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Le suivi du taux
de vaccinations contre la Covid-19 dans le monde, recensé par l'organisation
Our world in data par l'université d'Oxford/UK à partir de sources
gouvernementales et publié par le New York Times, classe l'Algérie parmi les 11
derniers pays (1).
C'est ainsi que des pays très instables ou pauvres, comme l'Afghanistan, la Birmanie, le Bangladesh, le Liban, l'Irak, la Sierra Léone ou encore l'Ouganda, pour ne citer que quelques-uns, nous devancent. La Tunisie, avec laquelle, nous voulions partager les vaccins, fait également bien mieux que nous. Il n'y a également aucune comparaison avec le Maroc et les pays du Golf qui se classent au niveau des pays européens. L'Algérie a administré 0,2 dose de vaccin pour 100 habitants soit 75.000 doses, alors que cette proportion est de 1 pour 100 à l'échelle du seul continent africain. L'Amérique du nord et l'Europe se classent bien sûr en première et seconde position avec 37 et 22 doses pour 100 habitants, respectivement. Ces données illustrent bien les insuffisances de notre stratégie vaccinale, basée sur la fabrication du vaccin russe et le programme Covax. Le ministère de la santé évoque régulièrement l'acquisition de vaccins de Pfizer-BioNtech et Sinopharm, cependant sans fournir de précisions sur les quantités et les dates de livraisons, donnant ainsi l'impression de simples effets d'annonce d'une gestion opaque. Cette forme de communication est contre-productive, car elle est interprétée comme un manque de transparence, sapant encore plus la confiance de notre population et aggravant la méfiance internationale envers l'Algérie. La communauté internationale se tourne alors vers des agences de notation de données et d'analyses respectées, à l'image du très sérieux Bloomberg. Ce conglomérat mondial qui suit toutes transactions incluant achats et commandes de vaccins contre la Covid-19a confirmé qu'un peu plus de 9,6 milliards de doses de vaccins ont déjà été réservé (2). Cette quantité est suffisante pour vacciner la moitié de la population mondiale (la plupart des vaccins nécessitant deux doses), alors que notre pays n'a réservé qu'un peu plus de 2 millions de doses, soit une couverture vaccinale de 5% de notre population. Il est possible cependant que l'Algérie ait signé d'autres contrats qui ne soient pas rendus publics. Si c'est le cas, notre gouvernement doit partager cette information de manière claire et précise avec la population, pour un problème qui les concerne directement et vitalement. Vaccin russe Le ministre de l'Industrie pharmaceutique a annoncé le 7 Avril, que l'Algérie produira dès Septembre prochain le vaccin russe Spoutnik V. Mais quelques jours seulement après cette annonce, dans un entretien avec la presse, la PDG du groupe pharmaceutique Saïdal, désignée par le gouvernement comme partenaire exclusif du fonds d'investissement russe pour la fabrication du vaccin Spoutnik, donne des informations sur l'état d'avancement du projet très peu rassurantes, en expliquant que la complexité du processus de fabrication nécessite de 12 à 18 mois(3). Afin d'atteindre l'objectif de 6 mois fixé par le ministre, Saïdal était obligé de négocier avec deux ou trois partenaires désignés par les Russes, pour l'accompagner dans la maitrise des procédés de fabrication du vaccin, qui exige un vrai savoir-faire et un réel transfert technologique. Les vaccins, comme tout produit biologique destiné à la thérapie, passent par des étapes de validation compliquées, qui nécessitent des délais longs et des contraintes drastiques, afin de satisfaire des normes de qualité et de sécurité très strictes. Dès lors, est-il raisonnable de fixer un échéancier aussi précis et court pour un projet extrêmement complexe, alors même qu'il est encore à l'état de simple ébauche ? L'unité de fabrication des vaccins prévue à Constantine reste également à ériger aux normes standards et à certifier et à homologuer BPF (bonne pratique de fabrication). Ne faudrait-il pas plutôt prévoir des solutions alternatives urgentes et concrètes, conformes à l'extrême gravité de la situation, et laisser Saïdal prendre le temps nécessaire à la maitrise technologique, la mise aux normes internationales de ses structures et capacités de fabrication, afin de produire un vaccin fiable et sûr. D'autant que ce projet de fabrication du vaccin russe en Algérie devrait être considéré comme le commencement d'une stratégie qui va au-delà de la protection immédiate des