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Un discours qui va changer l'Algérie

par Kamel Daoud

Bouteflika a parlé. C'est-à-dire qu'il a lu un discours de quinze feuillets en croisant à peine deux fois le regard avec le peuple. Et au fur et à mesure que la pile de feuilles maigrissait à sa droite, maigrissait l'espoir de l'entendre dire quelque chose d'aussi spectaculaire que la déclaration de novembre-bis.

On a appris donc que la Constitution allait être révisée, mais selon lui, ou par le biais d'experts à lui, avant de passer par un Parlement qui n'est pas à nous. On y a appris que la loi électorale allait être changée, mais sans toucher à l'autre loi qui fait loi depuis la dissolution du GPRA : c'est le peuple qui vote mais c'est le Pouvoir qui élit. On y a appris que la lutte contre la corruption continue mais sur la lune. On y a appris qu'on va décentraliser mais dans les airs. On y a appris que la loi sur les partis va être revue mais selon les partis qu'on n'aime pas et qui ne nous représentent pas.

Le discours de Bouteflika est donc venu, mais en retard, après Ben Ali et Moubarak et dix mille émeutes et deux cents ans de silence et d'indifférence. A la dernière feuille de ce monologue, les Algériens ont compris qu'ils sont toujours seuls, que leur vie après la mort va être longue et vide et que rien ne change pendant que le monde change si vite avec des vieillissements brusques et des rajeunissements miraculeux, mais ailleurs que chez eux. Déception donc, lassitude et de la peine.

Dans la liste des mesures énoncées dans une langue que les Algériens ne comprennent pas, on a retenu donc les blancs du discours, les immenses choses entre parenthèses. D'abord que l'ENTV va continuer de filmer le Pouvoir et de parler à notre place. Pas d'ouverture du champ audiovisuel donc. Le délit de presse sera dépénalisé, mais on ne sait rien sur la possibilité de créer des journaux, rien sur la dictature de l'agrément et le chemin de croix entre l'éditorial et l'imprimerie. On saura ensuite que le Parlement, élu par un peuple qui avait les mains derrière le dos, ne sera pas dissous et qu'il va même servir à donner ce qu'il n'a pas : de la légitimité à de prochaines promesses de changements. On saura aussi que les mêmes ministres restent et que le gouvernement ne sera pas changé. On saura aussi qu'on ne sait rien si les mandats vont être limités à deux mandats ou à trois présidences à vie pour chaque président. On n'apprendra rien sur le rôle des «Services» dans la vie politique, associative et économique du pays et si, désormais, un Algérien a d'abord un extrait de naissance avant d'avoir une fiche, ou le contraire. On ne saura pas si désormais, pour créer une entreprise, il faut payer le fisc ou un intermédiaire ou un corrompu.

Rien n'a été dit sur la liberté, le bonheur, le droit de manifester, la démocratie et la vie meilleure et l'entreprise. Bouteflika a fait de la politique mais il en a trop fait, à tel point qu'on n'a rien compris tout en comprenant l'essentiel : il a tranché. Pas entre nous et lui mais entre les siens. Entre Ouyahia qui veut l'hériter sans changer la formule, ou Belkhadem qui va le servir jusqu'à le remplacer. Bouteflika a donc parlé : du passé, du futur, mais pas du Présent où nous sommes tous enfermés.

C'est un discours qui déçoit, crée le vide au lieu de le remplir, ouvre droit à des attentes plus radicales mais fait à la main et illustre bien cette incapacité panarabe des régimes arabes à se réformer de l'intérieur, à comprendre, communiquer et oser.

 Conclusion : c'est un discours qui va changer l'Algérie. Parce qu'il l'a tellement déçue.