Sous ce ciel printanier de fin d'avril, Annie Steiner s'en
va. Le printemps, en berne, lui présente ses adieux, mais ne l'oubliera
certainement jamais. De la révolution de la Toussaint à celle du Hirak de 2019, la femme a été de tous les combats pour la
liberté. La fille de Marengo n'était née, semble-t-il, que pour être libre.
Pleinement libre. Elle est de cette race des combattantes qui ne courbent
jamais l'échine devant la fatalité de l'oppression. Avec son éternel sourire,
elle a tôt côtoyé le quotidien de misère de ses frères algériens jetés dans la
pauvreté et l'analphabétisme, d'abord dans les centres sociaux créés par
l'autre femme anticolonialiste, Germaine Tillion,
puis dans l'action révolutionnaire. Le coup de tonnerre de novembre est tombé
tel un baume balsamique sur l'esprit de cette descendante des pieds-noirs, qui y voyait déjà le début de la fin de
l'injustice coloniale. Du coup, elle s'est engagée, au péril de sa vie, dans le
FLN qui l'a recrutée en tant qu'agent de liaison dans son réseau. Et grâce à
son tact, la jeune militante a pu conclure des accords entre ce dernier et le
PCA pendant l'été 1956. L'automne suivant, alors qu'elle n'avait que vingt-huit
ans, elle est arrêtée, avant d'être condamnée à cinq ans de prison. Commence
alors un long calvaire pour celle qui gardait dans ses tripes le rêve de
«l'Algérie algérienne», avec toutes les déchirures qui en ont résulté au sein
de sa propre famille. L'apprentissage de la liberté n'a, dit-on, pour passage
obligé que la prison. Et la prison, pour Annie, n'est pas seulement faite pour
les hommes, mais aussi pour les femmes engagées dans cette lutte d'indépendance
qu'elle jugeait «juste» pour l'émancipation d'un peuple «clochardisé»
(l'expression est de sa camarade G. Tillion),
longtemps sous le joug de l'oppression. Les geôles coloniales ont, en quelque
sorte, «algérianisé» l'âme de cette icône de la liberté, en lui donnant toutes
ses lettres de noblesse. Car, c'est là qu'elle s'est laissé germer en elle
cette farouche volonté d'élire à jamais sa patrie du cœur, sa patrie d'engagement
et de combat, sa patrie-identité qui l'accompagnera jusqu'à sa dernière
demeure. C'est là aussi qu'elle a assisté en 1957, dans la douleur, au passage
à la guillotine de trois de ses codétenus dont le célèbre Fernand Iveton, le premier Européen à être «décapité» sous les
ordres du garde des Sceaux métropolitain. A l'instar de Raymonde Peschard, Henri Alleg, Maurice Audin, l'avocate Gisèle Halimi et tant d'autres, cette
Européenne d'Algérie a choisi le camp de la justice. Rebelle jusqu'à l'épiderme,
sensible à la poésie de son ami «Jean Sénac» dont elle ne quitta jamais le
domicile algérois après l'indépendance, à la beauté, à l'humanisme, au courage,
aux marques d'amitié et de reconnaissance, la vieille dame de «l'Algérie»
(parce qu'elle en a pris la nationalité en 1963) n'en l'est pas moins pour les
luttes démocratiques, le militantisme pour le respect des droits des femmes, la
question des libertés et d'autres nobles causes. Qu'elle repose en paix !