps démonté, un peuple désenchanté, un pouvoir désemballé, un monde désarticulé... Nous sommes en plein hiver de l'année 2020, l'année du coronavirus. Un virus qui ébranla le monde. Les Etats résistent, les peuples se résignent. Une année s'achève, une autre commence. C'est la même rengaine. Le même scénario, le même casting, la même salle, une salle vide. Nous sommes en plein été de l'année 2021, il fait chaud, les forêts brûlent, il n'y a pas d'eau, il y a des élections, de nouveaux gouvernants, des êtres humains, ils sont mortels, nul n'est censé ignorer la loi, des promesses, toujours des promesses, rien que des promesses, les gens n'en peuvent plus, les femmes accouchent, il n'y a plus de sages-femmes, plus d'ambulance, plus de lits d'hôpitaux, des enfants naissent dans les bus, les hommes coupent le cordon ombilical, il fait chaud, c'est la canicule, les rues sont désertées, les plages sont contaminées, la mer est agitée, la troisième vague du Covid-19 emporte des corps, la deuxième vague ramène des corps des harraga morts noyés au milieu de la Méditerranée, des corps sans vie, une société sans âmes, un être s'en va, un autre arrive. Un infecté par le Covid-19, l'autre rejeté par les poissons... des poissons drogués par la cocaïne. La population est à bout de nerfs, le monde à bout de souffle. Le char de l'Etat navigue sur un volcan. Un volcan s'éteint, un autre s'éveille. Le Covid-19 défie l'homme, dénude les Etats, affame les peuples. Il porte un doigt accusateur aux industries pétrolières et gazières qui réchauffent la planète, polluent les mers et les océans, asservissent les peuples, corrompent les élites et détruisent l'environnement au nom du profit, de l'intérêt et de la puissance. Ce « veau d'or » des Hébreux. Là où passe le pétrole, l'herbe ne repousse plus, l'homme ne se relève plus, les sociétés périclitent. Les populations ne regardent plus le ciel, elles sont rivées sur le petit écran qu'elles trimbalent partout où elles vont même dans les endroits les plus intimes. Il n'est plus en noir et blanc (comme l'enfer et le paradis) mais multi-couleur (comme le diable, il porte plusieurs masques). Le pétrole et le gaz « polluent » ; l'eau et l'air « purifient ». La vraie sagesse nous vient des Indes : « Quand le dernier arbre aura été abattu. Quand la dernière rivière aura été empoisonnée. Quand le dernier poisson aura été péché. Alors, on saura que l'argent ne se mange pas ». |