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Le duo de comiques est une vieille tradition dans le monde. On connaît,
pour ne citer qu'eux, Laurel et Hardy, Bud Abbott et Lou Costello, Pierre Dac
et Francis Blanche ou encore Omar et Fred. Loin de ces talentueux amuseurs, la
France se découvre désormais une doublette appelée peut-être à faire date dans
la longue liste de bouffons dont le pathétique le dispute à l'obscénité. Il s'agit
de deux imams prétendant incarner une autre voie, celle de la distanciation à
l'égard d'un islam qui serait dévoyé, rétrograde et sanguinaire. Deux imams que
l'actualité récente à Gaza a encore mis sur les devants de la scène pour le
plus grand intérêt des défenseurs d'Israël.
Entendons-nous bien. Le présent chroniqueur s'inscrit pleinement dans la revendication d'une modernisation radicale du monde arabo-musulman avec, à la base, une réinterprétation courageuse du texte coranique et la remise en cause d'une pensée sclérosée, figée depuis le Moyen-Âge et pleinement responsable de l'arriération de nos sociétés. L'expression de « musulman libéral » reste encore à conceptualiser mais elle paraît porteuse de promesses pour qui estime que nos peuples sont loin d'avoir achevé leur émancipation. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il faille accepter les élucubrations de plus en plus médiatisées des imams Chalghoumi et Birbach puisque c'est d'eux qu'il s'agit. Plus important encore, il est hors de question d'accepter que l'on fasse d'eux les symboles de l'islam libéral, progressiste ou même « républicain ». Certains disent que cette paire ne représente qu'elle-même et qu'il ne faut pas lui faire de publicité d'autant qu'un imam ne saurait être représentatif de populations d'origines maghrébines qui refusent d'être enfermée dans une identité exclusivement religieuse. Il n'empêche, son installation progressive dans la sphère médiatique qui influence l'opinion publique mérite tout de même une mise au point. Ces deux religieux sont à la jonction entre, d'un côté l'opportunisme des concernés et, de l'autre, l'urgence pour les milieux pro-israéliens en France de se trouver des interlocuteurs à la fois présentables mais, surtout, manipulables à souhait. En clair, sous couvert de dire et penser un « autre islam », lequel ferait moins peur, Birbach et Chalghoumi n'ont de cesse de fustiger les Palestiniens en ramenant tout à la responsabilité du Hamas, tout en dénonçant l'antisémitisme dont feraient preuve celles et ceux qui, notamment en France, s'indignent du sort sanglant des habitants de Gaza. Et ce n'est donc pas un hasard si les deux hommes sont devenus les chouchous du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et d'autres instances qui font de la défense d'Israël et de ses intérêts l'un des piliers de leur activité en France. Ainsi, Chalghoumi et Birbach sont instrumentalisés pour accréditer l'idée qu'un « bon » musulman ou qu'un musulman « libéral », « progressiste », « humaniste » ne peut pas critiquer Israël et son armée « la plus morale du monde ». En clair, un musulman qui penserait contre les siens et sa société ? ce qui est, répétons-le une urgence vitale pour l'avenir de nos pays ? ne pourrait être un adversaire politique d'Israël. Bien au contraire, les propos des deux calottés, même s'il s'agit d'un salmigondis des plus comiques, conforte l'hypothèse que la solidarité à l'égard des Palestiniens est suspecte puisque nécessairement motivée par l'antisémitisme et la judéophobie. Et c'est ainsi qu'imam numéro-un et imam numéro-deux sont exhibés de télévisions en manifestations pro-israéliennes, le but du jeu étant de démontrer qu'il existe une « autre voie » et que, finalement, les pro-Palestiniens ne sont pas aussi majoritaires que ça. Bref, Birbach et Chalghoumi ont assimilé la règle qui permet d'aller très loin : ils disent et répètent à l'envi ce que certains rêvent d'entendre. La méthode est aussi vieille que le monde. Dans l'Algérie française, le colonialisme a toujours essayé de discréditer les révoltés par la mise en scène de béni-oui-oui prompts à servir n'importe quel discours pourvu qu'ils en retirent quelques avantages. D'ailleurs, et sans verser dans le racisme social, on se rend bien compte que les deux religieux répondent à un critère bien précis. Leurs têtes et leur élocution en langue française (entendre parler Chalghoumi relève à la fois du supplice et de la franche rigolade) correspondent parfaitement au cliché de l'arabe, de l'immigré « d'hier », c'est-à-dire celui qui rasait les murs et ne faisait pas trop d'histoire. Certes, le Crif et ses alliés se sont aussi trouvés quelques soutiens auprès de rares intellectuels maghrébins bien plus brillants et plus éloquents mais ces derniers ont, de temps à autre, la décence et l'intelligence de prendre un peu de distance et, au moins, de se taire quand, dans le même temps, Chalghoumi et Birbach squattent la scène en permanence. Le plus étonnant dans l'affaire, c'est que nombre d'historiens ont montré les limites et l'échec annoncé de ce genre de stratégie d'instrumentalisation. Le Crif et ses alliés peuvent-ils comprendre que leur affection pour les deux imams-troupiers n'apaisera pas les tensions et n'arrangera rien ? Se choisir, ou plutôt se fabriquer ses propres interlocuteurs pour décrédibiliser ses vrais adversaires politiques ne résoudra rien. Bien au contraire, cela ne peut que continuer à échauffer les esprits et à alimenter nombre de thèses conspirationnistes. |
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