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La place Ettahrir n'a pas dit son dernier mot

par Kharroubi Habib

Les manifestants antiMoubarak occupent toujours la place Ettahrir au Caire. Mais après sa gigantesque démonstration du vendredi écoulé, le camp de la contestation est menacé de désagrégation. Les quinze journées de manifestation non-stop ont entamé la résistance et la détermination de beaucoup qui s'accrochent moins maintenant à la revendication d'un départ immédiat de Moubarak. Fléchissement que des partis d'opposition, et notamment le plus important d'entre eux, celui des Frères musulmans, se sont donnés pour raison pour accepter de répondre à l'invitation à la négociation lancée par le vice-président Omar Souleiman.

 Hier, un premier round a réuni celui-ci avec des représentants de ces partis, des membres d'un comité choisi par les groupes pro-démocrates ayant lancé le mouvement de contestation qui réclame depuis le 25 janvier le départ de Moubarak, ainsi que des figures politiques indépendantes et des hommes d'affaires. L'amorce de ce processus de négociation signifie incontestablement que l'armée et le sérail sont parvenus à endiguer le flot révolutionnaire qui a menacé d'emporter violemment le régime et ses hommes et à faire valoir la nécessité d'une «transition ordonnée». Du moins à l'opposition politique.

 Les Etats-Unis ont immédiatement formulé leur approbation du processus qui vient de s'enclencher, même avec les Frères musulmans en tant que partie prenante. Les négociations entamées au Caire pourraient déboucher sur l'acceptation par l'opposition du maintien à son poste de Moubarak pour un temps encore et la constitution d'un gouvernement d'union nationale chargé de conduire la transition.

 Le scénario présente l'avantage pour ceux qui l'ont écrit et pour ceux qui y souscriront de permettre au pays de revenir à la vie normale et d'en finir avec la menace de chaos brandie par Moubarak en guise de conséquence de son départ immédiat réclamé par le peuple.

 A ce stade où toutes les incertitudes planent encore en Egypte, l'inimaginable est déjà arrivé dans ce pays. Qui est que les Frères musulmans, hier seulement bête noire du régime, sont aujourd'hui parmi les interlocuteurs avec lesquels il veut négocier la transition et que les Etats-Unis aient émis leurs encouragements à aller dans ce sens.

 Pour les acteurs des tractations en cours, le temps du «pragmatisme» a, semble-t-il, sonné. Et ce sont encore les Frères musulmans qui leur montrent le chemin en déclarant avoir renoncé à briguer la présidence de la République pour l'un des leurs et à se contenter d'une représentation limitée dans le prochain Parlement égyptien.

 Sauf qu'il n'est pas certain que les tractations politiques, qui viennent de s'engager entre le sérail représenté par Omar Souleimane et une partie de l'opposition, soient ce que le peuple veut comme aboutissement pour sa révolution. Même si la lassitude se fait sentir et qu'il aspire au retour à la normale, ce peuple n'a pas pour autant renoncé à ses revendications et pourrait poursuivre son mouvement de contestation, et ainsi mettre en échec les compromis qui se négocient loin de lui. Ce n'est pas parce que en apparence les partis traitent en son nom avec le sérail du régime qu'il donnera son aval à ce qui sortira des négociations.

 La place Ettahrir n'a pas encore rendu les armes, loin de là.