Algériens contre la Covid-19. Il serait une étape à la préparation du pays aux vaccins de seconde génération et à de futures pandémies. Programme Covax Le programme Covax, soutenu par l'ONU, est une initiative internationale financée par des organisations caritatives et les pays riches, en principe pour acheter des vaccins en coopérative et les distribuer équitablement dans le monde entier (4). Un quota de 20% de la population totale de chaque pays est attribué aux membres, dont notre pays. Les vaccins sont destinés en priorité aux personnels de santé et aux couches les plus vulnérables de la population. Ce programme plein de bonnes intentions n'a pas résisté à l'égoïsme des états et à la cupidité des fabricants de vaccins. Les gouvernements riches financent le Covax d'une main et concluent de l'autre main des accords privés directement avec les fabricants de vaccins, en proposant de payer des prix plus élevés. De cette manière, ils se servent prioritairement avant les pays membres du Covax : charité bien ordonnée commence par soi-même. D'après une enquête du très sérieux journal britannique The Guardian, seuls 40 des187 millions, soit 21 % de doses de vaccins prévus à la fin Mai, ont été distribués aux pays membres (5). Notre pays a reçu jusque-là 50.000 doses du vaccin Astra Zeneca. De plus, le choix de vaccins est limité essentiellement à Astra Zeneca car les producteurs de vaccins à base d'ARN, Pfizer et Moderna, ne s'embarrassent pas de considérations humanitaires, leur objectif étant de faire le maximum de profits. Pfizer n'aconsenti de vendre qu'une quantité négligeable de doses au programme Covax, réservant l'essentiel de son approvisionnement à des contrats privés plus lucratifs. Alors que Moderna n'a fourni aucune dose. Une autre forme de nationalisme vaccinal a surgi récemment, causant l'arrêt quasi-total du programme. Le vaccin Astra Zeneca destiné essentiellement à l'Afrique est produit en Inde, par le Serum Institute of India. Or, l'Inde confronté à une seconde vague très sévère de la pandémie a décidé de confisquer carrément toute la production pour sa population, qui est de 1,4 milliards de personnes (6). Du coup, les autres pays confrontés à la même pandémie n'ont plus qu'à patienter ou mourir. Stratégie hors-temps Une course gigantesque aux vaccins contre la Covid-19 a débuté à peine à quelques semaines du début de la pandémie, en raison de l'ampleur prévisible de ses conséquences sur la santé publique, l'économie et la société (7). D'ailleurs, les USA qui ont toujours fait preuve d'une insondable subtilité dans le choix des noms de code de leurs opérations guerrières, ont appelé cette course Warp speed operation (plus rapide que la vitesse de la lumière) indiquant ainsi que l'anticipation et le temps sont d'une importance vitale. La suite est bien connue, après le triomphe des vaccins les plus novateurs à base d'ARN et le succès des vaccins à ADN et vecteur adénovirus, les pays puissants et riches sont entrés en guerre entre eux afin d'acquérir le maximum de vaccins et le plus rapidement possible. Cette course s'est encore accélérée avec l'émergence d'un autre facteur aggravant, celui des variants du SARS-CoV-2. En effet, la circulation continue du virus lui permet d'acquérir des changements génétiques qui peuvent augmenter sa transmissibilité et/ou la gravité de la maladie Covid-19, diminuer l'efficacité des vaccins et voire même leur échapper complètement. Dans ce contexte de sprint effréné de tous les pays du monde pour sortir de cette crise sanitaire, économique et sociétale exacerbée, la stratégie de notre pays apparait en déphasage total. Comment expliquer que face à un danger d'une telle gravité pour la santé de notre population, notre pays suive une stratégie dont les leviers d'exécution lui échappent complètement ? La lutte contre la pandémie de la Covid-19 est une véritable guerre, sans armes à feu mais qui fait autant de victimes sinon plus qu'une guerre conventionnelle. Les mesures barrières permettent d'en moduler l'intensité pour mieux gérer les flux hospitaliers mais seule la vaccination conduit à la victoire totale et à la reprise progressive d'une vie sociétale et économique normales. Peut-on concevoir d'engager une guerre en comptant sur les promesses d'autres pays de nous livrer des armes, alors qu'ils sont eux-mêmes en guerre ? Peut-on également miser sur leur fabrication de manière précipitée, en plein milieu de la guerre et sans aucune compétence préalable, avec le risque