Devant la montée des mauvais signaux émanant du
pouvoir et de ses périphéries, les Algériens restent calmes et observent avec
beaucoup de distance les disputes parfois délirantes qui se déroulent à travers
les médias. Cette latitude de rester distant -et sur ses gardes- à l'égard des
débordements du sérail n'est pas donnée à ceux qui dirigent des organisations
et des appareils politiques. Placés politiquement en posture de satellites, ces
appareils tanguent douloureusement quand la direction du vent au sein du
pouvoir cesse d'être lisible. Les patrons du FCE qui ont jusqu'à présent
soutenu, sans états d'âme, la candidature de Bouteflika, se retrouvent
aujourd'hui dans une situation des plus inconfortables. Ceux qui connaissent la
maison du FCE avec ses grands patrons et ses «smarties» n'hésitent pas à parler
de la galère des «pauvres patrons» soumis à de forts vents contraires. Avec
humour, l'un d'eux parle d'un phénomène curieux de «transhumance» chez les
patrons algériens qui se retrouvent presque tous en voyage ou en «cure de
santé» jusqu'à nouvel ordre. A telle enseigne que la réunion destinée à
trancher sur la question du soutien ne s'est pas tenue faute de quorum. Les
choses sont ainsi en Algérie qu'une organisation patronale semble sommée de se
prononcer sur une candidature qui n'est pas officiellement annoncée. Il est
vrai que c'était le cas avant les précédentes présidentielles. Mais jamais les
patrons ne se sont retrouvés devant une situation aussi délicate au sein du
pouvoir. Bouteflika, lui-même, évoque une menace sans précédent depuis
l'indépendance contre l'unité de l'armée et la stabilité du pays. Slim Othmani,
patron de NCA Rouiba, confirme d'ailleurs qu'on n'est plus dans des suggestions
de type civilisé mais dans une tentative d'imposer «des choses à des chefs
d'entreprise par la force, par la contrainte et la menace. Je pèse mes mots
quand je parle de menaces, parce que certains d'entre nous commencent
sérieusement à avoir peur».
Voilà qui est on ne peut plus clair. Cela traduit
clairement le climat détestable qui règne dans le pays en raison des batailles
au sein du pouvoir. Pourtant, les patrons gagneraient à prendre leur courage à
deux mains et à s'émanciper des «dictées» du pouvoir. Ils peuvent partager le
sentiment général de l'opinion algérienne sur le fait qu'ils ne sont pas
responsables de la crise actuelle et qu'ils ne disposent pas d'instruments pour
peser dans les solutions. «Des choses pareilles n'ont pas lieu d'exister au
XXIe siècle, surtout lorsqu'on est en train de construire un environnement
économique où le maître mot est la confiance», a déclaré Othmani.
Malheureusement, ces choses existent. Et il faudra aux patrons -que les
intérêts rendent moins libres et moins distants que le commun des Algériens à
l'égard du système- de se libérer de la servitude de devoir s'aligner. A plus
forte raison quand cet alignement a toutes les chances de contribuer à la
dégradation de la situation. Les patrons algériens auront-ils la capacité de se
transcender et de faire de cette crise au sein du pouvoir une opportunité de se
libérer de la «servitude politique» ? Eux seuls peuvent y répondre.