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La viande ou la mort : La légitimité par l'Alimentation Générale

par Kamel Daoud

Intéressés par les images, la robe de chambre, Sellal compatissant tendant un gâteau à Bouteflika et le Général de nos armées en civil, nous avons oublié un détail : pendant sa maladie, sa disparition, sa 13ème mort, Bouteflika a donné des instructions. Pas pour défendre les frontières, aller sur la lune, capturer Bel Mokhtar ou trancher le cas de Chakib Khellil ou pendre Hichem Aboud, (Affaire «Mon journal» contre affaire «Mon pays»), mais pour la sécurité. Pas la sécurité nationale, internationale, des mers ou du Sahara ou des camps de vie d'In Aménas. Non, l'autre sécurité, alias la seule insécurité qui puisse menacer le régime, les fondations du pays, l'ordre social ou le repos des martyrs : la sécurité des approvisionnements alimentaires durant le mois du Ramadan. Car le Ramadan dans la vision algérienne préhistorique est un grand moment de risque. La perception du régime est alimentaire pour après 62 et poétique pour avant cette date. Donc, même sur son lit de malade, comme un père totémique qui sait que ses enfants vont le manger selon Freud, Bouteflika a donné des instructions pour remplir le panier en son absence. La vision du régime est alimentaire : ce peuple ne peut pas être calmé par des images et un sac de semoule vaut mille mots, selon le proverbe d'une alimentation générale. Donc, pour le Ramadan, c'est comme pour tous les ramadans : l'Etat préhistorique, muni d'une massue s'en va dans les terres lointaines ramener de la viande pour ce peuple qui l'attend avec de gros yeux globuleux : de la viande venue de l'Inde, du Brésil, du Canada?etc. Chaque année la question est posée brutalement «qu'est-ce qu'on mange» ? Suivie de «où faut-il acheter ?». Le reste du sens dit céleste de ce mois se perd dans la demi-heure de causerie religieuse de l'ENTV : se rapprocher de Dieu, s'élever dans le ciel en se délestant de son estomac, creuser en soi le sens du monde et pas seulement son ventre. Tout cela n'est rien. C'est un mois de panique, de violence, de paresses sans os mais avec des dents, de heurts et de déséquilibres : en sommeil, en repas et en approvisionnements. Donc malade, Bouteflika a songé au repas. Principale activité de distribution après le départ du Colon. Sens animal du Ramadan vécu et survécu en Algérie. Sens de la légitimité alimentaire (je gouverne parce que donne à manger).

Le pire c'est que, en même temps, c'est ridicule, tragique, vrai, nécessaire, insultant et logique et comique. On aura beau triturer les nuances, le régime est dans le vrai quand il traite une grosse partie du corps national comme un estomac et le reste comme des cheveux. Il est le créateur de cette biologie mais aussi le produit de ce corps. Vieille question métaphysique. L'essentiel est que Bouteflika malade s'est rappelé de l'essentiel : «Alimentation générale» est le plus grand réseau du pays, plus grand que celui des mosquées. S'il va mal, tout va mal. L'équation est connue : subventions (de l'Etat) contre soutien (des clients). Encore plus durant le Ramadan. Et donc cherchez la viande même en Chine, dit une version dérivée.

Question subsidiaire : les audiences ramadanesques, sorte de tribunaux d'audits sans lendemains des ministres, vont-elles se passer à Paris ou à Alger cette fois ?