d'échouer, ou même qu'elles nous explosent au visage ? Tsunami de cas La pandémie continue de progresser dans le monde en dépassant les 147 millions de cas et la barre symbolique des 3 millions de morts. La France où vit la majorité de notre diaspora a dépassé les 100.000 morts, malgré trois confinements sévères et de multiples confinements locaux imposés à une population extenuée et en dépit d'un système de santé parmi les plus avancés au monde. Les USA et le Brésil, avec près de 572.000 et 390.000 morts sont les pays plus affectés au monde, en raison du déni de la dangerosité de la Covid-19 par les premiers personnages des deux états. Ces pays, dont la première puissance mondiale, illustrent bien le coût payé par les populations en raison des errements de leurs dirigeants. Le nouveau président américain a réagi efficacement et superbement en impulsant une campagne de vaccination ultra-rapide et massive (3,2 millions de doses par jour) qui atteindra l'objectif de couverture vaccinale de 75% de la population dans les 3 prochains mois. Alors que le Président brésilien continue à tergiverser, en laissant trainer les négociations avec les laboratoires pour l'acquisition des vaccins, ralentissant ainsi la campagne de vaccination. Si bien qu'une commission parlementaire a été mise en place pour enquêter sur la responsabilité de son gouvernement dans cette hécatombe mais également sur l'absence d'une véritable stratégie vaccinale. Mais c'est l'exemple de l'Inde qui mérite d'être médité le plus par l'Algérie, pour en tirer les leçons objectives, et repenser sans délai notre stratégie vaccinale. L'Inde a eu un répit dans la progression de la pandémie et comme chez nous beaucoup de scientifiques et d'hommes politiques avaient évoqué l'immunité collective, sans aucune preuve ni élément tangibles. Ils ont même été loin en considérant l'hypothèse d'une immunité spécifique à leur population qui lui permettait de mieux résister. Ce discours lénifiant mais sans fondement a entrainé un relâchement des mesures barrières, encourageant les rassemblements politiques et religieux, jusqu'à ce qu'une réalité insoutenable les sorte brutalement de leur euphorie. Un tsunami de cas de la Covid-19, dépassant les 300.000 cas positifs par jour, a alors submergé les capacités de leurs hôpitaux, en particulier les services de réanimation pris à court de lits et d'oxygène. Le tsunami s'est naturellement propagé à leurs morgues ,aux cimetières et aux services de crémation (8). Sans surprise, un nouveau variant a émergé, bien que l'on ne sache pas s'il a contribué à cette vague, en tout cas, il a valu à l'Inde, un isolement mondial. Notre pays risque de subir le même sort, le SARS-CoV-2 est une épée de Damoclès qui peut à tout moment frapper notre population, tant qu'elle ne sera pas significativement vaccinée. Isolement total Plusieurs pays sont sur le point d'instaurer un passeport sanitaire ou immunitaire, qui est en réalité un certificat de vaccination contre la Covid-19. Les USA, l'Europe et probablement le reste du monde interdiront très certainement alors l'entrée à leurs territoires aux voyageurs en provenance de notre pays, en l'absence de document prouvant la vaccination. Pour ceux, très rares, qui seront autorisés à voyager sans passeport sanitaire, des mesures contraignantes sont actuellement en discussion, comme un test PCR, une sérologie et un isolement obligatoire de plusieurs jours dans un établissement hôtelier approuvé par les autorités du pays hôte, rendant le coût du voyage quasiment impossible à supporter par nos compatriotes. De même qu'il n'est pas impossible que l'ensemble des vols en provenance de notre pays, comme c'est le cas actuellement des vols en provenance d'Inde, soient aussi suspendus. Les déplacements vers notre pays risquent également d'être gravement affectés, accentuant ainsi notre isolement. Des classements de pays à risque de Covid-19 et des recommandations aux voyageurs commencent à être publiés. C'est ainsi que le CDC (Center for Disease Control and Prevention) américain classe notre pays parmi les pays à risque inconnu et déconseille tout voyage vers notre pays, même pour ceux qui sont entièrement vaccinés (9). Toutes ces mesures risquent d'être fatales à notre pays qui est déjà plongé dans une grave crise multidimensionnelle. Sortir de l'impasse Le seul salut pour notre pays réside dans une vaccination rapide et massive, avec une transparence totale et crédible y compris à l'international. L'Algérie se doit