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Les
Occidentaux ont l'art, d'une efficacité de moins en moins probante, de faire
des choses qui provoquent des dégâts et d'en rendre les autres responsables. Et
on est réellement fatigués de devoir expliquer à chaque fois que souligner leur
très grande responsabilité ne relève pas du déni des «Daech» qui sont en nous
ou d'une théorie de la conspiration.
Le monde arabe est travaillé par des dynamiques contradictoires et celle de la régression, sans être irrésistible, est puissante. Cette régression est soutenue par nos dictatures et nos autoritarismes qui ne cultivent pas l'ouverture mais l'enfermement même si les castes dirigeantes vivent, physiquement, dans les pays occidentaux. Il y a chez les élites au pouvoir dans le monde arabe un mélange de mépris, de violence et d'incapacité à prévoir qui ne peut qu'annoncer les catastrophes. Et ces élites, parce qu'elles ne sont pas comptables devant des peuples-électeurs souverains, n'ont pas de vrais agendas nationaux. Leur responsabilité est grande dans les dégâts qui se commettent avec des pays qui se défont et se détruisent. On doit le souligner avec force. Mais cela n'est pas une raison d'occulter la part, décisive, des Occidentaux dans ce qui arrive dans le monde arabe. Les Occidentaux sont en train de vendre l'idée que le Daech est une menace «nouvelle», à nulle autre pareille, et qu'elle exige une mobilisation mondiale contre lui. Barack Obama n'a pas repris le slogan bushien qui «n'est pas avec nous est contre nous», mais c'est tout comme. On est dans un jeu où plus l'assertion est énorme et plus on croit qu'elle passe. Il n'y a pas à contester que les gens du Daech sont des personnages sinistres et abjects. Et qu'ils sont, au fond, l'aboutissement d'un abrutissement orchestré depuis des décennies par les grands moyens de l'Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe. Mais ces constats généraux, justes, ne dispensent pas de rappeler, de manière factuelle, que la destruction de l'Etat irakien par les Etats-Unis était l'acte de naissance futur du Daech. La «reconstruction» menée sous l'égide des Américains s'est fondée, délibérément, sur une démarche qui a alimenté le sectarisme et les divisions. Cela fait dix ans que dans ces colonnes, on fait les constats d'une entreprise systématique de destruction de l'Irak par l'injection du poison sectaire. Les Saoudiens et les autres monarchies l'ont fait au nom de l'impératif de s'opposer à «l'arc chiite». Al-Maliki, appuyé par l'Iran, a également joué un rôle d'accélérateur. Le grand boulevard ouvert aux «djihadistes» par les Américains en 2003 a continué de s'élargir, au vu et au su de tous. Daech n'est pas une surprise mais une conséquence logique, peut-être «non souhaitée», d'une démarche politique vicieuse dont la finalité semble bien être le démantèlement de l'Irak. Cela se fait, aussi, pour la Syrie où les Occidentaux font mine d'être surpris que la «bonne opposition» est débordée. Et on ne sort d'ailleurs pas de ces schémas. A la situation, épouvantable, dans laquelle se trouve la Syrie où le Daech a sa direction, que propose le Pentagone ? Il nous faut 12.000 à 15.000 «rebelles syriens» pour combattre le Daech ? On fait mine d'oublier que le Daech ou le Front Al-Nosra sont constitués de ces rebelles «soutenus» hier et qui sont devenus les «ennemis» d'aujourd'hui. On mène une politique qui fabrique le Daech et on œuvre à fabriquer un traitement qui peut, lui aussi, muter en un autre Daech. Parlant de la Libye, l'écrivain et ancien ambassadeur français, Jean-Christophe Rufin, a noté qu'il était dangereux de penser «qu'il faut faire quelque chose sans réfléchir à ce que l'on fera après? On l'a fait ces dernières années en Libye et un peu partout. On fait tomber un dictateur, et on laisse le chaos derrière nous. Cela n'a pas de sens». En réalité, c'est bien la démarche. On lance les choses et on ne se soucie pas de ce qui peut arriver, sachant -et cela est historiquement prouvé- que les seules dynamiques vertueuses sont celles qui viennent des sociétés elles-mêmes. Une révolution, une démocratie ne s'exportent pas. Cela ne relève que de la manipulation et de la violence. Les Occidentaux ne complotent jamais -ces termes sont réservés aux Russes et aux autres Chinois- mais ils «expérimentent». Et quand ils fabriquent un monstre, ils laissent croire que c'est de la génération spontanée. Après tout, ceux qui souffrent de ces expérimentations, ce ne sont que des femmes, des enfants et des hommes? de lointaines contrées. |
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