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AGAÇANTE TURQUIE

par K. Selim

La Turquie, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a annoncé publiquement qu'elle romprait ses relations diplomatiques avec Israël si elle ne recevait pas d'excuses pour l'agression meurtrière de la Flottille de la paix. Le Premier ministre de Tel-Aviv a opposé lundi une fin de non-recevoir à la demande d'Ankara. C'est la première fois que la Turquie a explicitement menacé les Israéliens d'une rupture des relations diplomatiques.

 Il est significatif de noter que cette escalade intervient après une rencontre, la semaine dernière dans la capitale belge, entre le ministre des Affaires étrangères turc et le ministre du Commerce israélien. Au lieu de l'apaisement escompté par certains observateurs, il semble bien que les Turcs campent sur leurs positions. L'échange public entre les deux pays, tous deux alliés des Etats-Unis, montre que loin d'être «noyée dans les brumes du temps», selon la formule d'un diplomate européen, la crise entre les deux Etats reste aiguë.

 Les analystes occidentaux attribuent le raidissement turc à la volonté du chef du gouvernement et à son parti de renforcer l'ancrage «musulman» d'un pays autrefois chantre d'une laïcité radicale, traditionnellement anti-arabe et pro-occidentale. C'est faire bien peu de cas du sentiment national turc heurté par la violence criminelle à l'endroit de civils désarmés au cours de l'assaut du 31 mai dernier contre la Flottille de la liberté.

 Les Européens, qui souhaitent toujours que les Turcs s'alignent sur les positions occidentales tant sur le siège de Ghaza qu'en matière de relations avec l'Iran, déplorent à haute voix la réorientation de cap de la Turquie. De fait, Ankara a déjà pris des mesures de rétorsion plus que symboliques en interdisant notamment le survol de son territoire par des avions militaires israéliens et en réduisant significativement la coopération sécuritaire avec Tel-Aviv.

 Les Turcs, qui, depuis l'avènement de l'AKP, entendent jouer un rôle de médiation régionale, sont bien obligés de constater qu'une position médiane entre les Palestiniens privés de tous leurs droits et des Israéliens assurés de l'impunité, quels que soient leurs crimes, est intenable.

 De plus, la Turquie est bien obligée de tirer les conclusions du refus, parfois exprimé de manière insultante, des dirigeants européens à son adhésion à l'Union européenne. Ceux qui à Ankara tablaient sur le soutien d'Israël à la démarche auprès de Bruxelles ont dû déchanter.

 De fait, la Turquie, entre volonté d'autonomie et désillusion vis-à-vis de l'Occident, est quasiment contrainte de réviser ses options stratégiques et de reconsidérer avec réalisme ses alliances régionales. Le dynamisme économique turc soutient un déploiement régional conforme à l'histoire du pays et aux réalités politiques. Est-ce pour autant que la Turquie rêverait de reconstruire le Califat ottoman, comme le suggèrent des commentateurs très orientés ? A l'évidence, non. La place grandissante de la Turquie dans la région conduit naturellement ce pays à assumer des responsabilités croissantes.

 Ce recentrage, conforme aux intérêts nationaux turcs, déplaît profondément aux amis d'Israël, dont certains souhaitent ouvertement l'intervention de l'armée pour remettre le pays dans le «droit» chemin de son alignement traditionnel.

 Devant le rejet de ses exigences par les Israéliens, Ankara mettra-t-il sa menace de rupture diplomatique à exécution ? Cette décision, qui traduirait un début d'aggiornamento turc, apparaît déjà, du seul fait de son annonce, comme le résultat d'un nouveau rapport de force interne et le recul de l'influence occidentale.