d'aller sans délai sur le marché mondial du vaccin et souscrire à ses règles actuelles, au besoin surenchérir pour acquérir de toute urgence des vaccins, il en a largement les moyens. Le récent décret présidentiel autorisant une contribution exceptionnelle de l'équivalent de 100 millions de dollars, au titre de l'achat pour compte de l'État du vaccin anti-Covid-19, signale une prise de conscience au plus haut sommet de l'état du terrible danger qui plane au-dessus de notre population. C'est également un pas important pour sortir de cette impasse mais il ne peut combler l'immense retard accumulé jusque-là. Les USA, l'UE, l'Angleterre, les pays du Golf et plusieurs autres pays auront bientôt vacciné au moins 70% de leur population adulte, leur permettant ainsi d'atteindre l'immunité collective, et ce dès la fin de cet été 2021. Des négociations sont déjà en cours entre les Américains et les Européens afin de rétablir les liaisons aériennes, le déplacement des personnes et toutes les activités économiques suspendues jusque-là en raison de la pandémie. L'Algérie restera en marge de cette reprise tant qu'elle n'aura pas vacciné sa population qui, dans le meilleur des cas, durera jusqu'en 2022. Le retard pris dans la vaccination risque de coûter très cher à notre pays. Préparer l'avenir La Commission européenne vient de finaliser un accord avec Pfizer et BioNtech pour la fourniture de 1,8 milliard de doses de vaccins entre 2021 et 2023. Ces nouvelles doses vont servir à faire des rappels afin d'augmenter l'immunité. Il est fort possible qu'un rappel annuel et même une troisième dose de vaccin suivant une vaccination complète soient nécessaires, si le protocole actuel de deux doses ne suffit pas à conférer une protection suffisante contre les nombreux variants en circulation. L'Algérie devrait cette fois-ci anticiper et sécuriser les doses de vaccins nécessaires pour protéger notre population. La technique à base d'ARN a ouvert une nouvelle ère très prometteuse pour les vaccins mais également pour la thérapie de nombreuses maladies humaines. Les vaccins à base d'ARN vont probablement aussi et à terme supplanter ceux à base d'ADN et vecteur adénovirus dont fait partie le vaccin russe Spoutnik V, en raison de leur performance inférieure et surtout de leur profil d'innocuité moins favorable. Les vaccins à base d'ARN nécessitent cependant une chaine logistique du froid à -70°C pour leur transport et leur stockage. Bien qu'elle soit complexe à mettre en place, une chaine logistique du froid couvrant tout le territoire national habité serait un choix stratégique déterminant, afin de préparer notre pays et faire bénéficier notre population de cette nouvelle classe thérapeutique en devenir, dont les vaccins. Les économistes du Fond monétaire international (FMI) ont estimé que la vaccination est un investissement rentable (10). Les coûts d'acquisition des vaccins et les dépenses publiques liée aux campagnes de vaccination pour mettre fin le plus rapidement possible à la pandémie, seront largement compensés, et généreront des retours très importants et stimuleront la croissance économique. Une embellie économique, en plus de la protection de la santé de la population et le retour à une vie normale nous permettra, tous ensemble, de nous focaliser enfin sur la grave crise que vit notre pays et sur une stratégie d'avenir et d'espoir. *Dr Notes 1. Tracking Coronavirus vaccinations around the world. https://www.nytimes.com/interactive/2021/world/covid-vaccinations-tracker.html?referringSource=articleShare 2. Covid-19 Deals Tracker: 9.60 billion doses undercontract.https://www.bloomberg.com/graphics/covid-vaccine-tracker-global-distribution/contracts-purchasing-agreements.html 3. Entretien avec Fatouma Akacem, PDG du groupe Saidal, www.tsa-algerie.com,11 Avril 2021 4. Initiative COVAX. https://www.who.int/fr/initiatives/act-accelerator 5. Revealed: big shortfall in Covax Covid vaccine-sharing scheme, Theguardian.com, 22 Avril 2021 6. India cuts back on baccineexports as infections Surge at Home. The New york Times, 25 Mars 2021 7. Bouchama A. La guerre mondiale des vaccins. Le quotidien d'Oran, 11 février 2021 8. Covid-19 in India: Doctorsbrace for tsunami of virus cases. India Times, 30 Mars 2021 9. COVID-19 in Algeria. https://wwwnc.cdc.gov/travel/notices/covid-unknown/coronavirus-algeria 10. IMF says more vaccine spending is fastestway to shore up public finances. Reuters, 7 Avril 2021 |
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