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L'évènement
du jour ? Les subtilités de la langue française dans la bouche du PDG de
l'ENTV. Un univers de glissements, d'explications extraterrestre et de poésie
mécanique. Un délice en somme pour ceux qui collectionnent les variantes
modernes de la langue de bois. L'interview est publiée dans un journal
électronique (TSA) et on s'y plait à lire une épique rencontre entre les
questions que l'on se pose tous et les réponses de Khelladi que l'on ne trouve
nulle part dans le reste du monde. A la question sur la qualité médiocre de cet
organe de propagande, l'intéressé répond par un magnifique et insondable «
c'est très facile de parler de la télévision quand on est à l'extérieur ».
Magnifique ! Car toute télévision est justement vue de l'extérieur, par ses
consommateurs, clients, abonnés ou autres. La logique ENTV est que le client
n'a pas le droit de critiquer parce qu'il est à l'extérieur. Pour critiquer un
programme il faut être de l'intérieur. Cette vision vient du fait que l'ENTV
n'est pas considérée comme service public qui s'adresse à un public mais comme
instrument autonome qui dépend de lui-même et de ses centres de décisions
indépendants. Khelladi parlera aussi de « la confiance des autorités » là où le
monde des médias dans le reste du monde parle généralement de « confiance des
téléspectateurs ». Et cela vient de la même conception citée plus haut. Des
suites ? Oui : le budget de l'ENTV ? Aucun chiffre, juste des rimes et des
ablutions. Cela ne vous concerne pas.
L'ENTV, vous la subissez, vous ne la gouvernez pas. Elle ne dépend pas de vous. Vous n'êtes pas autorisés à savoir combien elle prend de votre poche pour tromper votre œil et parler à la place de votre bouche. La censure ? Non, elle n'existe pas en Corée du Nord. Pas l'ENTV. Tout le monde y a droit à la parole. Mais en sourd-muet. Affirmation d'une inconcevable impudence. A s'y arrêter pour rire, grimacer, sangloter ou aller sur la lune, planter un autre drapeau et demander une autre indépendance. Parler du DRS ? Jamais, selon Khalladi. Le bonhomme pousse l'explication jusqu'au Niagara de l'absurde : le dossier DRS est qualifié de « petites coquetteries ». L'homme que l'on sait proche de qui se dit, frère du frère, abuse puissamment et comiquement de son emploi pour violer les évidences. On ne sait pas alors penser de soi, de l'autre et de l'humanité en lisant une telle réduction de l'os du pays à un chewing-gum d'oisiveté. Le DRS serait donc les initiales d'un grand poème inintéressant. Mais là où le langage du bonhomme atteint le sommet de la moquerie, c'est quand il répond à la question du «la télévision nationale n'a jamais interviewé le président Abdelaziz Bouteflika? ». Sa réponse est abyssale, magnifique, tragique, comique, cosmique. On ne peut pas la lire sans voyager dans l'espace, ni la penser sans s'abîmer, ni la relire sans s'étonner puis exploser : le PDG vous répond par un somptueux et extraordinaire « Nous n'avons pas demandé. Cela ne nous a pas traversé l'esprit ». C'est le « cela ne nous a pas traversé l'esprit » qui est là. L'ENTV n'a jamais pensé à poser des questions à Bouteflika. Cela n'est pas important dit elle, juste un détail, un fait divers. Interviewer le président du pays est une coquetterie en somme. Et la tournure de la phrase est une insulte en même temps, une clownerie. Il faut être algérien, savoir qu'est-ce que l'ENTV, comment elle fonctionne, comment elle filme, viole et obéit pour comprendre le sens insultant de cette réponse. Comprendre tout ce quelle charrie comme mépris. Comme plaisanterie nationale. Misère du sens, des peuples et des dictatures et des propagandes lorsqu'elles ne font plus la différence entre l'insolence et le non-sens. |
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