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Justice blanche

par K. Selim

Les Occidentaux savent bien faire les mises en scène planétaires qui leur octroient le beau rôle en réservant les plus mauvais aux autres, Africains, Arabes, et éventuellement à leurs «alliés» chinois et russe. Eux ne veulent pas «interférer » dans le cours de la justice internationale qui veut juger le chef de l'Etat soudanais en exercice, coupable présumé de crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Les Arabes et les Africains qui s'en inquiètent sont automatiquement classés dans la case des défenseurs de tyrans et on se moque même de leur souci, pragmatique, de faire aboutir un processus de paix difficile au Soudan au « détriment » de la justice.

Sur l'aspect pratique de la mise en application du mandat d'amener, l'ancien président du Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, Antonio Cassese, a fait remarquer qu'il ne pouvait être exécuté que si les forces de l'ordre soudanaises « arrêtent Al-Bachir et le remettent à La Haye». Une probabilité quasi nulle. Son seul effet, et c'est bien ce qui inquiète les Africains, est de porter un rude coup aux efforts actuels entrepris pour ramener la paix au Darfour.

La première réaction d'un des leaders de la rébellion au Darfour, après l'émission du mandat d'amener, a été de décréter Omar Al-Bachir illégitime et de se proposer de le faire tomber pour le remettre à la justice internationale. La première réplique du Soudan a été de renvoyer des organisations humanitaires suspectées de contribuer à la confection du dossier à charge contre le président. Antonio Cassese estime que la justice internationale ne doit pas faire «obstacle aux solutions politiques des crises internationales complexes dans le cadre desquelles de très graves crimes sont commis. Dans tous les cas, la justice spectacle doit être évitée à tout prix».

Or, on est bien en plein dans la justice spectacle, celle où les rôles sont répartis pour la bonne conscience occidentale, soutenue par une armée d'ONG qui ne sont pas toutes politiquement désintéressées.

Le président sénégalais a ouvertement déclaré que beaucoup d'Africains «ont l'impression que la Cour pénale internationale (CPI) est un tribunal destiné à poursuivre seulement les Africains». C'est, au-delà des aspects pratiques liés à l'exécution du mandat d'amener et de ses conséquences sur les efforts pour ramener la paix, la question morale et politique de fond. Sommes-nous réellement devant une justice internationale qui s'exerce de manière abstraite et égale contre tous les tyrans présumés ? La CPI va-t-elle poursuivre George W. Bush - dont le pays comme le Soudan ne reconnaît pas la CPI - pour avoir mené, sans mandat de l'ONU, une guerre contre l'Irak qui a causé des centaines de milliers de morts ? La CPI va-t-elle juger les criminels de guerre israéliens qui ont dévasté récemment Ghaza ?

On le sait, même s'il n'est pas difficile de constituer le dossier judiciaire, de telles poursuites sont «impensables» car il n'est pas question de justice mais de rapports de force. Cette «justice internationale», fondée sur un double standard distinguant entre les «criminels honorables» assurés d'une impunité éternelle et les «mauvais criminels», suscite et suscitera encore la suspicion légitime de n'être, jusqu'à preuve du contraire, qu'une justice de Blancs.