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UN ILOT DE FAUSSE TRANQUILLITE

par K. Selim

Des Algériens ont essayé de marcher à Alger et ailleurs aussi : les autorités ont déployé des moyens conséquents pour les en empêcher. C'est, en résumé, les faits algériens du lendemain de la victoire de la rue égyptienne sur le régime.

 Le pouvoir se tromperait beaucoup s'il considère que les choses sont finies et qu'il a obtenu une victoire. L'Algérie ne peut pas être un îlot tranquille qui échapperait à l'accélération de l'histoire dans l'aire arabe. Le mouvement est inéluctable. Ce que l'Egypte enseigne est que le mouvement de la société finit toujours par l'emporter sur l'immobilisme de l'ordre établi. L'histoire ne se fait pas par mimétisme. L'évolution qui pourrait avoir lieu en Algérie ne sera pas forcément celle de la Tunisie ou de l'Egypte. Mais s'agissant d'un pays où le pouvoir refuse l'organisation libre de la société et qui a connu des violences extrêmes, ces évolutions peuvent, à force d'être entravées, prendre des aspects plus dramatiques qu'en Tunisie et en Egypte.

 Si les Tunisiens et les Egyptiens sont sortis de l'émeute pour aller vers une démarche politique, cela tient à la capacité de leurs organisations sociales et de leurs élites d'encadrer le mouvement et de lui donner du sens. Ce constat est instructif pour l'opposition qui veut réellement créer l'alternative. Même si une société décrie un régime, elle ne suit pas forcément ceux qui s'y opposent. Il y a un travail lent ? et ingrat ? à faire et qui n'est pas encore fait. On ne peut embrayer sur les révolutions égyptienne et tunisienne à partir du vide.

 Par contre, ces deux révolutions sont aussi la preuve qu'on ne doit jamais désespérer des sociétés. Plus personne, ni les pouvoirs ni les services de renseignements, ne peut décréter qu'il contrôle définitivement la situation.

 Nos sociétés sont mûres pour le changement. La seule question est de savoir comment ce changement va se faire. L'Egypte et la Tunisie sont la preuve que la révolution est une option quand les chemins de la réforme sont fermés par des régimes qui se considèrent comme les tuteurs paternalistes des peuples. Les Algériens sont depuis au moins octobre 1988 demandeurs de changement démocratique. Cette demande de changement est inassouvie et elle a coûté très cher aux Algériens.

 Le pouvoir se tromperait cependant de croire que la relative léthargie des Algériens, après une décennie traumatisante, est une base pour gouverner tranquillement. Même avec une rente pétrolière conséquente, l'immobilisme n'est pas une solution. Il est un danger. Car, plus on tarde à démocratiser, à ouvrir les champs médiatiques, à libérer l'expression et à aller vers l'Etat de droit, et plus les réponses qui sont secrétées par la société risquent d'être violentes.

 On peut interdire les manifestations à Alger, cela ne pourra pas empêcher les jeunes Algériens de se dire qu'ils ont aussi un droit de regard sur le pays et le droit de décider de leur avenir. Et ce sont des jeunes avisés qu'un ersatz de démocratie ne peut satisfaire. Le pouvoir algérien a montré ces derniers temps qu'il cherchait à satisfaire ceux parmi les Algériens qui ont une capacité de nuisance. Cela relève de la démarche sécuritaire.

 Mais celle-ci n'est pas une réponse sérieuse à une société jeune et qui connaît sur le bout des doigts ce que les jeunes de Tunisie et d'Egypte ont pu faire. Et qui observe le sentiment de fierté et de respect de soi qui parcourt à nouveau ces sociétés qui ont bousculé un immobilisme qui semblait installé pour des lustres.